Intervention de Édouard Philippe

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 29 octobre 2020 à 10h30
Audition de M. édouard Philippe ancien premier ministre

Édouard Philippe, ancien Premier ministre :

J'ai parfaitement conscience que cette audition se tient à un moment très particulier, le lendemain des annonces du Président de la République face à la résurgence de la vague épidémique qui frappe à nouveau le pays, au moment où le Premier ministre présente à l'Assemblée nationale les mesures qui s'imposent, alors qu'un débat y a lieu, avant celui qui se tiendra cet après-midi au Sénat, et alors même que la France et singulièrement la ville de Nice viennent d'être frappées par un crime dans une église dont tout semble indiquer qu'il relève d'une logique d'attentat.

Soyez assurés que je prends très au sérieux cette audition et le process dans lequel vous vous inscrivez, c'est-à-dire réfléchir sur ce qui a bien fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné, pour en tirer des leçons sur le fonctionnement global de notre réponse publique et privée. Votre mission est difficile, sur un événement qui est en cours. Tout indique que la deuxième vague sera plus forte que la première. Cela vous impose un exercice compliqué de lucidité dans l'action.

L'un des aspects qui m'a paru essentiel lors de la première vague a été d'assurer l'information la plus complète possible aux assemblées parlementaires. J'ai évidemment tenu à participer à l'ensemble des séances de questions au Gouvernement. J'ai tenu à rassembler les présidents des groupes parlementaires, par visioconférence pendant le confinement, pour les informer de nos contraintes et décisions. J'ai tenu à présenter à l'Assemblée nationale et au Sénat la stratégie menée ; ces présentations ont donné lieu à des débats et des votes. Bref, nous avons tenu à transmettre, dans de bonnes conditions, aux présidents des chambres, l'ensemble de nos décisions, pour garantir l'information la plus complète possible du Parlement.

Monsieur le président, vous avez évoqué la controverse scientifique et l'effet de la menace pénale sur le processus de décision.

Sur la première question, il n'est pas anormal que nos concitoyens se soient passionnés pour des questions scientifiques et qu'ils aient essayé de les comprendre. Cette épidémie est tellement puissante et déstabilisante que cette soif de savoir est parfaitement légitime. Il n'est pas non plus illégitime que les médias aient cherché à faire parler ceux qui sont le mieux à même d'expliquer ce qu'est cette maladie. En démocratie, il faut se réjouir que le débat public s'y intéresse. Ce qui est très regrettable, c'est que ces débats scientifiques se soient déroulés dans un désordre considérable, sans aucune régulation, et que notre système démocratique ait laissé prospérer des prises de position souvent définitives, parfois exprimées sur un ton où l'humilité du scientifique était très discrète - je suis poli - et qui ont rendu le débat, l'appréciation de nos concitoyens et la prise de décision moins clairs et plus confus. Cette controverse a eu un impact que je déplore très sincèrement, en délégitimant la parole scientifique.

Depuis que je ne suis plus Premier ministre et que je suis maire du Havre, je suis très frappé de la réaction de certains de nos concitoyens, très dure sur le rôle des scientifiques dans la controverse et sur celui des non-scientifiques qui, se basant sur les propos des scientifiques, en rajoutaient.

J'ai eu l'occasion de dire à l'Assemblée nationale qu'en janvier, février, mars la doctrine sur les masques, que nous portons tous aujourd'hui, était claire pour les soignants et les malades, mais pas pour la population générale. Je trouvais au moins autant de professeurs de médecine aux titres impressionnants pour me dire qu'il fallait en porter que pour me dire que cela n'avait aucun intérêt. Si la doctrine médicale avait été claire, l'action et la décision publiques auraient été évidemment plus simples et univoques - je vous le garantis. Les controverses et anathèmes ont rendu la décision publique plus difficile sur un certain nombre de points.

Concernant le risque pénal, il n'a jamais été question pour moi de dire que telle ou telle situation exigeait que l'on s'extraie de toute responsabilité. Un décideur public est, comme n'importe quel citoyen, soumis à une réglementation, et sa responsabilité pénale peut être engagée s'il ne la respecte pas. Je n'ai jamais eu à l'esprit de l'éviter, soyons clair !

Dans une crise de cette nature, avec un nombre d'incertitudes absolument considérable et un nombre d'acteurs tout aussi considérable, qui, tous, doivent, dans l'exercice de leurs compétences, prendre des décisions, dès que la menace pénale apparaît, vous observez une plus grande difficulté à prendre des décisions et la volonté de se reporter à l'échelon du dessus. Cette mécanique peut emboliser le système. Ce fait humain constaté a tendance à ralentir la prise de décision quand elle devrait être rapide, à l'inhiber quand elle devrait être assumée. Collectivement, notre système a pu fonctionner moins bien, car ce risque s'est tellement diffusé que beaucoup de décideurs ont été hésitants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion