Intervention de Joël Giraud

Réunion du 22 octobre 2020 à 14h30
Dotation d'équipement des territoires ruraux — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Joël Giraud :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de me trouver parmi vous, pour la première fois au Sénat dans mes fonctions de secrétaire d’État chargé de la ruralité, pour examiner un texte relatif aux collectivités territoriales.

Bien que je n’aie jamais siégé à la chambre haute, nous avons en partage, vous le savez, ce beau sujet de l’aménagement de l’espace rural. Et c’est bien de ruralité que nous allons discuter cette après-midi, en nous penchant sur la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR.

Il s’agit d’ailleurs d’un sujet qui ne m’est pas totalement étranger, car, avant ma nomination au Gouvernement, j’étais justement corapporteur avec la députée Christine Pires Beaune, et sous la présidence de Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, d’une mission d’information sur la refonte des critères d’attribution de la DETR.

L’objet de cette mission était de faire en sorte que cette dotation aille davantage aux « territoires ruraux », conformément à ce que signifient les lettres TR du sigle DETR… J’espère qu’elle pourra aboutir rapidement, en vue d’éventuelles propositions pour la seconde partie du projet de loi de finances. Les choses sont à mon sens bien parties.

Les sénateurs Hervé Maurey et Bernard Delcros ont parfaitement décrit le caractère absolument essentiel de la DETR pour le financement des investissements dans les territoires ruraux.

J’aimerais simplement revenir sur quelques points et vous faire part de mes réserves sur les articles du texte inscrit à l’ordre du jour.

Je rappelle que la DETR, c’est d’abord une enveloppe de plus de 1 milliard d’euros de crédits : 1, 046 milliard pour être précis.

J’insiste un peu sur le chiffre, car, vous le savez tous, en 2014 la DETR s’élevait à environ 600 millions d’euros : aujourd’hui, c’est 60 % de plus. Vous avez d’ailleurs constaté que l’enveloppe est sanctuarisée dans le projet de loi de finances pour 2021, en dépit du fait que plusieurs milliards d’euros de crédits soient ouverts par ailleurs en faveur des territoires dans le plan de relance.

Je crois que cette stabilité de la DETR, budget après budget, est un bon signal adressé aux 30 000 communes rurales de France : c’est la preuve que cette dotation est incontournable dans le paysage des finances locales et qu’elle le restera. C’est en tout cas mon souhait, et vous pouvez compter sur moi pour la défendre.

La DETR, ce sont aussi des modalités de gestion particulières, adaptées aux besoins des communes rurales.

Contrairement aux autres subventions d’investissement, la DETR est gérée à la fois de manière déconcentrée et décentralisée. En effet, une commission est instituée dans chaque département, auprès du préfet. Composée de maires et de présidents d’intercommunalités représentant leurs collègues et, depuis 2018, de parlementaires, cette commission a deux fonctions principales.

Tout d’abord, elle fixe les catégories d’opérations prioritaires à la dotation dans le département, catégories que le préfet doit ensuite respecter dans sa programmation. J’insiste sur ce point, qui sera parfaitement contrôlé. J’ai entendu vos remarques, monsieur le sénateur. S’il apparaît que cet aspect de la procédure n’était pas respecté, les contre-exemples dont vous avez fait état seront remontés au niveau de notre ministère.

Ces priorités diffèrent d’un département à l’autre : ici, les élus demandent au préfet de faire un effort sur les routes ; là, sur les réseaux d’assainissement. Ce système permet que la DETR aille bien régler des questions locales qui se posent à certains endroits, mais pas partout. Les orientations fixées par l’État sont donc indicatives : in fine, ce sont les élus locaux qui fixent les règles du jeu.

Par ailleurs, elle contrôle l’utilisation des crédits en rendant un avis sur les subventions supérieures à 100 000 euros. Pourquoi ce seuil ? Tout simplement parce qu’il permet de concilier, comme l’a rappelé à l’instant M. le rapporteur, un travail efficace, rapide et raisonnable de la commission qui examine en moyenne 16 % des subventions, tout en contrôlant une grande part des crédits, soit 58 % des enveloppes budgétaires. C’est ce qu’à Bercy ou dans mes précédentes fonctions de rapporteur général j’aurais appelé un bon contrôle hiérarchisé de la dépense !

Bien entendu, ce n’est pas la commission, qui se réunit en moyenne deux fois par an, parfois trois, qui reçoit les dossiers, les instruit, les sélectionne et les valide. C’est le rôle de l’État, en l’occurrence du préfet.

Des modifications significatives ont été mises en œuvre depuis le début du quinquennat, afin de renforcer la transparence de la gestion de la DETR et de mieux associer les élus. Bon nombre d’entre elles ont d’ailleurs été prises soit sur mon initiative en tant que rapporteur général, soit sur l’initiative du président de la mission d’information de l’Assemblée nationale, soit sur l’initiative du rapporteur général du Sénat.

La commission a été élargie aux parlementaires du département : tous en sont membres quand il y a moins de cinq parlementaires, ce qui est le cas chez moi dans les Hautes-Alpes, où nous n’avons que deux députés et un sénateur. Le seuil d’avis a été abaissé de 150 000 euros à 100 000 euros, permettant de passer d’un examen de 42 % à 58 % des crédits aujourd’hui. La liste exhaustive des subventions est transmise à la commission, aux parlementaires – membres ou non de la commission DETR –, puis publiée en ligne.

Le préfet présente maintenant le bilan d’utilisation de la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL, devant la commission – ce n’était pas le cas jusqu’à présent, et nous avons vraiment beaucoup insisté sur ce point -, ainsi que les orientations qu’il entend retenir pour celle-ci pour l’année en cours.

Je ne suis pas là pour accorder un satisfecit général sur la DETR, mais je crois que, dans l’immense majorité des départements, même s’il peut y avoir des exceptions, les élus font le constat que le système fonctionne et leur permet d’obtenir des subventions rapidement dans un cadre clair, avec des procédures connues et des acteurs bien identifiés. J’ai néanmoins bien noté les problèmes de date limite évoqués par M. le rapporteur.

Je ne partage pas du tout l’image sombre que l’on nous présente parfois de préfets décidant en dehors de tout cadre légal, sans tenir compte de la commission, sans contrôle ni obligation de rendre compte, tout en profitant de la moindre erreur de parcours des communes pour leur refuser des subventions… C’est un tableau très éloigné de la réalité que je connais.

J’ai été maire pendant vingt-sept ans, membre de la commission DETR pendant le même nombre d’années, et je n’ai, en tout état de cause, jamais constaté la moindre entorse au dialogue républicain entre la préfecture et les maires sur ce sujet. Certes, il existe sans doute des exceptions. J’en prends acte, mais le ministère que je représente et le Gouvernement sont là pour étudier avec vous les difficultés qui pourraient remonter au niveau central.

Mon message est donc simple : les évolutions récentes sont de vraies avancées. Il faut donc exploiter à plein la procédure existante et toutes les possibilités qu’elle offre. À l’inverse, les évolutions prévues dans la proposition de loi pourraient brouiller les rôles respectifs de l’État et de la commission et remettre en cause le point équilibre atteint aujourd’hui dans la plupart des départements.

C’est pourquoi le Gouvernement ne sera pas favorable aux deux articles de la proposition de loi. Je m’en explique.

L’article 1er tend à prévoir que les communes et EPCI qui satisfont les conditions démographiques d’éligibilité à la DETR « ne peuvent se voir opposer aucun autre critère d’éligibilité à cette dotation ».

Il faut s’entendre sur le sens de cette disposition : soit elle signifie que ni le préfet ni la commission n’ont le droit de fixer de cadre d’emploi à la DETR, ce qui est évidemment impossible, car les communes auraient une sorte de droit de tirage sur la dotation ; soit elle signifie que la commission a seulement le droit de fixer des priorités des projets, mais pas des critères d’éligibilité des communes. Si c’est cette dernière interprétation qui prévaut, alors nous sommes d’accord, mais il s’agit déjà du droit applicable.

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