La proposition de loi que nous avons aujourd'hui à examiner concerne la retraite supplémentaire et vise à lutter contre la déshérence des produits d'épargne retraite.
La retraite supplémentaire n'est pas très répandue en France. Les contrats d'épargne retraite sont des contrats de capitalisation, souscrits soit par certaines entreprises au profit de leurs salariés, soit par des individus, notamment des professions libérales, afin de compléter les rentes des régimes de retraite obligatoires à la cessation d'activité professionnelle. Les prestations sont versées le plus souvent sous forme de rente viagère, parfois en capital à la demande du retraité, et à l'âge qu'il souhaite.
Il existe de nombreux produits - plan d'épargne retraite populaire (PERP), plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco), Madelin, « article 39 » , etc. -, qui ont tous vocation à s'éteindre au profit des nouveaux plans d'épargne retraite, prévus par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte). En 2018, la retraite supplémentaire représentait 4,5 % des cotisations, tous régimes confondus, obligatoires ou non, pour 2,4 % des prestations.
Dans différents rapports, dont le dernier date de 2018, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a donné l'alerte quant aux risques de déshérence de contrats de retraite supplémentaire.
L'ACPR estime à 10,6 milliards d'euros le total des contrats non liquidés passé l'âge de 62 ans. Or, non seulement tous les Français ne partent pas à la retraite à cet âge, mais le départ à la retraite ne rend absolument pas obligatoire la liquidation du produit d'épargne retraite. D'ailleurs, ces montants baissent si l'on retient un seuil d'âge plus élevé : il y aurait 5,4 milliards d'euros de contrats non liquidés passé 65 ans et seulement 1,8 milliard d'euros passé 70 ans.
Il semble donc que les bénéficiaires choisissent de liquider ces contrats bien après leur départ à la retraite ; si les contrats ne sont pas liquidés, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils sont en déshérence. Toutefois, plus l'âge du titulaire est avancé, sans que la liquidation ait été sollicitée, plus il est probable que le produit soit en déshérence, sans que l'on puisse en être certain.
L'ACPR constate que les risques sont plus forts pour les contrats à adhésion obligatoire, autrement dit souscrits par les entreprises sans que les informations sur les salariés bénéficiaires soient nécessairement complètes ou mises à jour et, parfois, sans que le salarié lui-même en ait connaissance.
En 2014, la loi Eckert a visé à résorber la déshérence des contrats inactifs et de l'assurance vie. Les contrats de retraite supplémentaire, souvent sans terme, se sont trouvés hors de ce champ. La loi Pacte a précisé que les contrats sans terme étaient désormais couverts par ces dispositions. En outre, la loi Sapin II a renforcé l'information des salariés sur les contrats de retraite supplémentaire au moment de leur départ en retraite.
Néanmoins, ni l'ACPR ni la Cour des comptes n'ont jugé ces nouvelles dispositions suffisantes, et ces deux instances ont proposé différentes pistes de travail.
Le comité consultatif du secteur financier (CCSF) s'est saisi de cette question. Il a publié une recommandation, que notre collègue député Daniel Labaronne, membre de cette instance, a cherché à traduire dans cette proposition de loi.
Le dispositif repose sur une nouvelle fonctionnalité, qui serait proposée par le site « Info Retraite », géré par le groupement d'intérêt public (GIP) Union Retraite. C'est le coeur de l'article 1er. L'assuré, qui consulte le site au titre de ses droits à la retraite obligatoire, pourrait voir désormais s'afficher également les éventuels contrats de retraite supplémentaire qu'il détient.
Le mécanisme proposé est un répertoire, créé à cet effet, sur lequel les gestionnaires de produits d'épargne retraite, autrement dit les assureurs, verseraient des informations relatives aux contrats et à leurs souscripteurs. À partir de cette base de données, le GIP devrait identifier le souscripteur et mettre à sa disposition, au moyen de son service en ligne, des informations relatives aux contrats détenus.
Dans l'esprit, ce dispositif répond à l'attente des gestionnaires et suit les pistes suggérées par l'ACPR et la Cour des comptes. Je vous propose donc de le retenir dans ses grandes lignes, sous réserve de certaines modifications à la fois de principe et opérationnelles.
La première modification porte sur la formulation de ces nouvelles fonctionnalités et sur le lieu où nous désirons les inscrire.
La formulation retenue par l'Assemblée nationale semble consacrer un nouveau « droit à l'information ». Elle laisse à penser que l'ensemble des informations sur les contrats détenus sera disponible sur le site du GIP. Or ce n'est ni l'objet ni la réalité du dispositif.
En outre, l'Assemblée nationale inscrit ces informations au sein de l'article du code de la sécurité sociale relatif au droit à l'information, qui est garanti aux assurés en matière de retraite obligatoire, droit relatif par surcroît au système par répartition. Il faut éviter toute confusion entre retraite obligatoire et retraite supplémentaire.
Pour ces deux raisons, l'amendement de clarification COM-2 vise à modifier la désignation de ces nouvelles fonctionnalités et à les transférer au sein du code monétaire et financier, aux côtés des produits institués par la loi Pacte.
Pour ce qui concerne la mise en oeuvre du dispositif, il convient de renforcer le schéma opérationnel et d'apporter des garanties quant au mécanisme retenu.
D'une part, je souhaite que soient exclues des données transmises par les gestionnaires les informations relatives aux sommes afférentes aux contrats. Ce n'est pas la mission du GIP. Au surplus, il me paraît dénué de sens d'indiquer des montants estimatifs ; ce choix pourrait même dissuader les bénéficiaires de réclamer leur retraite supplémentaire quand les sommes sont faibles, ce qui est très souvent le cas. En outre, il faut éviter que le bénéficiaire confonde cette somme avec les prestations de retraite obligatoire affichées sur le même site « Info Retraite ». À cette fin, je vous propose en outre de renforcer les mentions informatives sur ces fonctionnalités.
D'autre part, aucun retour d'information du GIP vers les gestionnaires n'est prévu. Je vous propose de le permettre tout en l'encadrant ; le silence du texte empêche pour l'heure ce retour.
D'un point de vue opérationnel, il me semble pertinent que les gestionnaires aient connaissance de l'issue - positive ou non - de l'identification du souscripteur. Cela pourrait les aider à cibler leurs recherches sur les contrats qui sont vraiment en déshérence. Dans le même sens, je propose d'indiquer si le souscripteur est un usager récent du site.
En revanche, je tiens à ce que la protection des données personnelles et le droit au respect de la vie privée soient garantis. Ce « sens retour » sera donc précisé de manière extrêmement limitative. C'est le sens de l'amendement COM-3.
Pour que ces fonctionnalités nouvelles montrent leur efficacité, elles doivent également être connues. L'article 2 prévoit une campagne de communication financée par les gestionnaires de retraites supplémentaires. Il se trouve que la rédaction de l'article 1er permet de satisfaire ces exigences tant de réalisation que de financement. Je vous propose donc, par l'amendement COM-5, la suppression de cet article, qui me paraît redondant.
Enfin, l'article 4, ajouté en commission à l'Assemblée nationale, détaille un dispositif expérimental permettant à des généalogistes d'assumer une mission, rémunérée, de recherche des bénéficiaires de contrats de retraite supplémentaire placés, après dix ans de déshérence, à la Caisse des dépôts et consignations.
Cet article pose différents problèmes, qu'il s'agisse de sa rédaction ou de la mise en oeuvre du dispositif : ce dernier est trop peu encadré, et une telle mission n'est pas du ressort de la Caisse des dépôts et consignations. Il ne me semble pas souhaitable de maintenir cet article. Je vous en propose donc la suppression par l'amendement COM-6.
Enfin, je vous suggère de tirer les conclusions des modifications de structure du texte en supprimant la division en deux titres (amendements COM-1 et COM-4).
Ainsi modifié, ce texte améliorera l'information des retraités. Mais je vois mal comment il pourra concerner ceux qui sont à la retraite depuis quinze ans et plus : les intéressés n'iront probablement pas sur le site « Info Retraite ».