Intervention de Pierre Cuypers

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 octobre 2020 à 18h00
Débat préalable au conseil européen des 15 et 16 octobre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes en visioconférence

Photo de Pierre CuypersPierre Cuypers :

Au milieu d'une actualité européenne particulièrement dense, le prochain Conseil européen traitera de sujets essentiels à court et à long termes. Le premier d'entre eux est le Brexit, feuilleton à suspense et à rebondissements depuis le référendum de 2016.

Le dernier coup de Trafalgar de Boris Johnson est beaucoup plus inquiétant que les péripéties précédentes.

Ces dernières semaines, les discussions étaient une nouvelle fois dans l'impasse, notamment en raison des attentes contradictoires des Britanniques, entre la volonté de reprendre le contrôle sur leurs lois et leurs frontières et l'ambition d'un accès libre au marché unique. Le projet de loi sur le marché intérieur, présenté mi-septembre par le gouvernement britannique, pose une difficulté d'une autre nature : c'est désormais, hélas ! d'une question de confiance qu'il s'agit, d'autant que, dans le cadre de l'accord de retrait, nous avons accepté de déléguer au Royaume-Uni nos contrôles douaniers et nos perceptions de droits sur les marchandises en provenance d'Irlande du Nord.

Peut-on se fier à un interlocuteur qui assume sans fard de revenir sur un traité qu'il a lui-même négocié et fait approuver il y a moins d'un an ? J'ajoute que les Britanniques justifient ce revirement par un argument absolument invraisemblable : au titre de l'accord de retrait, l'Union européenne pourrait provoquer un blocus alimentaire en Irlande du Nord. Qui peut croire que les Européens vont affamer les Nord-Irlandais ? C'est parfaitement insensé, surtout quand on sait que, de son côté, Londres n'a jamais été en mesure de proposer une solution crédible au problème de la frontière irlandaise.

En définitive, nous avons tous intérêt à poursuivre le dialogue et à trouver un accord mutuellement acceptable, pour conserver des relations aussi étroites que possible dans tous les domaines. Mais la confiance, sans être définitivement rompue, est sérieusement écornée. Il appartient à Londres de faire les gestes nécessaires pour la restaurer, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre de l'accord de retrait ou des pourparlers relatifs à la relation future - je pense notamment aux questions liées à la pêche et aux conditions de concurrence équitable. À un peu moins de deux mois de la fin de la période de transition, et à quinze jours de la date limite fixée pour conclure les négociations, le temps presse.

Un autre sujet fondamental inscrit à l'agenda des chefs d'État et de gouvernement est le climat. Les propositions de la Commission, à savoir l'objectif de neutralité climatique pour l'Union européenne dans son ensemble à l'horizon 2050 et l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, rehaussé de 40 % à 55 % d'ici à 2030, sont particulièrement ambitieuses.

Il s'agit, à ce jour, du plan de lutte contre le changement climatique le plus robuste au monde. Aucune autre grande économie ne se rapproche pour l'heure de cette trajectoire. Une action résolue en faveur du climat est devenue indispensable, mais la transformation que l'Europe entend engager entraînera des coûts économiques extrêmement élevés. Le plan d'investissement pour le pacte vert, présenté en décembre dernier, y pourvoira en partie, ainsi que le plan de relance européen, dont 30 % des crédits seront consacrés aux mesures climatiques. En particulier, 37 % des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience y seront dédiés.

Malgré ces efforts, on sera encore très loin des 260 milliards d'euros d'investissements additionnels annuels que la Commission juge nécessaires pour atteindre le seul objectif de réduction de 40 % des émissions d'ici à 2030. Une grande partie de ces investissements devra donc provenir du secteur privé. Or ce dernier ne pourra pas les assumer sans un soutien fort au développement des nouvelles technologies bas carbone, qui constitueront la principale clef du changement. Le constat vaut pour l'industrie et pour les transports, ainsi que pour l'agriculture, à qui de nouveaux objectifs très, voire trop exigeants pourraient être assignés dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table », de la stratégie « biodiversité » et de la nouvelle architecture verte de la PAC.

La révision des cibles climatiques pour 2030 et 2050 rend encore plus urgente la nécessité de revoir la politique de la concurrence et la politique commerciale. Elles aussi doivent désormais contribuer à ce que nos entreprises soient en capacité de faire face à une concurrence internationale climatiquement moins-disante et de dégager les marges de manoeuvre nécessaires à leur transition écologique. Je pense en particulier à l'introduction d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe. Dans ce nouveau contexte, ce n'est plus une option, mais une nécessité absolue, qui doit être concrétisée sans délai, tant pour préserver notre compétitivité que pour éviter de nouvelles fuites de carbone. C'est une question de cohérence économique et écologique : sur ce sujet, il faut aller vite et loin.

Le dernier point à l'ordre du jour du Conseil européen a pour objet les relations entre l'Union européenne et l'Afrique. Alors que les négociations pour un nouveau partenariat post-Cotonou se poursuivent, la Commission et le haut représentant de l'Union européenne ont présenté, en mars dernier, les grands axes qu'ils proposent pour le développement d'une stratégie globale commune avec l'Union africaine.

À mon sens, deux de ces axes méritent particulièrement notre attention.

Tout d'abord, il faut mettre l'accent avec une force toute particulière sur l'intégration économique locale, le développement des compétences et, surtout, la stimulation des investissements. L'Europe est le premier pourvoyeur d'aide au développement de l'Afrique et il est important qu'elle le demeure. Mais il me semble encore plus important de dépasser cette seule approche pour développer un partenariat économique plus robuste et équilibré. En premier lieu, il convient donc d'accroître l'investissement dans la croissance des entreprises africaines. C'est le meilleur moyen de renforcer le tissu économique et de conforter le décollage économique du continent.

Ensuite, c'est un bon moyen d'agir sur les causes profondes de la migration, lesquelles constituent le second axe.

La question est revenue au premier plan ces derniers jours, avec le nouveau pacte sur la migration et l'asile. Bien des critiques ont déjà été formulées à cet égard - la proposition phare de nouveau mécanisme de solidarité a notamment été mise en cause. Bien sûr, le dispositif a tout de l'usine à gaz. Mais ce paquet a le mérite de confirmer un certain changement de ton ; désormais, la position se veut beaucoup plus ferme. C'est notamment vrai pour ce qui concerne le retour des migrants ne pouvant prétendre à l'asile. Toutefois, ce tournant sous-entend une meilleure coopération de la part des pays de départ et de transit en matière de réadmission.

Dans la définition de ses relations avec l'Afrique, l'Union européenne devra donc tenir une ligne claire quant à la conditionnalité migratoire. Sur ce sujet, les engagements seuls ne suffiront pas ; l'orientation de certaines politiques européennes, en matière de visas ou d'aides financières notamment, devra être soumise à leur mise en oeuvre effective. Cette fermeté est désormais indispensable : elle engage la crédibilité de la politique migratoire aux yeux de nos concitoyens.

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