Intervention de Stéphane Piednoir

Réunion du 28 octobre 2020 à 15h00
Programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 — Discussion générale

Photo de Stéphane PiednoirStéphane Piednoir :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’occasion est en définitive assez rare, pour un exécutif, de porter une loi de programmation budgétaire. Il y a incontestablement un large consensus pour convenir de la dimension stratégique lorsqu’on évoque les missions de notre défense nationale, mais cela semble beaucoup moins évident lorsqu’on fait référence à notre recherche.

Pourtant, s’il ne fallait prendre que ce seul exemple, la violence de la crise sanitaire que nous traversons, avec son lot de questionnements et d’espoirs scientifiques, renforce, si besoin était, la nécessité d’une recherche à la hauteur des enjeux contemporains.

S’inscrivant dans le temps long, les travaux de nos chercheurs portent en effet l’espoir de répondre à des transformations profondes de notre société, comme la transition énergétique ou l’intelligence artificielle. L’opinion publique en a sans doute une perception partielle et diffuse, alors que c’est fondamental pour notre avenir.

Par ailleurs, le temps de gestation particulièrement long de cette loi de programmation de la recherche n’est sans doute pas étranger à l’intensité des attentes qu’elle suscite ni à l’ampleur des manifestations hostiles à son encontre. Très sincèrement, pour avoir participé aux auditions menées par notre rapporteure Laure Darcos, je dois admettre que la synthèse objective des avis enregistrés relève de la gageure.

J’en profite pour saluer le travail de qualité réalisé par ma collègue rapporteure, dans des conditions très défavorables à un examen parlementaire éclairé, puisqu’elle l’a réalisé dans des délais plus que contraints et en plein renouvellement sénatorial. Je remercie également nos administrateurs de la finesse de leur concours et de l’ampleur de leur disponibilité.

Madame la ministre, mes chers collègues, de nombreux indicateurs font état d’un diagnostic sans appel, que nous partageons de manière unanime : la recherche française décroche. Son sous-financement chronique ne lui permet plus d’espérer figurer dans le peloton de tête des nations qui font avancer la science, et nos meilleurs talents comprennent vite qu’il leur faut quitter le territoire national pour mener à bien leurs travaux. L’itinéraire d’Emmanuelle Charpentier, lauréate cette année du prix Nobel de chimie, est éloquent : après un parcours académique exemplaire, c’est outre-Atlantique qu’elle a trouvé les financements nécessaires à l’éclosion de son talent.

Le deuxième constat est celui d’un décalage entre les annonces du processus de Lisbonne en 2000 et la réalité de l’effort budgétaire réellement consenti, loin de l’objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche. Dans le contexte actuel, on peut cyniquement observer que, à dépenses constantes, la baisse brutale de notre PIB cette année a mécaniquement fait monter ce taux d’effort. Mais là n’est évidemment pas l’objectif de cette LPPR.

Consacrer davantage de moyens à la recherche, mieux armer l’Agence nationale pour que davantage de projets soient validés, donner de réelles perspectives sur le temps long : voilà ce qu’attend l’ensemble de la communauté scientifique.

Madame la ministre, je ne doute pas un seul instant que ce soit également votre volonté, mais je dois d’abord vous faire part de ma déception concernant la présentation formelle de ce plan.

J’ai naïvement tendance à croire que, lorsque les mesures sont sincères, il n’est nul besoin de les gonfler par un quelconque artifice de marketing. Hélas ! l’inhabituelle présentation des dépenses sous forme cumulative, largement pointée par le Conseil d’État, génère d’emblée une suspicion de programmation bodybuildée qui dégonflera rapidement.

De plus, la quasi-concomitance de cette présentation avec les mesures du plan de relance et le début de l’examen du projet de loi de finances ne concourt pas à une extraordinaire lisibilité.

Toutefois, le plus grave est ailleurs, avec la durée exceptionnellement longue de cette programmation. Se projeter dans dix ans, c’est vouloir engager la responsabilité des exécutifs des deux prochains quinquennats. Ce n’est pas sérieux !

La nette concentration des efforts sur les cinq dernières années de ce plan ajoute au discrédit et nuit gravement à l’ambition affichée avec force communication, tout en occultant le renoncement à l’objectif de financement à hauteur de 1 % du PIB de la recherche publique.

Fort judicieusement, notre commission a décidé de revenir à un tempo plus cohérent, en inscrivant le texte dans un horizon de sept ans, ce qui correspond à la durée communément appliquée pour une loi de programmation. Je le dis comme je le pense, conserver cet agenda est un gage indispensable, que le Gouvernement doit collectivement accepter.

Il y a un troisième constat, moins consensuel : la complexité et la rigidité de la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, unique au monde. Avec les chaires de professeur junior (CPJ) et les contrats de mission, vous souhaitez, madame la ministre, ouvrir la voie à de nouveaux profils, comme nous avons pu le découvrir ensemble à Angers lors de votre récente visite ministérielle.

Sur ce point, vous avez courageusement décidé de lever les freins, au risque de vous heurter à une large partie des représentants syndicaux, plus attachés à la défense de statuts que soucieux de se mettre en phase avec le monde qui bouge autour d’eux.

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