Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout n’a pas commencé le 11 septembre 2001 !
Pays d’une superficie un peu plus grande que celle de la France, enclavé au carrefour des civilisations persane, turque, arabe, indienne, chinoise et russe, l’Afghanistan, par sa position géostratégique, a toujours entraîné des luttes pour l’appropriation de son territoire.
Mais l’Afghanistan est une forteresse naturelle qui a toujours su résister à l’envahisseur. Tous en ont fait l’expérience, d’Alexandre le Grand, fondateur de Kaboul, de Kandahar et d’Hérat, jusqu’aux Soviétiques dans un passé récent. La coalition y est aujourd’hui confrontée.
À la fin des années soixante, la famine et ses 100 000 morts, l’apparition de groupes révolutionnaires tant communistes qu’islamistes, sonnent le glas de la monarchie afghane et font le lit du coup d’État du mois d’avril 1978, puis de celui du mois de décembre 1979 et, enfin, de l’entrée des troupes soviétiques venues, selon les déclarations officielles, « soutenir » le gouvernement de Kaboul dans sa lutte contre les moudjahidin.
Le déclin du pouvoir soviétique, l’arrivée de Ronald Reagan, l’aide militaire et financière de la CIA aux groupes fondamentalistes, l’aide pakistanaise, modifient les données du conflit.
Des centaines de milliers, voire des millions d’Afghans se réfugient au Pakistan et en Iran. Leurs enfants sont pris en main par les ultra-islamistes dans les madrasa, écoles où leur sont enseignés le Coran et la fabrication des bombes.
Après dix ans de guerre, 620 000 combattants soviétiques qui s’y sont succédé, 25 000 morts et 50 000 blessés, les 118 000 soldats soviétiques présents se retirent d’Afghanistan en 1989.
La guerre civile se poursuit jusqu’en avril 1992, date de la prise de Kaboul par une coalition de Tadjiks, d’Ouzbeks et de Hazaras soutenue par le Pakistan et les États-Unis.
Un nouveau mouvement armé est fondé au mois d’août 1994 par le mollah Omar : le mouvement des talibans, c’est-à-dire des « étudiants en théologie » issus de ces écoles coraniques. Financés par l’Arabie saoudite, soutenus par l’armée et les services secrets pakistanais, les talibans reprennent Kaboul en septembre 1996 aux troupes du commandant Massoud. Ils contrôlent alors les deux tiers du pays. Leur pouvoir reste cependant fragile en raison de l’opposition armée persistante dirigée par le commandant Massoud jusqu’au 9 septembre 2001, date de son assassinat par les talibans.
Ce n’est que le surlendemain, le 11 septembre 2001, qu’ont lieu les attentats à New York et à Washington, qui font plus de 3 000 morts.
Quel lien réel existe entre ce pays martyrisé, dirigé par des extrémistes, et ces attentats ? Une chose est certaine : le gouvernement américain accuse aussitôt l’Afghanistan et son protégé, le Saoudien Oussama ben Laden, d’en être responsables.
Le 7 octobre 2001 à dix-huit heures quarante-cinq, heure française, les bombardements commencent sur l’Afghanistan. Le prix est lourd : entre le 7 octobre et le 10 décembre, on dénombre 3 767 tués parmi les civils, auxquels s’ajoutent les 10 000 morts militaires afghans. Le premier objectif des Américains, punir et chasser les talibans, est vite atteint.
Le 22 décembre 2001, le pouvoir est confié à Hamid Karzaï.
L’incapacité des Américains à installer un pouvoir stable à Kaboul et la haine naturelle envers l’occupation étrangère ont vite permis aux talibans de revenir sur le devant de la scène, au point qu’ils seraient déjà revenus à Kaboul si la capitale n’était défendue par la coalition occidentale.
Pour sortir de la guerre, qui vise à instaurer en permanence un équilibre entre les pouvoirs locaux et entre ceux-ci et le pouvoir central, il faudrait inventer un espace nouveau, fondé sur une nouvelle solidarité.
Quelle doit en être la base ? La tribu ? L’ethnie ? Ce n’est pas évident ! Les tribus en tant que telles ne sont pas présentes partout, et jouer le jeu ethnique reviendrait à s’interdire toute stratégie nationale.
Cette guerre interminable, expression d’un mode de société, est une forme d’équilibre qui suppose un État central suffisamment fort pour préserver le lieu du pouvoir de la convoitise des groupes en conflit, mais aussi, hélas ! suffisamment faible pour laisser les groupes gérer leurs rivalités.
Alors, que sommes-nous venus faire dans cette galère ? Participons-nous à la lutte de l’Occident contre le terrorisme ? Je pense que non ! Dans le cas contraire, nous serions en guerre aussi avec leurs financeurs…
La base afghane, si elle a compté, n’a joué qu’un rôle accessoire dans l’attentat du 11 septembre 2001, préparé en Occident par des éléments occidentalisés. La coordination policière entre Occidentaux explique bien mieux le reflux du terrorisme que d’obscurs combats dans les vallées du Panchir.
Le problème majeur réside non pas dans le risque d’un Afghanistan islamiste, même s’il faut le combattre, mais bien dans la situation fragile du Pakistan, pays très peuplé, à la gouvernance catastrophique, travaillé par les intégrismes, disposant de l’arme nucléaire et pourtant protégé par les États-Unis.
Obtenir une victoire militaire durable n’a aucun sens en Afghanistan ! C’était vrai pour Alexandre le Grand, cela le reste encore pour nous, deux mille cinq cents ans plus tard.
Les 12 742 tonnes de bombes larguées sur l’Afghanistan entre 2001 et avril 2009 n’ont rien réglé. Les 64 500 soldats venus de 42 pays, sans compter les 16 000 autres aux côtés du gouvernement d’Hamid Karzaï, n’apportent que des résultats peu encourageants, et ce même si nos soldats apprennent vite et bien et même si l’armée française profite de cet engagement dans le cadre de l’OTAN pour maintenir, et c’est nécessaire, son haut niveau de technicité et de performance.
Dans le cadre de l’OTAN et dans l’esprit de la résolution 1378 de l’ONU, nous nous sommes engagés à mettre en place un gouvernement afghan légitime et une administration efficace, dont une armée et une police capables d’assurer leur maintien durable.
La Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, a pour ambition de créer en Afghanistan des conditions de stabilité qui reposent sur quatre principes : la détermination, qui doit se traduire par un engagement à long terme ; le soutien aux populations, qui impose la prise en charge de leur sécurité ; la coordination des efforts militaires et civils par la mise en œuvre d’une approche coordonnée globale ; enfin, une coopération régionale, qui exige l’engagement de tous les États voisins.
Les deux premiers principes sont facilement acceptés par tous. Mais, confrontées aux pertes de la coalition, les opinions nationales des quarante-deux pays membres doutent de plus en plus du bien-fondé de l’engagement et du maintien de leurs troupes sur le sol afghan.
Et, comme le rappelait à l’instant le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. de Rohan, il paraît bien improbable de voir assurer globalement et durablement, en tout cas rapidement, le quatrième principe, c’est-à-dire la coopération régionale, qui est pourtant indispensable.
Le général de Gaulle le soulignait à juste titre : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. » Les situations pakistanaise et iranienne montrent le peu d’espoir que l’on peut placer dans ce principe de coopération régionale, mais il n’est point nécessaire d’espérer pour entreprendre… Tout doit être tenté, sans oublier l’implication tant des pays voisins ou proches que des pays qui financent les insurgés : sans eux, rien ne sera possible.
Alors, que faire ? Un proverbe afghan dit : « Si la chance est avec toi, pourquoi te hâter ? ». Mais le même proverbe ajoute : « Si la chance est contre toi, pourquoi te hâter ? ».