C'est pour moi un grand honneur, mêlé d'une certaine émotion, d'être rapporteur, pour la première fois, d'un projet de loi sur la recherche, secteur qui me tient particulièrement à coeur et sur lequel je me suis investie en tant que rapporteur budgétaire depuis trois ans.
Le projet de loi de programmation de la recherche était attendu depuis trop longtemps, et son calendrier a connu, depuis le début de l'année, de nombreux revirements. J'ai même, à un moment donné, fortement douté de son inscription à l'agenda parlementaire. Pourtant, l'urgence à agir pour la recherche et ceux qui la font est bien là. Elle est encore renforcée par la situation pandémique qui souligne l'impératif de disposer d'une recherche au plus haut niveau.
Or, avec un niveau de financement qui stagne depuis le début des années 1990 à environ 2,2 % du PIB et enregistre même une baisse sur la période récente, la France s'est éloignée de l'objectif, fixé lors du sommet européen de Lisbonne de 2000, d'investir un minimum de 3 % de sa richesse nationale dans la recherche, alors que la plupart des grandes puissances économiques l'ont déjà atteint, voire dépassé. L'Allemagne, déjà à 3,1 % du PIB, a pris récemment de nouveaux engagements de dépenses à hauteur de 5 % supplémentaires par an, pour atteindre 3,5 % du PIB.
Le décrochage de la France sur la scène internationale s'explique par deux facteurs : le faible niveau de la dépense publique, à 0,78 % du PIB, et l'insuffisance de la dépense privée, à 1,44 % du PIB.
Alors que les défis en matière d'accroissement des connaissances, dans des domaines aussi divers que la santé, l'environnement, la sécurité, la transition numérique, la cohésion des sociétés contemporaines sont considérables, il en va de la responsabilité de l'État de redresser la part publique de financement de la recherche pour parvenir à un niveau minimum de 1 %. L'atteinte de l'objectif des 3 % du PIB suppose aussi une contribution du secteur privé qui doit se rapprocher de 2 %.
L'affaiblissement de la position de la France est aussi lié à une grave perte d'attractivité des métiers de la recherche, attestée notamment par la baisse du nombre de doctorants, mais aussi la difficulté du pays à garder sur son sol ses meilleurs éléments ou à recruter les plus brillants talents nationaux et internationaux.
Le diagnostic, bien connu et largement partagé, est alarmant. J'en veux pour preuve les quatre points suivants : des rémunérations des personnels de la recherche très sensiblement inférieures à celles des pays de l'OCDE, mais également à celles des autres corps de la fonction publique française ; des conditions de travail qui se sont fortement dégradées sous l'effet de réductions d'effectifs, de tâches administratives envahissantes, de contraintes de gestion multiples ; des progressions de carrière insuffisantes au regard des standards internationaux ; des inégalités encore très marquées entre les femmes et les hommes dans l'accès à certaines disciplines et certaines responsabilités.
Sans être exhaustif, ce constat n'en montre pas moins l'ampleur de la tâche à mener pour refonder le pacte qui lie les chercheurs à la Nation.
Avec ce projet de loi de programmation, le Gouvernement entend rompre avec des décennies de sous-investissement chronique, afin de « réarmer la recherche française ». C'est en particulier l'objet du titre Ier, qui définit les orientations stratégiques de la recherche et décline la programmation budgétaire pour la période 2021-2030.
L'article 1er renvoie à un rapport annexé la présentation de ces grandes orientations et rappelle l'objectif de porter l'effort national de recherche à 3 % du PIB.
L'article 2 présente, sous forme de tableaux, la trajectoire budgétaire sur dix ans. Celle-ci représente, hors prise en compte de l'inflation - j'insiste bien sur ce point - un effort cumulé de plus de 25 milliards d'euros. Il est ainsi prévu une hausse des financements d'environ 400 millions d'euros par an de 2021 à 2023, puis de 500 millions d'euros par an de 2024 à 2027, et enfin de 600 millions d'euros par an de 2028 à 2030, pour atteindre un supplément annuel de 5 milliards d'euros à la fin de la décennie.
La trajectoire budgétaire comprend également une croissance d'un milliard d'euros d'ici à 2027 des moyens d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR) afin notamment d'atteindre 30 % de succès aux appels à projets et 40 % de « préciput ». Le Gouvernement a en effet choisi de faire de l'ANR l'acteur pivot du système de recherche des dix prochaines années, et de miser principalement sur les appels à projets pour augmenter le financement des établissements de recherche.
L'article 12, inscrit au titre III du projet de loi, introduit ainsi une réforme du préciput, mécanisme actuellement destiné à couvrir les coûts indirects des projets de recherche sélectionnés par l'ANR, pour en faire une source directe de financement des laboratoires.
Le système actuel de financement des projets de recherche sur appels à projets repose sur un mécanisme dit de « préciput », qui n'est rien d'autre qu'une partie de l'enveloppe attribuée aux établissements gestionnaires et hébergeurs. Ainsi, pour un projet d'un coût de 100, l'ANR débourse en réalité 111, 11 allant à l'établissement hébergeur, 8 à l'établissement gestionnaire et 92 à l'équipe de recherche.
Dans le futur système, les enveloppes distribuées par l'ANR seront augmentées, en application de la programmation. Ensuite, la répartition du nouveau « préciput » permettra de mieux doter les établissements hébergeurs et gestionnaires, et participera aussi au financement des laboratoires, ainsi qu'au développement des politiques de site.
Ce projet de loi entend également remédier au déficit d'attractivité des carrières de chercheur et d'enseignant-chercheur en créant, au titre II, plusieurs nouveaux dispositifs de recrutement à différents stades de la carrière.
Au cours de leur formation doctorale, les doctorants pourront être recrutés dans le secteur privé au moyen d'un nouveau contrat doctoral de droit privé, sur le modèle de ce qui existe dans le secteur public (article 4) ; après l'obtention du doctorat, les jeunes chercheurs ou enseignants pourront être embauchés sur un contrat post-doctoral spécifique, de droit public ou de droit privé (article 5) ; ils pourront aussi se voir proposer, par les établissements publics de recherche, un contrat à durée indéterminée dit « de mission scientifique » pour mener un projet de recherche de long terme (article 6).
Afin d'offrir davantage d'opportunités d'emplois après le doctorat, le projet de loi crée également une nouvelle voie de recrutement pour des postes spécifiques, inspirée de la pratique étrangère dite de la tenure track. Appelé « chaire de professeur junior », ce dispositif repose sur une phrase de recrutement contractuel, d'une durée maximale de six ans, à l'issue de laquelle le jeune chercheur ou enseignant-chercheur aura la possibilité d'être titularisé en tant que professeur des universités ou directeur de recherche, sans avoir à passer le concours de promotion traditionnel (article 3).
Les mesures annoncées par le Gouvernement sur les rémunérations et les carrières ne figurent pas dans ce texte, car elles ne relèvent pas du domaine de la loi. Ce chantier réglementaire a été mené sous la forme de cycles de négociations avec les organisations syndicales représentatives du secteur. Un protocole d'accord majoritaire vient tout récemment d'être signé à Matignon.
Enfin, ce projet de loi contient diverses mesures destinées, d'une part, à rapprocher les chercheurs du monde économique (titre IV), d'autre part, à simplifier l'organisation et le fonctionnement des établissements de recherche (titre V).
J'en viens à la question centrale : ce projet de loi de programmation est-il à la hauteur de l'enjeu et des attentes ? Après avoir mené une vingtaine d'auditions, la réponse est plutôt négative.
Tout d'abord, je regrette que ce texte ne soit pas adossé à un véritable projet politique. Compte tenu de l'état dans lequel elle se trouve aujourd'hui, la communauté de recherche était en droit d'attendre une loi structurante, qui fixe un cap et qui définisse le rôle de la recherche au sein de notre société.
À la place, nous avons une loi essentiellement technique, renvoyant les orientations stratégiques à un rapport annexé, qui n'a pas de valeur normative. D'ailleurs, après son examen à l'Assemblée nationale, celui-ci ressemble davantage à un inventaire à la Prévert qu'à un projet précis et engageant.
Je salue bien sûr l'effort budgétaire proposé, qui a le mérite de mettre fin à deux décennies de désengagement public dans la recherche. Cependant, sous l'effet prévisible de l'inflation et de l'augmentation du PIB, le niveau du réinvestissement proposé ne permettra pas d'atteindre l'objectif de 3 % de dépenses en faveur de la recherche, dont 1 % de dépenses publiques, d'ici 2030. Toutes les projections réalisées par les plus grandes instances scientifiques de ce pays montrent un besoin de financement nettement supérieur pour parvenir à l'objectif de Lisbonne.
La trajectoire budgétaire proposée souffre aussi d'un problème de crédibilité : construite sur dix ans, durée inhabituellement longue pour une loi de programmation, elle s'expose forcément à de nombreux aléas politiques et économiques qui rendent sa réalisation très hypothétique. Qui plus est, la plus grande part de l'effort budgétaire repose sur l'après-quinquennat, ce qui, à mon sens, relève d'une erreur stratégique assez grossière !
Pour le reste, ce projet de loi comporte des mesures intéressantes et utiles en matière de recrutement des chercheurs et des enseignants-chercheurs, de fonctionnement des organismes de recherche, de facilitation des relations avec le secteur privé, même si je peine à y trouver une cohérence d'ensemble.
L'Assemblée nationale, dont les débats ont beaucoup trop porté sur le rapport annexé, n'en a pas modifié la philosophie générale, si bien qu'une attente très forte se porte sur le Sénat.
Consciente de cette responsabilité, j'ai structuré mon travail de rapporteur autour de plusieurs axes : le raccourcissement de la durée de la programmation à sept ans afin de construire une trajectoire budgétaire crédible et plus ambitieuse ; l'encadrement des nouveaux dispositifs de recrutement afin de sécuriser et rassurer nos chercheurs et enseignants-chercheurs ; la reconnaissance, dans leur carrière, des actions qu'ils mènent en direction des citoyens et de la diffusion de la culture scientifique ; la prise en compte de la situation de nos chercheuses ; la consolidation de l'évaluation de la recherche ; l'approfondissement de la problématique de l'intégrité scientifique, particulièrement chère à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ; l'introduction d'un volet territorial afin que nos collectivités puissent être associées aux problématiques de l'enseignement supérieur et la recherche ; enfin, le refus d'un recours abusif aux ordonnances. J'ai déposé des amendements sur ces sujets et émettrai également des avis favorables sur certains des vôtres.
En application de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de définir ainsi le périmètre du projet de loi : les modalités de financement des établissements d'enseignement supérieur et de recherche sur les prochaines années ; les modalités de recrutement des personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche ; le statut, les grands principes de rémunération, les garanties ainsi que les droits et obligations des personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche, quel que soit le type de contrat ; les missions pouvant être exercées par ces personnels dans différents établissements publics ou entreprises privées ; les conditions d'évaluation des établissements d'enseignement supérieur et de recherche ; le champ des ordonnances qui figurent dans le texte transmis par l'Assemblée nationale ; la vision portée par l'État de la recherche dans les prochaines années, par le biais du rapport annexé.