« Une sortie d’Afghanistan progressive, calculée et planifiée, mais une perspective de sortie confirmée et débattue », voilà, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce que nous aurait proposé Jean-Pierre Bel s’il en avait eu le temps.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, la connivence du régime des talibans avec Al Qaïda constituait, en effet, une grave menace pour la sécurité du monde.
Outre ses buts militaires reconnus, le Premier ministre d’alors, Lionel Jospin, avait assorti l’intervention en Afghanistan d’objectifs diplomatiques et politiques précis. Au regard de la situation actuelle, il est essentiel de les rappeler : reconstruire l’Afghanistan sur la base du droit, du dialogue et d’un système représentatif ; apporter une aide matérielle et humanitaire aux nouvelles autorités afin d’asseoir leur légitimité ; assécher le narcotrafic et la contrebande de matériaux chimiques ; favoriser la solution négociée et juste des conflits au Proche-Orient afin d’ôter toute légitimation au recours à la violence terroriste.
Je vous laisse juges du résultat et vous pose une première question, puisque vous êtes membres du Gouvernement et que je suis l’un des représentants de l’opposition : comment combattre efficacement les forces insurgées avec un pouvoir central délégitimé ? Comment, dans ce conflit, qui est aussi une guerre civile fratricide entre Afghans, surmonter le sentiment hostile, ou pour le moins négatif, qui grandit au sein de la population à l’égard du gouvernement et de son alliée, la coalition militaire internationale ?
Les propos publiés par le colonel Goya confirment pleinement le constat que je viens d’énoncer : « La coalition apparaît comme une immense machine tournant un peu sur elle-même, et souvent pour elle-même, en marge de la société afghane. »
Le Premier ministre nous avait vanté, il y a un an, les mérites quasi magiques de la politique d’« afghanisation » du conflit. Cependant, nous savons que l’« afghanisation » passe surtout par la formation des militaires de ce pays. Or le dispositif actuel de formation ne marche pas. Plutôt que de multiplier les assertions gratuites, je me permets de citer à nouveau le colonel Goya : « L’ensemble du système de formation de l’armée afghane apparaît comme une machine à faible rendement, alors que la ressource humaine locale, imprégnée de culture guerrière, est de qualité. » Sans parler, mes chers collègues, des désertions au sein de l’armée afghane, qui atteignent des niveaux considérables au fil des mois : 12 % des sous-officiers et 34% des militaires du rang – je m’étonne d’ailleurs de la discrétion qui règne sur ce sujet.
Paradoxe des paradoxes : nos formateurs améliorent la formation de soldats afghans qui, quelque temps plus tard, se retrouvent dans les rangs des talibans et les combattent ! Ne sous-estimez pas cet aspect de la situation ! L’évidence s’impose, messieurs les ministres : il faut changer de stratégie !
La France ne peut pas conserver sa position actuelle, avec un Président de la République qui s’agite au milieu des contradictions : d’un côté, il annonce la volonté de rester en Afghanistan « aussi longtemps que nécessaire » ; de l’autre, il explique qu’il n’envisage pas d’y envoyer de nouvelles troupes françaises tout en approuvant les propositions de l’OTAN destinées à augmenter la présence de la coalition sur place. Que l’on m’explique la trame de la pensée présidentielle !
Alors, messieurs les ministres, quelle est la position de la France ? Faut-il se résigner à une augmentation rampante, silencieuse et cachée des effectifs des troupes françaises ?
Selon les dernières dépêches de presse, le président Obama « réfléchit toujours ». La seule certitude que nous ayons, c’est que les priorités de l’administration américaine dans la région se réorientent vers une stratégie, dite « AfPak », qui, et c’est tout à fait nécessaire, lie les deux théâtres de l’Afghanistan et du Pakistan.
Certes, il s’agit d’une première décision, et ses conséquences militaires sont évidentes. Mais nous oblige-t-elle et, dans l’affirmative, jusqu’où nous engage-t-elle ? Messieurs les ministres, avez-vous participé un tant soit peu à la prise de décision relative à cette extension du champ de bataille régional ?
Pour rester bref, je pense que nous devons exiger d’être associés à la redéfinition de la stratégie de la coalition en Afghanistan et dans la région et, pour cela, nous devons faire bloc avec nos amis de l’Union européenne. Concrètement, pourriez-vous, messieurs les ministres, nous préciser comment et dans quelle mesure la France est associée aux décisions du commandement militaire intégré de l’OTAN ? Pourriez-vous nous indiquer les démarches engagées pour harmoniser les positions des pays européens ?
Bien qu’étant pris par le temps, je souhaiterais évoquer, très rapidement, le problème de la drogue. Il ne semble pas retenir toute l’attention nécessaire des membres de la coalition internationale présente en Afghanistan. Pourtant, au-delà de la nocivité même de ce type de trafic et de ses conséquences sur nos populations, la culture du pavot présente pour nous deux autres dangers.
D’une part, la drogue alimente un système de corruption qui traverse toute la société afghane, jusque dans ses cercles les plus élevés, talibans et administration gouvernementale compris. D’autre part, elle est à l’origine d’un trésor de guerre, capté par les talibans, qui trouvent ainsi un financement commode et, pour l’instant, inépuisable. Messieurs les ministres, quelle action le Gouvernement envisage-t-il pour que ce dossier soit pris à bras-le-corps par les forces de la coalition et par les autorités afghanes ?
En conclusion, messieurs les ministres, il est temps de changer de stratégie !
Nous considérons qu’il est crucial de demander au Conseil de sécurité des Nations unies la tenue dans les meilleurs délais d’une conférence internationale élargie à tous les pays voisins de l’Afghanistan, ainsi qu’à l’Inde et aux pays de la péninsule arabique, pour redéfinir les objectifs de l’engagement militaire, exiger du gouvernement de Kaboul une action déterminée contre la corruption, la drogue et le terrorisme, et assurer au peuple afghan le développement économique du pays.
Nous souhaitons qu’une sortie progressive, calculée et planifiée soit définie et effectivement annoncée. Ne tardez plus, messieurs les ministres, vous avez déjà trop tardé !