Intervention de Christian Klinger

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 3 novembre 2020 à 14h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « santé » - examen du rapport spécial

Photo de Christian KlingerChristian Klinger, rapporteur spécial :

Les crédits de la mission « Santé » vont renouer en 2021 avec une logique de progression, abandonnée lors de l'exercice précédent. Les crédits de paiement demandés s'élèvent à 1 329,2 millions d'euros. À périmètre constant, ce montant correspond à une augmentation de 11,4 % par rapport aux montants inscrits en loi de finances pour 2020.

Cette mission est composée de deux programmes : le 204, dédié à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, et le programme 183, consacré à la protection maladie, et dont 99,3 % des crédits seront consacrés en 2021 à l'aide médicale de l'État (AME).

La combinaison des mesures de périmètre enregistrées ces dernières années sur le programme 204 et de la progression sans frein des dépenses d'intervention du programme 183 conduit aujourd'hui à faire de celui-ci le principal poste de dépenses de la mission « Santé ». La mission semble donc se résumer au financement de l'AME puisque 79,8 % des crédits demandés en 2021, soit 1,061 milliard d'euros, lui sont dédiés.

Ces crédits devraient ainsi progresser de 15,4 %. Les crédits dédiés à l'AME de droit commun atteindront 989,5 millions d'euros en 2021, soit une hausse de 12,7 % par rapport à la loi de finances pour 2020. Entre 2012 et 2019, le nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun a déjà progressé de 32 %, induisant une majoration des dépenses de près de 51 %.

Je vous rappelle qu'une réforme adoptée en loi de finances pour 2020 à l'initiative du Gouvernement devait en limiter le coût. Notre commission l'avait jugé à l'époque insuffisante. Un an plus tard, une majoration conséquente des crédits nous est proposée. La réforme qui prévoyait une obligation de présence physique lors du dépôt d'une demande d'AME ou la subordination de certaines opérations à un délai de présence sur le territoire n'est toujours pas entrée en vigueur, faute de décrets d'application. Le nombre de bénéficiaires ne fléchit donc pas : 350 000 personnes environ étaient enregistrées fin mars 2020, soit une progression près de 5 % en trois mois. Une telle évolution annonce d'ailleurs une exécution en 2020 délicate.

Plus que jamais, le dynamisme des dépenses d'AME incite à l'adoption de mesures structurelles réellement efficaces visant le panier de soins, afin de limiter sa progression, de répondre à l'impératif de sincérité budgétaire et de garantir la soutenabilité de la mission.

Si la dotation pour soins urgents bénéficie, de son côté, d'une mesure de périmètre avec le transfert de 30 millions d'euros en provenance du budget de l'assurance-maladie, ce transfert permet de financer la mesure de réduction du maintien du droit de l'assurance maladie de un an à six mois pour les assurés dont le titre de séjour a expiré. Celle-ci devrait se traduire par un effet de déport vers le recours à l'AME. Ce transfert ne résout pas, en outre, la question de la sous-budgétisation récurrente de la dotation pour soins urgents et de la dette à l'égard de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM).

La part croissante des dépenses de l'AME dans la mission « Santé » tend, en tout état de cause, à réduire celle-ci à une enveloppe de financement de ce dispositif. Je m'interroge donc sur l'opportunité de maintenir la mission en tant que telle alors qu'il serait possible de rattacher l'AME à la mission « Immigration, asile et intégration », tant elle constitue un facteur de croissance de l'immigration irrégulière.

La majoration des crédits du programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, soit 260,2 millions d'euros en 2021, est en progression de 29,5 %. Elle consiste, pour l'essentiel, en une mesure de périmètre destinée à répondre aux besoins de financement de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna. Elle n'est donc pas spécifiquement liée à la crise sanitaire, ce qui peut conduire à s'interroger sur l'utilité du programme en matière de santé publique. Deux éléments viennent étayer ce constat.

Le principal opérateur en matière de santé publique, Santé publique France, qui incarne la lutte contre la pandémie, a été transféré vers le budget de la sécurité sociale l'an dernier. La crise sanitaire souligne un peu plus que les missions qui lui sont assignées, comme celles de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), également transférée l'an dernier, ne relèvent pas d'une logique contributive que suppose leur rattachement au budget de la sécurité sociale. Ce transfert n'est pourtant pas remis en cause dans le présent projet de loi de finances. Il n'est pourtant pas logique que les 4,6 milliards d'euros dédiés versés à Santé publique France pour la mise en place d'une politique de prévention contre la covid soient à la charge de la sécurité sociale.

Par ailleurs, 60 % des crédits du programme 204 sont tournés vers le financement de deux sous-actions - financement de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna et aide aux victimes de la Dépakine -, ce qui laisse peu de marges de manoeuvre budgétaire pour les autres actions.

L'augmentation des crédits accordés à l'agence de santé de Wallis-et-Futuna répond aux remarques répétées du Sénat sur la sous-budgétisation observée au cours des derniers exercices. Elle ne saurait cependant constituer une fin en soi et incite à la mise en oeuvre effective de réformes structurelles. Elle interroge également quant à l'absence de financements en provenance de la mission « Outre-mer ».

De fait, le déséquilibre entre les deux programmes et le transfert des opérateurs de santé vers le budget de la sécurité sociale posent le problème de la viabilité de la maquette budgétaire.

Celle-ci est également fragilisée par la question du financement des deux derniers opérateurs de la mission, au risque de susciter des interrogations sur la pertinence de leur maintien au sein du programme 204. Plus de 50 % du budget de l'Institut national du cancer (INCa) sont ainsi financés via la mission « Recherche ». Les dépenses de personnel de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sont, quant à elles, prises en charge par la mission « Agriculture ».

Ma dernière observation portera sur les indicateurs de performance. Ceux qui sont retenus pour l'ensemble de la mission - espérance de vie et état de santé perçu - s'avèrent insuffisamment renseignés ou peu pertinents. Il y a lieu de s'interroger, dans ces conditions, sur leur maintien.

Les résultats insuffisants obtenus aux indicateurs de performance retenus dans le cadre du programme 204 - lutte contre le tabagisme, vaccination contre la grippe et dépistage du cancer colorectal - suscitent, quant à eux, des interrogations sur l'efficacité de la dépense publique en matière de prévention.

Vous l'aurez compris, compte tenu des éléments que je viens d'évoquer, les crédits de la mission ne peuvent faire l'objet d'une adoption en l'état. Je vais désormais travailler avec la rapporteure pour avis des affaires sociales pour présenter une position commune sur l'aide médicale d'État et vous propose, en attendant, de réserver notre vote sur les crédits de la mission.

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