Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 octobre 2020 à 18h00
Débat préalable au conseil européen des 15 et 16 octobre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes en visioconférence

Photo de Didier MarieDidier Marie :

La première préoccupation des citoyens européens concerne aujourd'hui leur santé. L'épidémie de la covid-19 repart à la hausse et les hôpitaux voient leur taux d'occupation croître dangereusement. Certes, les compétences de santé relèvent des États membres, mais cette crise sanitaire montre la nécessité d'une réponse coordonnée. Si chaque pays agit séparément des autres, les principes mêmes qui fondent l'Union - comme la libre-circulation des personnes - seront mis à mal. La santé des uns dépend des politiques sanitaires des autres. Mme von der Leyen l'a justement souligné en appelant de ses voeux la constitution d'une union de la santé plus forte. Nous souhaitons que la France travaille à une intensification du partage de données et à une plus forte collaboration des autorités de santé pour développer un traitement efficace et avancer sur la recherche d'un vaccin - pour lequel la Commission a débloqué des crédits conséquents.

L'amélioration de la coordination dans la définition des critères sanitaires permettant d'engager des mesures partagées que vous nous annoncez est une bonne chose. Elle permettra d'éviter des décalages d'interprétation.

Existe-t-il, à l'échelle de l'Union, une stratégie d'achat, de production et de stockage des masques, gants, blouses et appareils respiratoires - qui ont tant manqué lors de la première vague - pour permettre de faire face à d'éventuelles pénuries ?

La situation est difficile : le Président de la République nous annoncera ce soir très certainement des mesures plus drastiques. L'annulation de l'inscription du projet de loi sur l'urgence sanitaire à notre ordre du jour de ce soir témoigne de la détérioration de la situation.

L'Union européenne souhaite aboutir à un accord sur le Brexit. Mais même la placidité de Michel Barnier - dont nous saluons les efforts - ne résiste plus aux rodomontades de Boris Johnson. Après neuf rounds de discussions, le pessimisme de l'Union européenne contraste avec l'optimisme affiché par David Frost. Cet optimisme britannique semble avant tout destiné à apaiser une opinion publique de plus en plus inquiète de la façon dont le gouvernement de Boris Johnson conduit les négociations.

Le temps est compté pour parvenir à un accord. Les points de convergence sont connus et n'ont pas changé. Les points de divergence restent, eux, toujours aussi importants : garanties pour une concurrence ouverte et loyale, pêche, respect de l'accord de sortie et du protocole irlandais, protection des données personnelles, réchauffement climatique et tarification carbone. Il est intolérable que le Parlement britannique ait remis en cause l'accord de retrait, faisant fi du droit international. Cela relève à nos yeux d'une procédure d'infraction devant la Cour de justice de l'Union européenne. Boris Johnson a dit et répété que si un compromis n'émergeait pas demain, il claquerait la porte des négociations. Nous connaissons tous les risques d'une rupture, mais ne vaut-il pas mieux aucun accord qu'un mauvais accord ? Avons-nous la certitude que toutes les mesures ont été prévues à l'échelle de l'Union et de la France pour faire face à une absence d'accord ?

L'Europe doit cesser d'être malmenée, voire moquée par notre ancien partenaire : elle doit rester forte et droite dans ses bottes. Sa crédibilité internationale et sa cohésion sont aujourd'hui en jeu.

Sur le plan de relance, nous nous réjouissons du pas franchi en juillet par l'Union européenne. C'est un accord historique en raison de ses montants et du mécanisme à caractère fédéral qui permet pour la première fois la mutualisation des risques et des transferts. Mais cet accord est le fruit d'un compromis à l'européenne : il a donc un coût politique. Il est en outre temporaire, limité au 31 décembre 2023, tant pour les aides et prêts consentis aux États membres, que pour la capacité d'emprunt de la Commission. Il aurait pu être l'occasion de se doter enfin d'instruments pérennes, conférant à l'Union une plus grande autonomie stratégique dans la durée. Ce n'est donc qu'un premier pas. L'émission commune d'un emprunt européen est à saluer, même s'il est regrettable que l'octroi des prêts ait été conditionné à des réformes structurelles, sous la pression des États dits frugaux. S'agira-t-il, une fois de plus, de réduire la dépense publique ? De privatiser les services publics ? De flexibiliser le droit du travail ? De libéraliser toujours plus nos économies ? S'agira-t-il d'administrer les mêmes remèdes que ceux qui ont mis nos services de santé à genoux et fait disparaître les services publics de nos territoires ruraux ? Il est inacceptable de fonder les relations au sein de l'Union sur le présupposé que certains États seraient de mauvais gestionnaires et d'autres de vertueux.

Ce plan doit venir en aide aux pays les plus touchés par l'épidémie, ceux dont l'économie a été la plus affectée. C'est d'une réorientation des politiques économiques dont nous aurions besoin et d'une éco-conditionnalité des aides pour lutter contre le réchauffement climatique et diminuer notre empreinte carbone. L'accord sur ce plan de relance s'est fait au détriment des prévisions initiales du cadre financier pluriannuel et des dépenses en faveur du redressement des entreprises, de la recherche et de l'investissement.

Le mécanisme liant l'octroi des fonds européens au respect de l'État de droit est sorti très affaibli de ces négociations, le restreignant aux pratiques de corruption et d'utilisation frauduleuse des fonds européens. L'Union européenne doit urgemment se doter d'un mécanisme pour défendre la démocratie et faire respecter les valeurs énoncées à l'article 2 du traité de Lisbonne. Elle ne doit pas être une union à la carte où l'on prendrait les subventions et où l'on s'assiérait sur la liberté de la presse, l'indépendance de la justice et les libertés fondamentales ! Nous comptons sur le Président de la République pour le rappeler lors du prochain Conseil européen.

Alors que l'Europe fait face à l'exacerbation des rapports de force et des tensions et à une instabilité à ses frontières, elle peine à définir un positionnement crédible. Il est nécessaire que l'Europe se dote d'une boussole et d'une voix forte pour imposer ses vues, alors qu'elle se voit sans cesse défiée tant sur son sol par des États prédateurs de ses entreprises et de ses emplois, qu'à l'international où le multilatéralisme est mis à mal. L'Europe doit organiser son autonomie stratégique et assumer sa souveraineté. L'Europe n'existera que si elle est puissance et utilise sa principale arme - son marché intérieur - pour faire valoir ses idéaux politiques.

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