Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne citerai pas de Gaulle ; Pierre Ouzoulias l’a fait, et de quelle manière !
Il est vrai que, dans le contexte exceptionnel que connaît notre pays, la Haute Assemblée va dépasser le temps présent pour regarder loin, et échanger durant cette semaine sur la recherche, c’est-à-dire l’avenir de notre pays, ardente obligation du plan.
Je veux tout d’abord saluer les rapporteurs, en particulier Laure Darcos, qui, par des apports pertinents et équilibrés, a contribué à donner plus de sens à une loi de programmation insuffisamment systémique et structurante, de son propre aveu, même si elle n’est pas exempte d’avancées et de rattrapages bienvenus.
Tout a été exprimé par nos trois excellents rapporteurs, Laure Darcos, Jean-François Rapin et Jean-Pierre Moga sur l’étalement de cette loi de programmation, qui allait dans sa version initiale au-delà de l’horizon des deux quinquennats que peut constitutionnellement exercer l’actuel chef de l’État.
De manière pertinente, notre commission a ramené la projection à une durée habituelle de sept ans. C’est une bonne chose. Il semblerait d’ailleurs que le message du Sénat ait été entendu, au moins partiellement. Les projections du plan de relance pour les deux prochaines années ainsi qu’un amendement du Gouvernement corrigent, sinon la trajectoire initiale de la LPPR, du moins le péché initial qui était le sien.
Vous annoncez, les suivants paieront : voilà finalement ce que nous avons ressenti à la lecture du texte initial. Vous semblez vouloir corriger le tir, sans vraiment l’avouer ni l’assumer. Nous resterons vigilants.
De même, je veux saluer les efforts de revalorisation des régimes indemnitaires des chercheurs et enseignants-chercheurs, en particulier en début de carrière. Ils permettront de réaligner progressivement les grilles indiciaires sur la moyenne des pays de l’OCDE, ce qui est un minimum pour revaloriser le métier d’enseignant-chercheur et, espérons-le, pour renouer avec une attractivité perdue.
Il était également important de trouver des solutions pour retenir les jeunes talents. Tous ne rêvent pas de carrières à l’ancienneté. Tous ne rêvent pas d’emplois à vie. Tous veulent disposer de contrats et de moyens diversifiés pour mener leurs travaux dans des conditions sécurisées. Je souhaite que les chaires de professeur junior répondent à leurs aspirations.
Je sais et comprends l’attachement de la communauté scientifique aux concours statutaires de recrutement. Pour autant, oui, il faut répondre à des besoins spécifiques des établissements. Oui, il faut offrir à nos jeunes talents des solutions plus satisfaisantes que les montages actuels, peu attractifs et pourvoyeurs de précarité.
Madame la ministre, malgré cette avancée, que je salue de nouveau, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a plusieurs rendez-vous manqués, et tout d’abord celui de la confiance et du consensus avec la communauté scientifique sur un horizon et un avenir ambitieux. Les enjeux de l’avenir auraient pu être davantage partagés. Ce n’est pas le cas.
Rendez-vous manqué, ensuite, pour revaloriser le statut des doctorants et la place du plus haut niveau académique dans notre société et dans l’organisation de notre État.
Faibles rémunérations, faible valorisation, le doctorat demeure dans l’ombre des concours et des diplômes des grandes écoles françaises. Sans revenir sur ces concours, qui participent également à construire la méritocratie républicaine, je crois qu’il nous faut réfléchir aux moyens de mieux les valoriser. Plusieurs amendements du Sénat, cher Stéphane Piednoir, vont en ce sens.
Rendez-vous manqué, également, pour s’interroger sur le rôle de l’université en tant qu’institution majeure du territoire en matière de recherche et d’innovation.
L’approche territoriale me semble une fois de plus avoir été ignorée. Permettez-moi de dire mon étonnement qu’un projet de loi de programmation, dont l’objectif est de replacer la recherche dans une relation ouverte avec la société, fasse aussi peu référence à l’ancrage et à la diffusion de la recherche dans les territoires et au partenariat avec les collectivités locales.
L’effet métropolitain, si décrié, n’est-il pas une nouvelle fois à l’œuvre ? Cette LPPR n’impacterait-elle pas négativement les capacités de recherche, d’innovation et d’enseignement supérieur des villes universitaires non métropolitaines ?
La mise en réseau de la recherche nécessite une approche multiscalaire autrement plus fine. Je crains que la dynamique qui innerve cette LPPR ne se fasse au détriment des équilibres régionaux et territoriaux en matière d’aménagement du territoire.
Rendez-vous manqué, enfin, au moins dans le texte initial, pour réaffirmer les libertés académiques, c’est-à-dire la garantie pour les enseignants-chercheurs et les chercheurs de mener leurs activités pédagogiques et scientifiques en toute indépendance.
Héritées du Moyen Âge, ces libertés ont construit une université libre dans ses recherches et dans sa parole. Elles sont aujourd’hui mises à l’épreuve par la diffusion d’une conception anglo-saxonne de l’université, empreinte de bien-pensance et d’autocensure.
Je crois que vous êtes sensible à ce sujet, madame la ministre, vous qui aviez assisté à la représentation reprogrammée de la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, en Sorbonne, il y a deux ans, et qui avez livré au quotidien L ’ Opinion, cette semaine, une tribune attendue sur cette question.
Au-delà de ces atteintes insupportables à la liberté d’expression, la préservation intransigeante des libertés académiques est le gage de l’excellence de la recherche française.
Aussi, je souhaite qu’à l’occasion de l’examen de cette LPPR, nous puissions échanger sur ce sujet important dans les travaux quotidiens des chercheurs, des enseignants et des enseignants-chercheurs. Je sais, madame la rapporteure, que c’est aussi votre souhait.
Je me réjouis par avance des débats que nous aurons et des apports du Sénat sur ce sujet qui touche à la liberté d’expression au cœur même de l’université. Elle en est, historiquement, le berceau et la garante, et nous en mesurons en ces temps troublés la précieuse valeur.
Madame la ministre, mes chers collègues, c’est parce qu’il a été profondément remanié par les apports de nos rapporteurs et de notre commission que le groupe Les Républicains votera cette LPPR. Ce n’est pas un texte majeur, encore moins fondateur, mais il permettra un certain nombre de revalorisations et de rattrapages qui s’inscrivent dans la nécessité de redonner confiance aux chercheurs de ce pays.
Le travail reste long, et nous avons ressenti, à travers les nombreux textes que nous avons reçus, combien l’impatience était grande et combien il était dommage que vous n’ayez pas su, à l’occasion de ce projet de loi, nouer le consensus, le dialogue et la confiance que la communauté scientifique était en droit d’attendre.