Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 octobre 2020 à 18h00
Débat préalable au conseil européen des 15 et 16 octobre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes en visioconférence

Clément Beaune , secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes :

Je suis extrêmement heureux d'être parmi vous aujourd'hui. C'est la première fois en tant que ministre que j'interviens devant vos commissions. Je m'efforcerai de poursuivre, voire d'amplifier, cette tradition qui consiste à échanger avant le Conseil européen et de vous rendre compte après. Le prochain Conseil européen est important ; c'est le deuxième qui se tient ce mois-ci. J'aborderai successivement les points inscrits à l'ordre du jour, qui sont les points que vous avez évoqués dans vos interventions, avec quelques questions en plus, notamment sur les sujets de défense.

Je commencerai par la question sanitaire et la lutte contre l'épidémie de covid-19 au niveau européen. Disons-le franchement, lorsque l'épidémie a frappé l'Europe de manière généralisée, à la fin du mois de février, l'Union européenne et les États ont collectivement été défaillants dans leur coordination, ou, en tout cas, n'ont pas agi assez vite et assez fort. Il faut reconnaître que les outils dont disposait l'Union européenne pour agir en matière de santé étaient faibles, puisqu'il ne s'agit pas d'une compétence de l'Union. Cela a constitué un frein à une réponse immédiate et organisée. À l'inverse, lorsqu'une compétence européenne directe existait, la Banque centrale européenne, en matière monétaire, mais aussi, il faut le souligner, la Commission européenne, en ce qui concerne les règles budgétaires, de concurrence ou des aides d'État, ont été réactives et, je crois, à la hauteur de la réponse.

Dès le 10 mars dernier, nous avions demandé la tenue d'un sommet européen de crise ; le plan de relance européen, qui n'est pas encore achevé, a aussi été un élément de réponse puissant, tirant les leçons des limites de l'action économique européenne dans les précédentes crises.

En ce qui concerne le volet sanitaire, nous avons encore beaucoup de progrès à faire et nous apprenons en quelque sorte en marchant, puisque nous créons de fait une Europe de la santé. Le Conseil européen abordera la question de la coordination de nos critères sanitaires et, idéalement, de nos mesures sanitaires face à une crise identique. Il ne s'agit pas de déléguer à l'Union européenne le pouvoir de prendre des décisions. Celles-ci doivent pouvoir être adaptées, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local en fonction des situations épidémiques. En revanche, on a tous constaté la confusion, ou pour le moins l'insuffisance de coordination, dans les mesures qui ont été prises. Chaque pays a agi selon ses propres procédures, son propre calendrier et parfois ses propres critères. Les fameuses zones rouge, orange, jaune, verte, etc., ne répondent pas aux mêmes critères selon les pays. Une même région française n'est ainsi pas considérée comme présentant le même niveau de risque sanitaire d'un pays européen à l'autre, ce qui est un peu absurde et ne facilite pas les déplacements. Or, au-delà du tourisme, secteur économiquement important, sont en jeu aussi des déplacements parfois essentiels : je pense en particulier aux 350 000 travailleurs frontaliers français qui ont besoin d'une garantie de circulation en Europe.

Hier, le Conseil des ministres des affaires européennes a validé une batterie de critères sanitaires communs, qui seront entérinés demain au Conseil européen, avec des seuils identiques pour que les classements soient les mêmes et que l'on puisse rapprocher les mesures qui en découlent. Je pense d'ailleurs que l'on doit aller encore plus loin à cet égard, pour éviter notamment au maximum, même si c'est encore le cas dans certains pays, des mesures de quarantaine et leur préférer des mesures plus proportionnées, de tests systématiques, par exemple.

Surtout, un accord unanime s'est fait jour pour garantir, sans mesures de restriction, la circulation des travailleurs frontaliers et les déplacements professionnels essentiels qui peuvent dépasser le cadre transfrontalier. Cela tranche avec la situation que nous avons connue malheureusement au printemps, y compris parfois avec nos voisins proches et avec l'Allemagne. Je me suis entretenu avec les autorités des trois Länder allemands frontaliers : alors même que la région Grand Est sera automatiquement classée en rouge aujourd'hui, selon les critères allemands et européens, il n'y aura pas de fermeture des frontières ni de restrictions à la circulation de travailleurs frontaliers.

Une autre avancée concrète a eu lieu en ce qui concerne la recherche du vaccin. On peut s'en féliciter parce que la France a aussi été à l'initiative sur ce sujet. Une action européenne commune a été engagée pour signer des contrats avec les différents laboratoires qui recherchent un vaccin ; trois contrats sont déjà finalisés, et trois autres devraient être sans doute signés dans les prochaines semaines. Un financement européen est prévu pour réserver des doses de vaccin afin de couvrir l'intégralité de la population européenne, puisque chaque contrat porte sur 200 à 400 millions de doses. C'est évidemment important par rapport aux autres grandes puissances, qui ne nous feront aucun cadeau, mais aussi pour éviter tout nationalisme sanitaire en Europe : l'image du continent ne sortirait pas grandie si, demain, un vaccin était trouvé en Allemagne ou en Espagne, par exemple, et n'était pas accessible, au même moment, aux citoyens des autres pays. Avec la signature des contrats européens, nous évitons ce risque et garantissons l'accès au vaccin le plus rapidement possible, dans les meilleures conditions sanitaires et financières possible. Il s'agit d'un point important, même s'il n'en sera pas directement question lors du sommet européen.

J'en viens à la question évidemment centrale du Brexit. Je partage par avance une frustration, qui ne porte pas seulement sur la longueur de cette négociation ni, parfois, sur le comportement de nos partenaires et néanmoins amis britanniques, mais aussi sur le fait que nous sommes encore dans une phase d'incertitude. Pourtant, le 31 décembre, la phase dite de transition s'achèvera et le Brexit deviendra effectif, sans report possible. Je ne peux pas vous dire à l'heure où je vous parle si nous trouverons un accord. Un accord est possible : nous y avons intérêt, mais nous ne devons pas oublier non plus que les Britanniques y ont un intérêt bien plus grand que nous, car l'impact économique d'un no deal serait bien plus désastreux pour le Royaume-Uni que pour l'Union européenne, compte tenu de l'équilibre de nos marchés et des flux commerciaux. Il est toutefois préférable de parvenir à un accord. Ce qu'il faut éviter, c'est un mauvais accord, qui sacrifierait nos intérêts fondamentaux dans les domaines que vous avez rappelés.

La question de la concurrence équitable, ou level playing field en anglais, a des conséquences très concrètes. J'ai rencontré les fédérations professionnelles lundi. Si les conditions d'une concurrence équitable ne sont pas remplies, et qu'on laisse les produits britanniques accéder à notre marché sans contraintes, sans droits de douane, on risque de se trouver confrontés à un déséquilibre et à un dumping britannique. Je ne crois pas que le Royaume-Uni, et d'ailleurs il s'en défend régulièrement, deviendrait une sorte de Singapour-sur-Tamise, parce que ce n'est pas le sens du vote du Brexit, qui comporte une dimension sociale et protectrice, et parce que ce n'est pas, au fond, le modèle britannique, mais il est tout à fait envisageable - et en tout cas, on doit s'en prémunir - qu'un dumping ciblé apparaisse, avec des écarts de réglementation en matière environnementale, sanitaire, militaire, d'aides d'État, par exemple, qui donneraient un avantage concurrentiel aux Britanniques qui ne serait pas supportable par nos entreprises. Comme Michel Barnier, nous serons vigilants, notamment à l'égard des aides d'État et de leur contrôle réciproque, pour nous assurer que le Royaume-Uni ne mène pas une politique de concurrence ou d'aides d'État nettement plus active et plus agressive que celle que l'on est autorisé à avoir dans l'Union européenne - cela serait certes paradoxal au regard de l'histoire du Royaume-Uni, mais nous ne sommes pas à l'abri.

La question de la pêche est au sommet de nos priorités. Je serai ce soir ou demain à Port-en-Bessin pour un échange avec des pêcheurs. Nous n'avons pas intérêt à ne pas avoir d'accord, mais nous ne voulons pas non plus d'un accord à tout prix. Pour des raisons à la fois politiques et tactiques, nous avons demandé à notre négociateur de refuser de traiter la pêche de manière séparée du reste de la négociation, afin de ne pas donner de levier aux Britanniques. Si ces derniers veulent un accès général à notre marché, dans les conditions que j'ai rappelées, ils doivent aussi accepter un bon accord sur la pêche. Les pêcheurs britanniques ont été un élément politique central de la campagne pour le référendum en faveur du Brexit, mais il est hors de question que nos pêcheurs constituent une variable d'ajustement ou le prix à payer pour la mise en oeuvre du Brexit. Nous avons donc refusé les principes que les Britanniques nous ont proposés, comme l'annualité dans l'accès aux eaux britanniques : cela aurait été une épée de Damoclès au-dessus de notre tête, car nos pêcheurs n'auraient pas su si, d'une année sur l'autre, cet accès leur serait assuré. Nous pouvons discuter de paramètres plus techniques comme les quotas d'accès, mais il est hors de question d'accepter un accès incertain aux eaux britanniques, entièrement entre les mains des Britanniques et qui réduirait significativement l'activité des pêcheurs français ou européens. Au prochain Conseil européen, le Président de la République commencera par rappeler ce point fondamental.

Le Conseil européen de demain n'a pas vocation à finaliser ou acter un accord. Mais le négociateur Michel Barnier fera un rapport aux chefs d'État ou de gouvernement, sur la base duquel ces derniers donneront leur évaluation politique : s'il y a un espace pour un accord, ils détermineront le contenu de l'éventuel mandat du négociateur ; sinon ils acteront le no deal et nous nous y préparerons.

Si nous sommes dans un scénario dans lequel il y a un espace pour un accord, il faut y travailler assez rapidement en vue de sa ratification parlementaire. Il faudra expliquer et préparer cet accord, car les choses vont changer au 1er janvier. Nos entreprises doivent bien savoir qu'accord ne signifie pas statu quo. Le Royaume-Uni quitte l'Union européenne : des contrôles douaniers et des contrôles sanitaires et phytosanitaires seront donc mis en place à la frontière et à la sortie du tunnel par lequel transitent 80 % des marchandises entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Nous nous y sommes préparés : nous avons notamment recruté 700 douaniers, 200 vétérinaires, 200 effectifs de la police aux frontières qui seront déployés dans les prochains jours et nous avons testé ce système. Le contenu de l'accord - qui, par hypothèse, n'est pas connu - devra aussi être expliqué de manière très précise, secteur par secteur, afin que les entreprises ne soient pas prises au dépourvu le 1er janvier prochain.

En cas de non-accord, nous avons pris une série de mesures dites « de contingence » au niveau européen et au niveau national. Nous les avons repassées en revue lundi dernier, sous l'autorité du Premier ministre, ministère par ministère. Il y aura un certain nombre de difficultés inévitables, et notamment des contrôles, mais aussi des tarifs à nos frontières.

La question des services financiers n'est pas stricto sensu dans l'accord. Avec le Brexit, le Royaume-Uni va perdre automatiquement son « passeport financier », c'est-à-dire la capacité à assurer une prestation de services financiers partout dans l'Union européenne. Ce sujet est, avec la protection des données, l'un des deux sujets sur lesquels l'Union européenne décide de manière unilatérale. En cette matière, l'Union européenne donne une décision dite d'équivalence. C'est un levier que l'Union européenne conservera quoiqu'il arrive. Il ne s'agit donc pas d'intégrer dans un accord bilatéral l'accès à nos services financiers. C'est ainsi que nous procédons avec tous les pays tiers, y compris avec les États-Unis par exemple. Il ne s'agit pas seulement de l'activité de la City ; il en va de la stabilité financière de la zone euro, que nous devons non pas déléguer, mais garder entre nos mains.

Je suis confiant sur l'aboutissement avant la fin de l'année des négociations sur le budget de l'Union européenne, sans le Royaume-Uni désormais. Ce paquet budgétaire comprend tout d'abord le plan de relance, qui est doté d'une gouvernance ad hoc qui n'associe pas formellement le Parlement européen, mais ce dernier l'étudie et utilise d'autres leviers pour donner son avis. Il y a ensuite le budget ordinaire 2021-2027 de l'Union européenne, qui doit être approuvé par le Conseil et le Parlement européen et pour lequel des négociations sont encore en cours, notamment sur Erasmus ou le programme de recherche qui ont été jugés insuffisamment dotés par le Parlement européen. Dernier élément du paquet budgétaire : la décision « ressources propres » qui est le volet recettes du budget européen et qui ouvre la possibilité d'un endettement commun dans le cadre du plan de relance ; ce volet est prêt, puisqu'il a fait l'objet d'un accord au Conseil européen, mais il est en quelque sorte pris en otage par plusieurs pays, dont la Pologne et la Hongrie. Ces pays estiment que tant qu'ils n'ont pas de visibilité sur le mécanisme de conditionnalité relatif à l'État de droit, ils n'accepteront pas le lancement de la procédure de ratification nationale. J'espère cependant que nous pourrons arriver à un équilibre dans les prochaines semaines, idéalement avant la fin du mois d'octobre. Vous aurez ensuite à autoriser sa ratification, je l'espère le plus vite possible, probablement en décembre. Votre vote portera aussi de fait sur le plan de relance. Nous mettons toutes nos forces dans l'aboutissement d'un compromis global sur ce paquet budgétaire.

Monsieur Cambon m'a interrogé sur nos outils en matière de défense. Bien évidemment, nous voulons garder une relation bilatérale étroite de sécurité et de défense avec le Royaume-Uni. Mais les choses ne seront pas comme avant : le Brexit a bien évidemment un sens géopolitique. Que signifie exactement le slogan de Global Britain que défend le gouvernement britannique ? Nous devons donc compléter cette relation de défense par une relation de défense européenne et des relations de défense bilatérales dans le club européen plus fortes. C'est pourquoi nous portons avec l'Allemagne des projets d'industrie de défense sur l'avion du futur et sur le char du futur. Cette coopération industrielle, annoncée en 2017, est difficile et il y aura encore des moments de tension et de blocage. Il s'agit d'industries de défense qui n'ont pas toujours eu l'habitude de coopérer. Le contrôle du Bundestag est difficile sur le plan politique, avec des partis de la coalition actuelle qui sont parfois réticents sur ces coopérations et qui peuvent sembler moins engagés que nous : vous connaissez le rapport de l'Allemagne aux questions de défense et il faut l'accepter. Mais il y a un mouvement réel de l'Allemagne pour avancer dans ce travail commun avec nous et ces coopérations sont fondamentales.

Je n'évoquerai pas l'initiative européenne d'intervention, qui avance bien.

Nous avons une forme de déception sur le fonds européen de défense : la Commission européenne avait proposé 13 milliards d'euros, nous avons défendu une position qui était autour de 10 milliards d'euros et finalement 7 milliards d'euros ont été actés dans l'accord financier de cet été. Je reconnais que la France était assez seule pour porter cette initiative du Fonds européen de défense. La proposition de la Commission était un objectif, une sorte de majorant, mais n'oublions pas que nous partions de zéro. C'est certes une étape insuffisante, mais c'est néanmoins une étape unique, car nous n'avions pas d'outils de financement de la défense européenne.

Sur la facilité européenne de paix, la proposition initiale était de 10 milliards d'euros, nous en sommes à 5 milliards, mais c'est quand même une facilité nouvelle qui va nous permettre de financer directement des opérations extérieures.

Nous ne sommes pas encore ni au bon niveau ni au bon rythme en matière de défense européenne, mais si l'on regarde le chemin parcouru en trois ans, on constate que de nombreux verrous politiques ont été levés chez nos partenaires, notamment en Allemagne.

Nous nous trouvons parfois trop seuls, au Sahel par exemple. Mais souvent nos partenaires européens sont présents, soit à nos côtés dans Barkhane soit, plus souvent, dans la mission de l'ONU. C'est ainsi que nous avons un soutien logistique espagnol et néerlandais et que nous avons le soutien de 100 soldats estoniens. Les Européens comprennent que c'est un enjeu de de sécurité commun.

Sur la Turquie et les tensions en Méditerranée orientale, c'est la même chose : nous nous sentons encore parfois un peu seuls sur notre ligne de fermeté. Mais regardez ce qui s'est passé en trois ou six mois. En février, la Turquie a organisé l'arrivée de migrants à la frontière grecque : à la surprise de la Turquie, nous avons réagi de manière ferme, unanime et immédiate en défendant les Grecs, en apportant un soutien européen et en ne cédant pas à cette pression migratoire turque. Quand il y a eu des tensions en Méditerranée orientale dans les eaux chypriotes ou grecques récemment, la France a mené le combat pour la fermeté européenne et nous avons trouvé un consensus européen qui s'est durci. Au dernier Conseil européen, il y a deux semaines à peine, nous avons donné un choix à la Turquie, en donnant une chance au dialogue, car nous avions quelques signaux positifs : soit la volonté de dialogue se confirme, soit ce n'est pas le cas et alors nous sommes prêts à prendre toute une série de mesures dont des sanctions. Cette attitude à l'égard de la Turquie n'aurait pas été possible sans l'action de la France, et elle n'aurait pas été possible il y a quelques mois. Il ne s'agit pas d'une simple tension du moment ; il s'agit d'une stratégie d'ensemble d'influence néfaste de la Turquie dans beaucoup de conflits ou de zones de la région - Syrie, Libye, conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, dans les Balkans et parfois même dans nos pays. C'est à cette stratégie d'ensemble que nous devons répondre. La France a réussi à faire bouger les choses et l'Europe n'est plus dans la même naïveté ni la même dépendance à l'égard de la Turquie qu'il y a quelques mois. Mais le chemin à parcourir est encore long.

La question climatique sera au menu du Conseil européen. Nous ne fixerons pas demain nos objectifs révisés pour 2030, car la question du Brexit nous prendra beaucoup de temps. Nous y reviendrons probablement au Conseil européen de décembre, car nous devons déposer en vue de la prochaine Conférence des parties (COP) - cinq ans après l'accord de Paris - de nouveaux objectifs européens pour 2030 avant la fin de l'année. Il faut donc absolument que ce débat se tienne rapidement. Le Parlement européen a demandé que l'on rehausse les objectifs à 60 % et la Commission européenne propose une cible de 55 %. Cette cible de 55 % est très ambitieuse, mais elle est atteignable.

Il est nécessaire que l'Union européenne soit plus ambitieuse pour 2030, comme elle l'a été il y a quelques mois en se fixant un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 à l'initiative, là aussi, de la France et de quelques pays, au printemps 2019. L'Europe se doit d'être exemplaire pour créer une forme d'effet d'entraînement : c'est notre ADN d'être le continent de la défense du climat et les accords de Paris nous engagent juridiquement et politiquement.

Mais il ne serait ni juste ni efficace que nous fassions un effort isolé, tandis que les autres, plus émetteurs que nous - à 27, nous représentons moins de 10 % des émissions mondiales ! -, seraient exonérés de cet effort ! Nous avons fait bouger les choses : la Chine s'est engagée sur une neutralité carbone pour 2060 et nous verrons ce que donneront les élections américaines sur la politique climatique des États-Unis. Nous devons avoir des mécanismes de protection ou d'ajustements qui ne nous font pas porter un effort démesuré ou injuste. Nous devons donc travailler à rehausser le prix du carbone via le mécanisme d'inclusion carbone - dit également mécanisme carbone aux frontières ou taxe carbone aux frontières européennes -, notamment pour certains secteurs très exposés comme l'acier ou le ciment. La Commission européenne s'est engagée à faire une proposition législative étayée au cours du premier semestre 2021. C'est un changement fondamental soutenu très largement par des pays qui ont longtemps été sceptiques, y compris des pays dits libéraux comme les Pays-Bas ou la Suède. L'Allemagne est également en train de bouger sur ce sujet. Il est très important que nous rehaussions nos ambitions climatiques, mais nous devons le faire d'une manière juste dans la compétition internationale.

Faut-il un Conseil européen du changement climatique ? Je ne suis pas certain qu'il faille créer une nouvelle instance, mais un rendez-vous climatique régulier et organisé au niveau des chefs d'État ou de gouvernement ou un débat annuel sur le suivi de nos engagements seraient certainement de bonnes pistes à creuser. Le Parlement recommande la création de l'équivalent d'un Haut Conseil pour le climat au niveau européen : c'est quelque chose que nous pouvons regarder dans le cadre de la loi climat. À titre personnel, je préconise que nous conservions de la flexibilité sur les formats, mais que l'on ait un débat politique régulier au plus haut niveau sur la question climatique.

Strasbourg est le siège du Parlement européen : c'est inscrit dans les traités, et cela devrait être suffisant. Je me suis entretenu à deux reprises avec les élus concernés, toutes sensibilités politiques confondues. Nous partageons l'idée que nous avons trop longtemps eu une posture un peu défensive sur la question du siège du Parlement : il faut dire que le Parlement européen est fier d'avoir son siège à Strasbourg. Siéger à Strasbourg n'est pas une punition infligée aux parlementaires européens. L'État et les collectivités territoriales investissent massivement pour faciliter l'accès et la vie du Parlement européen à Strasbourg - 185 millions d'euros sur les trois dernières années - et nous travaillons de manière accélérée sur un nouveau contrat triennal qui prévoira sans doute des sommes comparables. Il faut donc une stratégie plus offensive, plus positive, mais très ferme. Le but partagé, c'est le retour rapide du Parlement européen à Strasbourg.

Strasbourg est non seulement le siège du Parlement européen, mais c'est une des villes en Europe qui accueille le plus d'organisations internationales au sens large : Conseil de l'Europe - Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'homme -, Parlement européen, mais aussi Arte - qui n'est pas une organisation internationale au sens strict. Il y a toute une dimension européenne franco-allemande à Strasbourg que l'on ne valorise pas suffisamment. J'ai proposé aux élus que, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous valorisions davantage Strasbourg par l'accueil d'événements, et notamment, en lançant à Strasbourg la conférence sur l'avenir de l'Europe.

Le Président de la République lui-même a écrit et parlé au président du Parlement européen pour demander un retour rapide, si possible pour la session dite d'octobre 2, c'est-à-dire de la semaine prochaine. La situation sanitaire est certes difficile, mais elle est plus difficile à Bruxelles qu'à Strasbourg. Je suis heureux de pouvoir réaffirmer cette ambition devant la représentation nationale, parce qu'il est important qu'au-delà de nos sensibilités politiques, nous défendions ce même intérêt national.

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