Intervention de Jean-Pierre Moga

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 octobre 2020 à 15h45
Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre MogaJean-Pierre Moga, rapporteur :

Il y a quelques jours, nous nous sommes tous réjouis qu'une Française obtienne le prix Nobel de chimie. Mais on oublie de dire qu'elle a fait l'essentiel de sa carrière hors de France, faute de moyens ! C'est une très bonne illustration de la nécessité, pour notre pays, de redonner des moyens à la recherche publique. C'est pourquoi le projet de loi que nous examinons est essentiel.

La situation est grave. L'effort de recherche et développement dans notre pays stagne autour de 2,2 % du PIB depuis les années 1990. Or, l'objectif fixé au niveau européen depuis les années 2000 s'élève à 3 % du PIB ! Nous en sommes bien loin, alors que d'autres pays, comme l'Allemagne par exemple, y sont déjà. La recherche et développement (R&D) publique n'atteint pas les 0,8 % du PIB, quand elle devrait être à 1 %. Dans la recherche publique, nos chercheurs sont payés 37 % de moins que les chercheurs des pays comparables.

Bref, le constat est très largement partagé qu'il convient de passer à la vitesse supérieure. Et ce d'autant plus que la concurrence est rude ! Résultat, nous ne sommes classés que dixième en Europe pour l'innovation, et douzième au niveau mondial, loin de notre place dans le monde au regard du PIB !

Voici pour le constat global. J'en viens maintenant au projet de loi. Je souhaite débuter mon propos par ce qu'il n'y a pas, ou pas assez, dans ce projet de loi.

Ce projet de loi, et en particulier sa trajectoire budgétaire, est centré sur la recherche publique rattachée au ministère de la recherche. Aucune trajectoire n'est prévue pour la recherche rattachée à d'autres ministères. Rien donc pour la recherche industrielle et la recherche environnementale, alors qu'il s'agit pourtant, nous dit-on, des priorités du plan de relance ! Rien non plus pour la recherche privée : le Gouvernement ne donne pas de trajectoire sur les dépenses fiscales. Rien non plus, enfin, sur les liens avec les collectivités territoriales.

Aucune articulation n'est garantie avec le plan de relance et les autres guichets publics de soutien à la R&D. En somme, le Gouvernement manque ici une occasion d'impulser un grand chantier pour en finir avec le morcellement des politiques de recherche et développement. Il fournit une information lacunaire au Parlement, aux citoyens et aux principaux destinataires de la loi, qui sont contraints à un jeu d'addition de l'ensemble des dispositifs et se heurtent à une complexité accrue du fait de leur portage par des instances différentes et de leur pilotage selon des modalités diverses.

Le premier apport de ce projet de loi, c'est une trajectoire budgétaire pluriannuelle, pour mettre fin au sous-financement de la recherche publique et lui donner de la visibilité, pour atteindre une augmentation de 5 milliards d'euros par an en 2030. De cette façon, les laboratoires pourront à nouveau mener une véritable politique scientifique et l'Agence nationale de la recherche (ANR) pourra à nouveau financer les projets.

De nombreux acteurs considèrent que cette trajectoire est trop longue, et donc peu crédible, et insuffisante dans les premières années. C'est pourquoi je vous proposerai, en lien avec mes collègues rapporteurs de la commission de la culture et de la commission des finances, de raccourcir l'horizon de la trajectoire à 2027, avec deux premières marches pour les années 2021 et 2022 à plus d'un milliard d'euros d'augmentation. De cette façon, nous serons en mesure de poursuivre l'objectif de 1 % du PIB consacré à la recherche publique d'ici à 2027.

Un point me semble particulièrement choquant : les opérateurs de recherche sont contraints d'appliquer une norme comptable inadaptée, les obligeant à garder en trésorerie des centaines de millions d'euros : autant d'argent qui n'est pas fléché vers les laboratoires ! J'ai interpellé la ministre sur le sujet. Elle en a conscience et regarde si elle peut faire évoluer les choses. J'y serai vigilant.

Le projet de loi s'intéresse également au rapprochement des liens entre la recherche publique et les entreprises. On trouve ainsi plusieurs dispositifs d'ordre technique et qui sont bienvenus en ce sens, notamment aux articles 13 et 14.

L'article 14 bis ressuscite un congé pour enseignement ou recherche qui avait été créé en 2007 et supprimé en 2018, apparemment par erreur. L'objectif est bienvenu : il s'agit de permettre aux chercheurs du privé de faire une mobilité dans le public. Mais le dispositif est trop contraignant et, en l'état, pas assez souple pour les entreprises : un salarié pourrait prendre un congé d'un an après n'avoir passé qu'un an dans les effectifs de l'entreprise. Il faut laisser plus de place à la négociation, c'est le sens d'un amendement que je vous soumettrai.

En ce qui concerne les liens avec les entreprises, le Gouvernement envoie deux messages absolument contradictoires. D'un côté, on souhaite inciter les laboratoires à développer des relations avec les entreprises. De l'autre, on ôte le principal outil d'incitation des entreprises à se tourner vers la recherche publique, à savoir le doublement d'assiette du crédit d'impôt recherche (CIR) en cas de recours à un laboratoire public. Cette mesure, qui figure en projet de loi de finances pour 2021, risque d'anéantir les efforts du Gouvernement en la matière. Je serai vigilant sur ce point lors de l'examen du projet de loi de finances.

J'en viens aux dispositions diverses de ce texte. Je pense aux articles 22 et 23, qui portent sur des secteurs qui relèvent de notre commission, à savoir l'agriculture et le spatial.

S'agissant des aspects agricoles, le Gouvernement sollicite du Parlement trois habilitations à légiférer par ordonnance sur les sujets de biotechnologies. C'est la conséquence des arrêts successifs de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et du Conseil d'État de 2018 et 2020, qui assimilent les nouvelles techniques de mutagenèse à des organismes génétiquement modifiés (OGM). Dès lors qu'ils sont considérés comme des OGM, les procédures d'autorisation et de contrôle applicables aux OGM deviennent applicables également aux organismes issus d'une mutagenèse.

Je veux le dire franchement : cette décision nourrira, j'en suis sûr, un débat politique et philosophique ici comme en séance publique, sur l'articulation complexe à trouver entre principe de précaution et principe d'innovation. Toutefois, ces jurisprudences relatives à des textes européens sont directement applicables. Le Parlement ne dispose donc pas de marges de manoeuvre en ce qui concerne ces textes européens. La décision de la CJUE s'applique à la France et le Gouvernement est enjoint par le Conseil d'État à mettre en oeuvre le cadre européen sur le sujet.

Si des précisions doivent être apportées, elles doivent l'être au niveau européen. J'en appelle, à cet égard, à l'édiction d'une réglementation européenne claire et adaptée sur le sujet des biotechnologies : les techniques évoluent et il convient d'adapter la réglementation à l'évolution du monde. Mais il n'est pas en notre pouvoir de prendre des dispositions législatives contraires au droit européen.

Je vous propose donc d'accepter les ordonnances techniques sur ces volets tant qu'elles entendent tirer uniquement les conséquences des arrêts susmentionnés. C'est le cas des ordonnances sur les procédures de déclaration des utilisations d'OGM aux risques faibles et sur la traçabilité et les conditions d'utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides.

Ce n'est pas le cas, en revanche, de l'ordonnance prévoyant une redéfinition des procédures d'édiction d'avis relatifs aux biotechnologies. L'habilitation est très large et donne un chèque en blanc au Gouvernement en la matière. Le Haut Conseil des biotechnologies, chargé de cette mission depuis 2008, a fait preuve, il est vrai, de dysfonctionnements, compte tenu des tensions entre le comité scientifique et le comité éthique. Il faut y remédier en présentant une nouvelle architecture, le Gouvernement allant même jusqu'à envisager la suppression de ce conseil. Mais par quoi le remplacer ? Comment s'assurer que la rigueur scientifique demeure la garantie d'un débat apaisé sur ces sujets difficiles ? Comment prendre en compte les réflexions éthiques des parties prenantes ? Qui devra rendre ces avis ? L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ? Le Ministère ? Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ? Un nouveau comité ? Nous avons eu le droit à une loi bioéthique qui est toujours en discussion sur des sujets similaires. Pourquoi passer ici par ordonnance et éviter tout pouvoir de contrôle du Parlement sur le sujet ? À défaut d'informations supplémentaires sur le contenu de l'ordonnance, je vous propose de la supprimer du texte, attendant des éclaircissements du Gouvernement en séance publique.

Enfin, l'article 23 propose de réformer Agreenium, organisme créé en 2014 pour favoriser la coopération entre établissements de recherche et établissements d'enseignement, par exemple en créant une plateforme de cours en ligne, des Mooc. Il est vrai que son statut d'établissement public alourdit les procédures : le projet de loi propose de lui retirer ce statut pour transformer Agreenium en « Alliance Agreenium », appuyée sur une convention de coordination territoriale entre différents établissements d'enseignement supérieur et de recherche agronomiques, sous l'égide de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, l'Inrae. Les emplois seront conservés voire renforcés au sein de cette Alliance, le budget de l'Inrae faisant effet levier. Je crois que c'est une bonne mesure.

Quant au volet spatial, le Gouvernement a introduit par un amendement, et donc sans étude d'impact, une habilitation à légiférer par ordonnance pour réformer la loi sur les opérations spatiales de 2008. C'est la seule loi existante sur le sujet depuis l'existence des programmes spatiaux en France. Elle a déjà douze ans, il faut manifestement la réformer. Mais ce ne sont pas de petits sujets : comment encadrer les mégaconstellations de satellites ? Comment traiter des questions d'industrie dans l'espace ? Ces sujets sont loin d'être techniques. Nous avons demandé davantage d'informations au Gouvernement, nous n'avons pas obtenu grand-chose. C'est pourquoi il est proposé de supprimer cette habilitation.

En conclusion, ce projet de loi envoie un signal positif en ce qu'il rehausse le niveau des moyens affectés à la recherche. Nous proposons de le muscler. Je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable sous réserve de l'adoption de nos amendements.

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