Intervention de Jack Ralite

Réunion du 16 novembre 2009 à 14h30
Numérisation du livre — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le grave sujet dont nous débattons aujourd’hui n’est pas neuf pour notre assemblée. Le Sénat a souvent porté intérêt au livre et aux nouvelles technologies.

Quand les dirigeants de Google présentent leurs objectifs, on a l’impression qu’il s’agit de la réalisation du rêve d’une bibliothèque universelle ! Borges dans sa nouvelle « La Bibliothèque de Babel » écrit : « Quand on proclama que la bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant ». L’immensité de l’émerveillement, du vertige d’accéder depuis son domicile, par un simple clic, aux livres du monde entier et de l’histoire du monde, d’une certaine manière, à l’éternité future du monde, à « l’histoire minutieuse de l’avenir ».

Toutefois, Borges ajoutait : « à l’espoir éperdu succéda [...] une dépression excessive ». Pour ma part, je garde espoir et je refuse la dépression.

Camus nous a alertés pour toujours : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Tout est mal nommé dans le dossier Google, rédigé pour que l’interlocuteur se soumette. Quatre faits invalident les promesses du groupe.

Premièrement, en février dernier, l’historien américain Robert Darnton, directeur de la bibliothèque de Harvard, que son prédécesseur avait liée à Google, écrivait : « Quand les entreprises comme Google considèrent une bibliothèque, elles n’y voient pas nécessairement un temple du savoir, mais plutôt un “gisement” de contenus à exploiter à ciel ouvert ».

Deuxièmement, aux États-Unis, un procès opposait jusqu’à samedi dernier – il n’est pas encore totalement réglé – les titulaires des droits d’auteur, auteurs et éditeurs, à Google. Cette entreprise a numérisé et diffusé des œuvres sans l’autorisation des titulaires des droits. C’est un coup de force inversant la logique en usage. Ce sont les auteurs et les éditeurs qui doivent faire les démarches pour que leurs œuvres ne soient pas diffusées, alors que, auparavant, c’était au diffuseur de demander l’accord. Le droit suit le rapport de force, ce qui est une façon de légitimer le vol.

Aux États-Unis, vous le savez, mes chers collègues, on finit par négocier commercialement, avec des indemnités, risquant ainsi de liquider le droit d’auteur, notamment le droit moral. C’est l’appropriation privée d’un bien public. Le président de l’Association des éditeurs de livres du Canada s’entendit dire par Google : « Mais enfin je ne comprends pas, je veux votre bien » ; l’éditeur répondit : « Pardonnez-moi, je préfère le conserver ».

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