Je vais faire une présentation dans le désordre, pour être congruent avec la politique budgétaire du Gouvernement.
Je commence par le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux », pour lequel aucun crédit n'est prévu, et ce depuis des années. Je vous proposerai de l'adopter.
Je passe au compte d'affectation spéciale (CAS) « Participation de la France au désendettement de la Grèce », qui ne soulève pas de problème particulier. J'en rappelle simplement le mécanisme. Au moment où la Grèce avait des difficultés à emprunter, l'Eurosystème, et en l'occurrence la Banque de France, ont acheté des titres grecs. Ceux-ci rapportent des intérêts, que le Gouvernement français reverse à la Grèce. Je vous proposerai également d'adopter les crédits de ce CAS.
J'en viens au compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État et organismes gérant des services publics » - nous finirons par la dette, vous l'avez bien compris. Ce compte a été très mobilisé en 2020, contrairement à ce qu'on observe d'habitude. Cela donne des multiplications par 20 de certaines lignes. Il s'agit, en vérité, de faire de l'avance de trésorerie ou des avances de plus long-terme à des organismes qui n'ont pas le droit de s'endetter. Évidemment, 2020 a été particulièrement difficile et, en 2021, il restera des reliquats. Ainsi, les avances pour le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », que suit notre collègue M. Capo-Canellas, ont été renforcées de 1,2 milliard d'euros en 2020 ! Il y a aussi eu une nouvelle avance de 50 millions d'euros pour l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, que nous avons votée dans le troisième projet de loi de finances rectificative. Il y a aussi des aides au secteur agricole Nos collègues sénateurs français de l'étranger s'étaient battus sur ce point. Ces actions ont contribué à dégrader le solde du compte, puisqu'il y a un décalage temporel entre les avances de trésorerie et leur remboursement. Les crédits ouverts au titre des avances pouvant être accordées au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » ont été multipliés par quinze entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi finances pour 2021.
Le problème est que certaines de ses avances peuvent paraître contraires à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances : elles sont attribuées pour de longue durée, de manière répétée pour certains organismes ou pour couvrir des besoins qui ne sont pas simplement de la trésorerie. On peut alors se demander s'il ne faudrait pas plutôt, pour les organismes bénéficiaires, une vraie budgétisation sur d'autres programmes, et non une avance d'une année sur l'autre. Il y a donc là une sorte de tour de passe-passe, via un compte de concours financiers. Nous devons respecter l'esprit de la LOLF. Je vous proposerai donc de réserver notre position sur ce compte, en attendant l'examen des crédits présentés par M. Vincent Capo-Canellas sur le budget annexe contrôle et exploitation aériens.
Le quatrième point que je voulais évoquer concerne le programme 336 « Dotation du Mécanisme européen de stabilité » de la mission « Engagements financiers de l'État ». D'habitude, ce programme est financé par des crédits non répartis ou par une ouverture en loi de finances rectificative. Cette année, enfin, le Gouvernement le dote dès le projet de loi de finances, de 79 millions d'euros. Au moins, le « quoi qu'il en coûte » aura accru la sincérité budgétaire de certaines lignes.
Le programme 145 « Épargne » concerne les primes des comptes et des plans épargne-logement, pour dire les choses simplement. Il est doté de 62 millions d'euros. Y sont aussi rattachées les dépenses fiscales liées aux livrets règlementés, comme le Livret A. Les crédits octroyés ne me posent aucun problème.
Le programme 114 « Appels en garantie de l'État » passe, lui, de 94 millions d'euros en loi de finances initiale à 2,5 milliards d'euros : petite hausse ! Les crédits sont multipliés par 26 ! Cette hausse est largement liée aux prêts garantis par l'État (PGE). C'est donc l'un des programmes qui portent aussi les plans de relance ou de soutien de l'économie de l'année 2020.
J'en viens à présent à la dette, qui n'est autre chose que la somme de nos déficits. Or, en 2019, la France continuait à creuser son déficit, même si on nous parlait d'un effet temporaire, lié au crédit d'impôt compétitivité-emploi. Notre dette se stabilisait toutefois, car nous avions un peu de croissance et des taux favorables, mais ne diminuait pas, contrairement à celle d'autres pays. Comme l'avait dit Albéric de Montgolfier, et comme Jean-François Husson nous l'expliquera de nouveau, nous avions gardé un niveau de dette très élevé.
Le pourcentage du PIB est une chose, mais il faut aussi penser aux milliards d'euros en jeu, car le marché international de la dette s'évalue à cette aune. La dette de l'Allemagne, notée AAA, se monte à 2 000 milliards d'euros. Nous, nous en sommes à 2 400 milliards d'euros, notés AA. La dette des Pays-Bas, notée AAA, représente à l'inverse moins de 400 milliards d'euros : ce ne sont pas les mêmes échelles.
Paradoxalement, plus notre dette augmente, moins elle nous coûte cher ! On dirait qu'on a retrouvé la recette de l'argent magique... Entre 2011 et 2020, alors que la dette s'est gonflée de 30 points de PIB, la charge de la dette, elle, est passée de 46 à 35 milliards d'euros. Cela s'explique en observant la courbe des taux et notamment le taux de référence, celui de l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans. En 2011, le taux était d'environ 3,30 % ; aujourd'hui, il tourne autour de - 0,11 %. Nous avons donc gagné 340 points de base. Si l'on multiplie par les quelque 260 milliards d'euros que nous allons emprunter en 2020 et en 2021, on comprend comment nous faisons des économies... Il faut se demander quand cette capacité à amortir notre dette à des taux inférieurs à ceux de leur émission prendra fin. C'est en 2015 que les taux sont passés en dessous de 1 %, si on prend pour hypothèse une légère remontée des taux, c'est vers 2025 qu'il faut fixer la fin du bonneteau : jusqu'en 2025, eu égard aux stocks, nous allons continuer à voir baisser la charge d'intérêt. Mais il y aura un moment de vérité. Les bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF), eux, sont carrément à taux négatif : émettre à court terme nous rapporte de l'argent. Quand vous émettez, on vous donne de l'argent ! C'est extraordinaire ; j'ai essayé, mais cela ne fonctionne pas : je dois avoir moins de crédit que la France... Comment allons-nous nous financer dans les années à venir ? En tous cas, nous en avons au moins jusqu'en 2025. En 2027, cela ne fonctionnera plus : ce ne sera pas le moment d'être candidat à la présidentielle...
L'Agence France Trésor effectue une simulation de l'effet d'une hausse des taux de 100 points de base - qui n'a rien d'impossible. La première année, cela nous coûterait un peu plus de 2,5 milliards d'euros ; en 2025 ans, le coût serait de 15 milliards d'euros et, en 2030, il approcherait les 30 milliards d'euros. Aujourd'hui, nous sommes bien accrochés à l'Allemagne, et nous avons gardé un spread de taux d'intérêt de 30 points de base. Il y a bien eu au mois de mars une petite alerte, qui a accru ce spread de 50 points de base. Il peut encore s'accroître, car nous n'avons pas la bonne trajectoire de déficit et de dette.
Les agences de notation que nous avons entendues considèrent la France comme un pays solide et sérieux, qui rembourse ce qu'il doit. Les aspects institutionnels sont très importants pour elles. La stabilité démocratique et institutionnelle font partie des éléments qui nourrissent la confiance qu'on peut avoir dans un pays : 20 % de la note est fondée sur ce critère.
Cependant, le problème est que nous sommes l'un des rares pays à avoir continué d'aggraver notre déficit public et notre dette même en période de croissance. Avoir eu la mauvaise trajectoire de déficit public auparavant, pendant les années de vaches un peu plus grasses, crée un problème de confiance sur notre capacité à retrouver une trajectoire assainie pour nos finances publiques. Or la soutenabilité de la dette dépend de sa crédibilité. Et notre comportement passé nous fait manquer aujourd'hui de crédibilité en termes de réduction des déficits... C'est pourquoi les agences de notation inscrivent en facteur de vulnérabilité notre volonté politique et notre capacité réelle à améliorer la soutenabilité des finances publiques.