Intervention de Édouard Philippe

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 29 octobre 2020 à 10h30
Audition de M. édouard Philippe ancien premier ministre

Édouard Philippe, ancien Premier ministre :

Aussi longtemps qu'Agnès Buzyn a été ministre des solidarités et de la santé, j'ai travaillé avec elle en confiance et avec plaisir. Nous avions des échanges très directs et complets, je me réjouissais de son expertise et je me félicitais de la façon dont elle avait préparé, puis défendu, le projet de loi relatif à la bioéthique. Je n'avais a priori aucune envie qu'elle cesse d'exercer ses fonctions. Vous savez les circonstances dans lesquelles la question des candidatures aux élections municipales parisiennes s'est posée. Plusieurs personnes ont évoqué avec elle la possibilité que, plutôt que de rester médecin devenu ministre, elle s'implique complètement dans le jeu démocratique. Elle y a réfléchi, elle a hésité et elle a décidé d'y aller ; c'est parfaitement respectable. Je ne vois pas comment j'aurais pu lui refuser, moi qui suis extrêmement attaché à l'engagement électoral, de s'engager dans ce combat électoral difficile, qui n'était pas gagné d'avance. Je respecte sa décision ; c'est ce que je lui ai dit, en lui souhaitant bon courage.

Les relations internationales, elles aussi, rendent modestes. Quand la crise arrive, des systèmes que l'on croit bien établis et des habitudes que l'on croit bien inscrites dans les comportements peuvent très rapidement se rétracter et se crisper. Je ne sais pas comment qualifier la façon dont l'OMS - grande organisation internationale, indispensable dans le monde de la santé - a fonctionné. J'ai été marqué par sa doctrine sur les masques. Certains ont critiqué le délai avec lequel l'OMS a émis ses alertes relatives à la situation en Chine ; je n'ai pas d'avis sur le sujet.

Le dispositif international dans son ensemble a été assez peu convaincant. Comme l'ont rappelé Agnès Buzyn et Olivier Véran, au début de la crise - certains nous demandent si nous avions alors conscience du sujet -, nous avons évoqué avec nos partenaires européens la nécessité de prendre certaines mesures, ceux-ci, quand ils venaient aux réunions, nous demandaient pourquoi donc nous réagissions ainsi. Agnès Buzyn en a été horrifiée. Olivier Véran en a aussi fait l'expérience en tant que ministre, donc après le 16 février.

Après le désintérêt manifeste de certains pays européens courant janvier et au début de février, j'ai moi-même pu observer, pendant la crise, la résurgence de logiques très nationales. On peut d'ailleurs faire ce reproche également à la France. La réquisition des masques décidée le 3 mars, geste que j'assume du point de vue national, a eu un impact : à n'en pas douter, certains responsables étrangers qui attendaient des commandes venant de France ont dû trouver ce geste égoïste. La logique nationale a prévalu très rapidement.

Vous avez évoqué nos relations avec l'Italie, pays que je connais un peu et que j'aime beaucoup ; j'y passe du temps dès que je le peux. Je n'ai jamais eu la moindre sympathie pour ceux qui croient que le système de santé publique de l'Italie du Nord n'est pas à la hauteur des enjeux. C'est une région riche. Je n'ai jamais pensé que le nécessaire n'y était pas fait. Nous - Français, Allemands, Européens - avons été aussi surpris que les Italiens par la rapidité et la brutalité de l'épidémie ; nous n'avons pas su avoir les bons gestes et les bonnes mesures à la destination de nos amis qui subissaient la première vague sans avoir pu s'y préparer. Il y avait un souci d'aider : un sommet franco-italien s'est tenu le 27 février à Naples ; le Président de la République s'en était remis à son homologue italien quant à la décision de le maintenir. Pour autant, je ne suis pas sûr qu'on ait trouvé les bons moyens d'aider.

Au début de la crise, l'Union européenne n'a pas été non plus d'une aide considérable ; on peut se féliciter de sa réaction plus tard, autour du plan de relance et des réactions de la Banque centrale européenne (BCE), et aujourd'hui encore avec les commandes de vaccins et les financements à prendre. Au début, la logique nationale a pris le dessus, comme en témoigne la manière dont ont été décidées les fermetures de frontières : au sein de Schengen, la gestion optimale aurait été collective, on aurait décidé des règles d'ouverture et de fermeture ensemble. Il n'y a même pas eu de gestion bilatérale ! L'Allemagne a pris des décisions sur la frontière franco-allemande sans nous prévenir, tout comme la Belgique ; la Suisse nous a prévenus quatre heures avant de les prendre. La qualité du travail bilatéral et multilatéral s'est trouvée très affectée. Nous allons devoir corriger ce problème.

Concernant le Ségur de la santé, conscient de la situation difficile et de la charge terrible qui avait pesé, notamment, sur certains services hospitaliers pendant la première vague, le Président de la République a souhaité, par des décisions massives, non seulement exprimer notre reconnaissance, mais aussi donner des perspectives pour construire la suite. Le travail s'est poursuivi, des décisions ont été prises, qui doivent être traduites dans des budgets, des primes, des recrutements. Un système de santé est le produit de très lentes et longues évolutions. L'essentiel serait que la cohérence demeure autour des lignes dégagées au terme de ce Ségur, car je crois qu'elles produiront leur effet. Cependant, il y a urgence : la deuxième vague va affecter de manière massive le fonctionnement des services hospitaliers, partout sur le territoire. On doute qu'il puisse y avoir du répit, même dans certaines régions ; ce sera un élément de tension considérable.

Comme souvent, dans les moments les plus durs se révèle le plus noir, mais aussi le plus lumineux. J'ai pu constater - je le fais encore au Havre - que des coopérations entre établissements publics et privés jusqu'alors impensables sont devenues possibles, même si elles restent difficiles. Les acteurs de la santé comprennent mieux que d'autres combien la situation est délicate et essaient d'en tirer les conséquences ; il faut s'en réjouir.

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