Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l’histoire séculaire du livre, la numérisation est le chapitre le plus récent, le plus actuel, et certains diront le plus angoissant ; il déborde largement notre débat d’aujourd’hui et celui sur les bibliothèques qui a agité, le mois dernier, notre commission de la culture, et qui a vu l’affrontement des deux derniers présidents de la Bibliothèque nationale de France, MM. Jeanneney et Racine. C’est dire la passion et l’inquiétude que la numérisation suscite parmi les bibliothécaires, les libraires, les éditeurs et les lecteurs.
Je ne suis pas inquiet, pour ma part, d’une prise de contrôle par Google. Ce qui me préoccupe surtout, c’est une question à laquelle je n’ai pas la réponse : le livre papier survivra-t-il au livre électronique, ou celui-ci permettra-t-il à lui seul la sauvegarde de la culture française telle que nous l’avons connue au cours de toutes les étapes de l’histoire du livre, sinon au temps du liber antique, du moins dans les différents siècles du codex, lequel ne date pas seulement de Gutemberg.
Il convient, face à de telles perspectives, de s’exprimer avec une certaine modestie, et de ne pas s’en prendre uniquement à cette entreprise américaine, même si son énormité et sa capacité nous inquiètent. Plutôt que de lui faire la guerre, mieux vaudrait tenter d’établir avec elle des rapports de coopération.
Constatons que le monde actuel est numérique et que, même sous sa forme papier, ce livre auquel nous sommes attachés aura été précédé d’une mise en forme numérique. Il y a donc coexistence des deux formes, et elle durera sans doute longtemps. Cette préoccupation a guidé nos deux commissions de la culture et des finances, au cours des derniers mois, dans l’élaboration d’un rapport conjoint.
Il s’agit non pas uniquement du problème de la numérisation des bibliothèques, mais du sort du livre tel que nous l’avons connu et aimé.
Je souhaite, en toute modestie, insister sur certains points.
Premier point : notre pays s’est-il donné les moyens budgétaires suffisants pour mener à bien la numérisation du livre ? Notons d’emblée que ces moyens sont essentiellement consacrés aux bibliothèques, et d’abord à la BNF, pour un montant de moins de 10 millions d’euros, ce qui est peu pour mener à bien une opération si importante.
Le ministère de la culture et de la communication estime qu’il manque au Centre national du livre 12 millions d’euros, sur un budget de 40 millions d’euros environ, pour assumer l’ensemble de ses missions, relatives ou non au numérique. Il juge donc nécessaire une nouvelle réforme de la taxe sur les appareils de reproduction ou d’impression, qui serait cette fois étendue aux consommables. Il laisse également entendre que si les recettes du Centre national du livre n’étaient pas accrues, celui-ci pourrait se trouver dans l’impossibilité de continuer de participer au financement de Gallica.
Deuxième point : il a été fortement question, au cours des dernières semaines, du programme de numérisation de la Bibliothèque nationale de France. Le choix n’a pas encore été fait entre une politique purement française – à supposer que le grand emprunt national suffise à la rendre possible – et le recours à des moyens internationaux, pour ne pas parler de Google. On sait que la numérisation de certaines bibliothèques françaises, notamment celle de Lyon, est menée en liaison avec cette grande entreprise internationale, que certains dépeignent comme un monstre ou comme un chef-d’œuvre du capitalisme.
À votre demande, monsieur le ministre, la BNF a suspendu ses contacts avec Google, en attendant la remise du rapport de la commission Tessier. Attendons donc ce rapport avant de nous livrer à une chasse aux sorcières !
Troisième point : les amoureux du livre, et tous les membres de notre assemblée le sont – il suffit pour s’en convaincre de nous écouter !