Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 16 novembre 2009 à 14h30
Afghanistan — Débat d'initiative sénatoriale

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Le président Karzaï a été installé au pouvoir, mais il a fallu que les opérations de vote soient arrangées, et le pluralisme rudement malmené, pour qu’il puisse y être maintenu.

Alors, imaginez que vous êtes cet Afghan né en 1960.

Voici l’enseignement que Jean-Dominique Merchet nous propose de tirer de cette suite ininterrompue de désastres, enseignement qu’il est crucial que nous puissions partager : « Oublier que tous ces événements se sont déroulés en l’espace d’une demi-vie d’un homme ordinaire, c’est passer à côté de l’essentiel ».

Cette leçon, messieurs les ministres, j’essaie de la faire mienne. Parce qu’elle me semble le meilleur antidote à l’ivresse de la toute-puissance qui saisit les chefs d’État lorsqu’ils s’aventurent dans des territoires qu’au fond les stratèges, les états-majors et les services de renseignement connaissent moins bien qu’il ne le faudrait.

Ce sentiment de toute-puissance, c’était celui de George W. Bush au moment de déclencher la seconde guerre d’Irak, entraînant la catastrophe qu’on a constaté ensuite.

Ce sentiment de toute-puissance, c’est celui qui a empêché les forces alliées, après avoir chassé les talibans du pouvoir, de redéfinir les priorités de leurs actions.

Je suis d’accord avec le président de Rohan, citant David Kilcullen : une cote mal taillée ne répond qu’à des considérations de politique intérieure, et aucunement à une stratégie compréhensible sur le territoire, même en Afghanistan.

Le problème n’est pas de savoir si nous envoyons ou non quelques centaines, voire quelques milliers d’hommes supplémentaires en Afghanistan, mais de savoir pour quoi faire. Pour six mois, pour un an ou pour deux ans, là n’est pas non plus la question.

Alors même qu’il n’y a jamais eu véritablement de stratégie française en Afghanistan, puisque notre commandement et nos troupes sont intégrés à une stratégie plus large, sous commandement des seuls États-Unis, malgré, donc, cette subordination de fait de nos choix à ceux de nos alliés américains, le Président de la République, en décidant seul et presque contre tous le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, a choisi d’aggraver notre soumission.

La question de nos choix se pose à peine, puisque nous nous sommes coupé les mains et privés de la capacité de choisir. Nous en sommes donc réduits à attendre l’oracle, suspendus plus que jamais aux seules décisions stratégiques de la Maison Blanche. Ce n’est pas moi qui le dis, monsieur le ministre des affaires étrangères, c’est vous dans une interview au Monde, le 13 novembre dernier.

Je ne suis pas rassurée non plus par les déclarations assurant que les forces de l’OTAN resteront en Afghanistan « aussi longtemps que nécessaire ». Instruits par l’expérience, nous devrions savoir que, lorsque les engagements sont si flous, ils permettent à peu près toutes les contorsions et amènent à tous les enlisements.

Le problème, c’est donc de savoir comment rester.

Personne, messieurs les ministres, ne dit que la guerre est facile. Personne ne dit non plus qu’il faudra abandonner demain matin les Afghans à leur sort, bien au contraire ! Je voudrais ici, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous demander d’intervenir activement pour que le gouvernement français renonce à renvoyer de jeunes Afghans dans un pays qu’ils ont fui parce qu’il était en guerre et qu’ils n’y voyaient pas d’autre avenir que la misère, la violence et la mort.

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