Le Gouvernement a présenté le 7 octobre dernier le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
Au regard des effets du projet de loi de financement sur nos finances publiques, notre commission a souhaité se saisir pour avis de ce texte. Cet avis porte principalement sur la trajectoire des comptes sociaux, dans le contexte particulier de la crise sanitaire que notre pays affronte depuis le printemps.
Cette crise est la principale raison d'un déficit sans précédent des comptes sociaux. N'oublions pas cependant, et dans une moindre mesure, que l'exercice 2019 marquait une rupture avec la dynamique de redressement des comptes enregistrée depuis 2016. Le déficit agrégé du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a ainsi connu une aggravation, atteignant 1,9 milliard d'euros en 2019, soit 700 millions d'euros de plus qu'en 2018. Ce déficit demeure cependant inférieur à la prévision retenue au sein de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2020, qui tablait sur un solde négatif de 5,4 milliards d'euros.
S'agissant de 2020, aux termes du projet de loi qui nous est transmis, la crise sanitaire et économique résultant de la pandémie et des mesures de confinement devrait se traduire par un déficit agrégé du régime général et du FSV établi à 46,6 milliards d'euros, soit une augmentation de 44,7 milliards d'euros par rapport à 2019. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 tablait initialement sur un solde négatif de 5,1 milliards d'euros. Toutes les branches du régime général sont concernées par cette détérioration.
Le déficit agrégé du régime général et du FSV reste largement supérieur à celui enregistré, après la crise, en 2010, le solde négatif atteignant alors 28 milliards d'euros. La crise sanitaire, puis économique, a eu un effet « ciseaux » sur les recettes et les dépenses de la sécurité sociale. À ce stade, les recettes ont été revues à la baisse de 27,3 milliards d'euros par rapport à ce qui était prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, les dépenses étant, quant à elles, majorées de 14,2 milliards d'euros.
Au sein de ces dépenses, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) 2020 devrait atteindre 218,1 milliards d'euros. La prévision de dépense a été majorée de 12,5 milliards d'euros par rapport à celle retenue en loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Le taux de progression de l'Ondam sur l'année 2020 devrait s'établir, en conséquence, à 8,8 %. Cette augmentation, inédite depuis la création de l'objectif, intègre également les mesures en faveur de l'hôpital - revalorisation des traitements et investissement - prévues dans le cadre du Ségur de la santé.
Les prévisions de recettes doivent cependant être confirmées, au regard des incidences sur les rentrées de cotisations des mesures de couvre-feu puis du deuxième confinement. En l'absence de réévaluation de ces chiffres, le présent projet de loi de financement apparaît caduc.
En ce qui concerne 2021, le PLFSS prévoit que le déficit agrégé du régime général et du FSV soit ramené à 27,9 milliards d'euros, soit une réduction de près de 40 % par rapport à l'exercice précédent.
Le Gouvernement table, en premier lieu, sur un net rebond des recettes (+ 33,4 milliards d'euros, soit une progression de 8,7 %). Ce scénario repose cependant sur une hypothèse de relance de l'activité a minima volontariste. Le niveau d'activité demeure en effet largement tributaire de l'évolution de la situation sanitaire, qui n'apparaît pas, pour l'heure, maîtrisée, tant en France que chez ses principaux partenaires économiques. Or le scénario retenu par le Gouvernement pour 2021 repose notamment sur l'absence de contraintes sanitaires fortes destinées à juguler l'épidémie. L'impact du plan de relance sur la relance de la croissance reste, en outre, difficile à déterminer. Le Gouvernement estime que celui-ci devrait conduire à une progression du PIB de 1,1 %, ce qui peut paraître élevé.
Au-delà des recettes, l'aléa sanitaire devrait également déterminer le niveau des dépenses sociales en 2021, en particulier celles des dépenses d'assurance maladie. Le PLFSS 2021 prévoit une progression de l'Ondam de 7,1 milliards d'euros, celui-ci devant atteindre 225,4 milliards d'euros à la fin de l'exercice, soit une progression de 3,34 % par rapport à 2020. Une telle trajectoire s'éloigne du rythme annuel de 2,3 % retenu par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, désormais totalement obsolète.
Le ministère des solidarités et de la santé a engagé une réflexion sur l'avenir même de l'Ondam, en vue de renouveler cet outil de régulation. Cette réflexion ne saurait se substituer à un travail sur la qualité et l'efficience de la dépense publique en matière de santé et ne pourra éluder un débat sur l'évolution désormais sans frein de celle-ci et ses conséquences en matière de dette sociale.
L'absence de réforme en la matière induit une absence de retour à l'équilibre à moyen terme. La trajectoire de réduction du déficit apparaît également moins soutenue que celle qui a été observée après la crise de 2008. La précédente loi de financement tablait sur un retour à l'équilibre global du régime général en 2023. Cette perspective est désormais largement repoussée, le Gouvernement ciblant un déficit du régime général et du FSV atteignant 20,2 milliards d'euros à l'horizon de 2024. Ces chiffres restent là encore à confirmer, compte tenu de la mise en place d'un deuxième confinement et de ses incidences sur la trajectoire des comptes à long terme.
La dérive des comptes sociaux n'est, quoi qu'il en soit, pas atténuée par le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le Gouvernement a, en effet, fait le choix de ne pas inscrire dans le texte de mesures de redressement des comptes pour l'exercice à venir, afin de ne pas contrarier la relance de l'économie. Le report sine die de la réforme des retraites devrait contribuer à accroître ces difficultés. La question de la nécessaire lutte contre la fraude ne donne pas non plus lieu à de nouvelles mesures.
Compte tenu de l'ampleur des déficits des comptes sociaux enregistrés en 2020 et de ceux à venir, la question de la gestion de la dette sociale par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) est de nouveau posée.
La loi organique et la loi du 7 août 2020 relatives à la dette sociale et à l'autonomie ont déjà prévu le transfert à la Cades de 136 milliards d'euros de dette sociale d'ici à 2023. Cette somme couvre 31 milliards de déficits cumulés à fin 2019, 92 milliards d'euros de déficits cumulés pour la période 2020-2023, et 13 milliards d'euros de dette hospitalière. La dette sociale reprise par la Cades devrait ainsi atteindre 396,5 milliards d'euros.
L'article 27 du présent projet de loi de financement précise les modalités de reprise de la dette des hôpitaux. Il y a, en premier lieu, à s'interroger sur l'assimilation de dettes liées à des dépenses d'investissement à de la dette sociale. L'essentiel de la dette hospitalière est, en effet, liée à des investissements immobiliers et ne relève pas a priori de dépenses d'assurance maladie.
Rappelons en outre qu'il y a un an le Gouvernement avait présenté les contours d'un « programme massif de reprise de dettes de 10 milliards d'euros sur trois ans », soit plus de 3,3 milliards d'euros par an, destiné à restaurer l'équilibre financier des établissements. Un projet de loi devait être présenté au premier semestre 2020 en même temps que la loi de programmation des finances publiques pour préciser les modalités de cette reprise. Il semblait à l'époque que c'était à l'État et non à la Cades d'opérer cette reprise.
Les deux lois du 7 août 2020 ont pourtant assigné cette mission à la Cades. Reste qu'aux termes de celles-ci, l'intervention de la Cades était en priorité dédiée au désendettement des hôpitaux, afin d'éviter selon l'étude d'impact que la dette ne menace, dans certains cas, « la pérennité de leurs missions permanentes de service public auxquelles ils ne peuvent se soustraire ». La rédaction de l'article 27 tend pourtant à orienter davantage cette intervention vers le soutien à l'investissement et à la transformation de l'offre en redonnant aux établissements les marges financières nécessaires, par le versement d'aides en capital destinées à financer tant les projets structurants que l'investissement du quotidien. Elle contribue donc à créer les conditions d'un nouveau cercle vicieux au terme duquel la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) va financer un nouvel endettement, alors qu'un plan d'investissement devrait être supporté par le budget de l'État. Je vous propose donc un amendement supprimant cet article, en vue d'éviter une telle orientation.
S'agissant de la dette sociale, le PLFSS 2021 met en avant des déficits cumulés du régime général et du FSV largement supérieurs à ceux devant être repris par la Cades pour la période 2020-2023. Le déficit cumulé atteindrait en effet 122 milliards d'euros fin 2023, alors même qu'un nouveau déficit, établi à 20 milliards d'euros, est attendu pour l'exercice 2024.
Cette trajectoire affecte directement la perspective, déjà pour partie irréaliste, d'un effacement de la dette sociale à moyen terme, retenue lors de l'adoption des deux lois du 7 août 2020. Elle reporte celui-ci sur les générations futures, tout en interrogeant sur la soutenabilité de la dette.
De fait, faute de réforme, le PLFSS tend à incarner une fuite vers l'endettement. Le remboursement de la dette sociale devrait cependant s'avérer plus complexe, compte tenu de la diminution des ressources de la Cades à partir de 2024. 2,3 milliards d'euros seront en effet appelés à financer une branche autonomie qui ressemble, pour l'heure, à une coquille vide faute de nouveaux financements. La Cades devra probablement, dans le même temps, faire face à une progression de ses charges financières liée à une remontée inévitable des taux.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position sur l'équilibre général du texte est assez réservée. En tout état de cause, au-delà de l'amendement que je vous propose à l'article 27, il apparaît indispensable que le Gouvernement dépose des amendements visant à rectifier la trajectoire des comptes en 2020, voire en 2021, afin de prendre en compte les incidences des nouvelles mesures de confinement sur les recettes. Le Gouvernement a pour l'heure uniquement réévalué les dépenses attendues pour 2020 et 2021 afin, notamment, de tenir compte de l'accélération de la deuxième vague de l'épidémie. Il apparaît donc indispensable que le Gouvernement présente des amendements intégrant l'effet de ces dispositifs sur les comptes sociaux.
Sans ces corrections, un vote favorable sur l'ensemble du texte semble impossible. Le texte tel qu'il nous est transmis est, je le répète, caduc et ne respecte pas le principe de sincérité budgétaire. Ce n'est qu'à cette condition que nous pourrons émettre, à mon sens, un avis favorable à l'ensemble du dispositif, délesté de l'article 27.