Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 octobre 2020 à 18h00
Débat préalable au conseil européen des 15 et 16 octobre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes en visioconférence

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Le menu de ce Conseil européen - c'est une constante depuis deux ans - sera particulièrement copieux : on y parlera covid-19, changement climatique, relations extérieures de l'Union et Brexit, ou plutôt nouvelles relations de l'Union européenne avec le Royaume-Uni. En coulisses, le plan de relance sera vraisemblablement l'objet de nombreux échanges informels. S'y ajouteront certainement deux plats surprises.

Le premier dossier, c'est la question du Bélarusse et de la Russie, à l'aune des sanctions envisagées avant-hier lors du Conseil des Affaires étrangères. Ces sanctions viseraient plusieurs dirigeants biélorusses, dont le président Alexandre Loukachenko, ainsi que plusieurs responsables, en Russie, liés à la tentative d'assassinat par empoisonnement d'Alexeï Navalny.

Je salue le changement d'approche de l'Union européenne en matière de sanctions à l'égard de pays tiers coupables de crimes d'État ou d'agressions délibérées envers une nation, sa population ou des opposants au régime en place. Dans nombre de cas, les sanctions ciblées sur les dirigeants coupables de ces crimes sont bien plus justes et politiquement efficaces que des sanctions économiques globales. Ces dernières frappent surtout les populations, qui en conçoivent une aversion notable pour l'Union et en viennent à soutenir davantage leurs dirigeants controversés. De plus, certaines entreprises européennes peu soucieuses d'éthique contournent assez fréquemment les mesures d'embargo prises par l'Union. Enfin, lesdites sanctions provoquent des mesures de rétorsion économique à l'égard des pays et des entreprises de l'Union européenne. Les sanctions économiques prises contre la Fédération de Russie après l'annexion de la Crimée illustrent bien cette piètre efficacité politique. In fine, pour couronner le tout, les instances européennes ont bien du mal à abandonner de telles mesures sans perdre la face.

En l'état de la politique étrangère commune de l'Union, oser imposer des sanctions ciblées à l'endroit des dirigeants incriminés exige davantage de cohésion politique et de courage. C'est tout l'intérêt de l'adoption de lois de type Magnitski, actuellement envisagée à l'échelle communautaire. Cette initiative est appuyée par la France et par nombre d'autres États européens. Il semblerait que 26 pays membres de l'Union européenne se soient déjà accordés en faveur d'une telle législation, dont le Royaume-Uni dispose depuis 2018. Mais, sans avoir totalement fermé la porte, la Hongrie demeure réticente. Pouvez-vous nous faire un point sur ce sujet, ainsi que sur la philosophie générale du Gouvernement quant aux sanctions européennes applicables à un pays tiers ?

Le second dossier, c'est le Brexit et la perspective, malheureusement bien réelle, d'un no deal. La crise de la covid semble avoir un temps occulté ce qui, durant cinq ans, a été le premier sujet de préoccupation de l'Europe. Sur la longue liste des séquelles induites par ce terrible virus, les médecins n'ont pas encore référencé la cécité. C'est pourtant bien un des effets collatéraux du coronavirus. La nécrose qui frappe, en une seconde vague, notre continent, ne doit cependant pas nous faire oublier cette amputation majeure que constitue le départ du Royaume-Uni.

Outre leur fierté de grande nation insulaire, les Britanniques ont un sens inné des termes percutants. Ils viennent de créer, non sans humour, le terme de « Brovid ». Ce mot qualifie la double affection qui frappe leurs dirigeants actuels, au premier rang desquels Boris Johnson, mélange de mauvaises réponses à la pandémie et d'impréparation inquiétante du royaume à la veille de sa sortie de l'Union.

La perte de mémoire, l'oubli des engagements pris semblent également des séquelles bien britanniques de la covid, qui a déjà fait plus de 42 000 morts dans le pays. Début septembre, la Chambre des Communes a adopté un projet de loi sur le marché intérieur, présenté par le Gouvernement, qui par sa nature même viole l'obligation de bonne foi prévue dans l'accord de retrait, voté moins d'un an auparavant.

Je salue les propos clairs et très fermes que vous avez tenus la semaine dernière à ce sujet. La réalité politique résultant d'un no deal risque fort d'être sans appel pour le Royaume-Uni et ses peuples, que nous apprécions tous pour leur apport incommensurable à la civilisation européenne.

Il est loin le temps où Donald Trump faisait miroiter aux dirigeants britanniques un accord commercial extraordinaire, ou « very big deal » ! Le président américain semble aujourd'hui se battre pour sa survie politique, et l'on peut se demander si, au 10 Downing Street, l'on prie avec tant de ferveur que naguère pour sa réélection.

La perspective, un temps envisagée par Londres, d'un modèle économique post-Brexit comparable à celui de Singapour - « facilitateur fiscal », autrement dit modèle fondé sur un dumping fiscal effréné - n'est guère plus réaliste. Fort d'une population de plus de 67 millions d'habitants, et devant assumer une dépense publique et sociale assez élevée, le Royaume-Uni ne peut réduire drastiquement ses recettes fiscales comme le font certains micro-États, parfois qualifiés de paradis fiscaux.

En résumé, en cas de no deal, il n'y a pas de solution économiquement sûre et viable pour le Royaume-Uni. Mais les arguments de raison ne semblent pas avoir de prise sur le gouvernement britannique : tout n'est plus que guerre de symboles, contre Bruxelles et, accessoirement, contre Paris. La future politique britannique de la pêche risque fort d'être conçue au détriment de nos pêcheurs. Quelles mesures spécifiques le Gouvernement entend-il prendre en la matière, en cas de sortie sèche du Royaume-Uni, entraînant un accès moindre, voire nul à la zone économique exclusive (ZEE) britannique au 1er janvier 2021 ? Des mécanismes de compensation, d'aide ou de dédommagement sont-ils à l'étude pour soutenir nos pêcheurs ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion