Intervention de Mathieu Darnaud

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 octobre 2020 à 9h30
Proposition de loi constitutionnelle et proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales — Examen du rapport et des textes proposés par la commission

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud, rapporteur :

Notre collègue Françoise Gatel étant retenue chez elle du fait de la situation sanitaire, je vous présente en notre nom à tous les deux le résultat de nos travaux sur ces propositions de loi constitutionnelle et organique.

La crise sanitaire nous a conduits à apprécier l'étendue du rôle joué par les collectivités territoriales, pleinement à l'initiative dans la gestion de cette crise. Les collectivités ont su faire preuve de réactivité et d'agilité pour agir concrètement au service de nos concitoyens.

Or, depuis quelques années, une inacceptable recentralisation est à l'oeuvre. Recentralisation financière, par l'assèchement des ressources propres et le contrôle intrusif exercé sur les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. Recentralisation normative, par l'excès de normes règlementaires qui enserrent la liberté des collectivités territoriales, l'initiative locale se réduisant régulièrement à la mise en oeuvre de politiques nationales.

Face à ce constat, le président Gérard Larcher a réuni, dès février 2020, un groupe de travail rassemblant l'ensemble des sensibilités du Sénat afin de réfléchir à une nouvelle génération de la décentralisation. À l'issue de plus de six mois de travaux, cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales ont été présentées, sur le rapport de Philippe Bas et de Jean-Marie Bockel, respectivement président de la commission des lois et président de la délégation aux collectivités territoriales. Ces propositions ont été traduites par les deux rapporteurs en trois propositions de loi, constitutionnelle, organique et ordinaire.

Les deux textes que nous examinons aujourd'hui en constituent les volets constitutionnel et organique. Ils visent à donner un nouvel élan aux libertés locales et à consacrer la pleine reconnaissance des responsabilités locales.

Ces propositions de loi poursuivent quatre objectifs : la représentation équitable des territoires ; l'adaptation des compétences des collectivités aux réalités locales ; la garantie de l'autonomie financière des collectivités ; et la réforme du statut constitutionnel des territoires ultramarins.

Premier objectif, la représentation équitable des territoires se verrait consacrée à l'article 1er de la Constitution. Cela permettrait de redéfinir la limite maximale d'écart à la représentation proportionnelle pour les élections locales, en la portant à 30 %. Dans les groupements de collectivités territoriales, elle serait portée à 50 %. Cette proposition permettrait une meilleure conciliation de la nécessaire égalité devant le suffrage et la prise en compte des territoires. Nous vous proposerons toutefois de restreindre l'application du principe d'égalité devant le suffrage, parmi les groupements de collectivités territoriales, à ceux qui exercent à titre obligatoire en lieu et place des collectivités territoriales un nombre déterminant de compétences. Cela permettrait de cibler les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et d'exclure, par exemple, les syndicats de communes.

Deuxième objectif : adapter les compétences des collectivités aux réalités locales, en encourageant la différenciation des modalités d'exercice des compétences locales. Le pouvoir réglementaire local serait renforcé par les articles 2 et 3 de la proposition de loi constitutionnelle. Le Premier ministre ne pourrait intervenir dans les domaines de compétences des collectivités territoriales qu'après habilitation législative expresse. La proposition de loi restreint les cas dans lesquels le législateur pourrait renvoyer au pouvoir réglementaire national. Nous vous proposerons de supprimer cette limitation, afin que le législateur organise librement, à chaque texte, la répartition entre pouvoir réglementaire national et pouvoir réglementaire local. Cela lui permettra notamment de prendre en compte les éventuelles difficultés en matière d'ingénierie que peuvent rencontrer les collectivités territoriales.

Les propositions de loi rendent également possible la pérennisation des expérimentations locales sur une partie seulement du territoire, afin de mieux adapter les conditions d'exercice des compétences locales aux réalités du terrain.

L'article 4 de la proposition de loi constitutionnelle prévoit de constitutionnaliser la clause de compétence générale des communes. Même si la formulation proposée de la clause de compétence générale visait à en clarifier la portée, nous vous proposerons de retenir la formulation traditionnelle qui nous semble apporter une plus grande sécurité juridique.

L'article 3 de la proposition de loi constitutionnelle permet au législateur de confier des compétences distinctes à des collectivités territoriales appartenant à une même catégorie. Là encore, nous vous proposerons de sécuriser la rédaction de cette disposition, et de renvoyer à une loi organique afin que nous puissions ultérieurement définir la procédure à suivre pour attribuer ces compétences dérogatoires.

Enfin, l'article 1er de la proposition de loi organique améliore l'évaluation des effets des projets de loi sur les collectivités territoriales. Il renforce les études d'impact, en ajoutant une évaluation au regard des principes de subsidiarité et d'autonomie financière d'une part, et en leur adjoignant les avis du Conseil national d'évaluation des normes d'autre part. Nous vous proposerons simplement de corriger une erreur de référence.

Troisième objectif : garantir l'autonomie financière des collectivités locales - grâce à la redéfinition des ressources propres et à la consécration constitutionnelle du principe « qui décide paie ».

L'article 4 de la proposition de loi organique vise à redéfinir la notion de « ressources propres » des collectivités territoriales. Il s'agit d'en exclure les ressources sur lesquelles les collectivités n'ont de pouvoir ni de taux ni d'assiette, car elles donnent une image tronquée de la réalité de l'autonomie financière des collectivités.

Cette « opération-vérité » s'accompagne de quelques difficultés techniques, puisque les ratios d'autonomie financière en seraient largement diminués : potentiellement inférieurs à leur niveau plancher de 2003, ils seraient au surplus très inégaux entre les trois catégories de collectivités territoriales. Cela pose la question de la cohérence juridique de la notion de « part déterminante des ressources totales », que doivent représenter les ressources propres d'une catégorie de collectivités. Nous vous proposerons donc de prévoir que les ressources propres ne constituent qu'une part « significative » du total des ressources d'une catégorie de collectivités : en assouplissant ainsi la portée de l'exigence constitutionnelle, nous entendons renforcer la réalité de la notion et la sincérité de ses indicateurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion