Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 novembre 2020 à 8h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 — Examen du rapport

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, chargé des équilibres financiers généraux :

Il y a deux ans à peine, nous saluions le retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale en examinant le PLFSS pour 2019. L'année dernière encore, malgré des perspectives financières dégradées, l'objectif d'une extinction de la dette sociale en 2024 paraissait encore atteignable. Hélas, cette année, c'est dans un contexte sanitaire, économique, financier et social considérablement plus sombre que nous sommes appelés à examiner le PLFSS pour 2021.

Vous connaissez l'originalité des lois de financement de la sécurité sociale. Dans leur format actuel, elles nous invitent successivement à approuver les comptes de l'exercice écoulé, à rectifier les tableaux d'équilibre de l'année, à examiner les recettes puis les dépenses de l'exercice à venir, et même, en fin de troisième partie, à approuver des orientations et une trajectoire financière jusqu'à l'année n+4, c'est-à-dire 2024. Mon intervention concernera donc toute cette période.

Pour 2019, la sécurité sociale a enregistré un déficit de 1,9 milliard d'euros sur le périmètre du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), lequel représente 404 milliards d'euros en dépenses. Il pourrait presque paraître mesquin aujourd'hui d'observer que l'objectif d'un retour à l'équilibre n'a pas été atteint en raison des mesures de non-compensation adoptées ces deux dernières années dans la foulée du rapport Charpy-Dubertret sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Ces non-compensations ont coûté 4,3 milliards d'euros à la sécurité sociale l'année dernière.

La crise liée à l'épidémie de covid-19 a évidemment bouleversé notre pays, son économie et ses finances publiques, notamment celles de la sécurité sociale, qui joue à plein son rôle de « filet de sécurité » pour nos concitoyens en cette période difficile.

Face à la crise et à son évolution permanente, les incertitudes sont majeures. Le Gouvernement a déjà révisé les tableaux d'équilibre de 2020 et 2021 à l'Assemblée nationale. Ils pourraient être de nouveau ajustés au Sénat, notamment pour tenir compte des effets du nouveau confinement. Toutefois, quelques constats ressortent clairement.

Tout d'abord, la sécurité sociale connaîtra en 2020 le plus lourd déficit de son histoire, et de très loin : au moins 46,6 milliards d'euros pour le régime général et le FSV, là où le précédent « record », en date de 2010, était de 28 milliards d'euros.

En effet, l'ensemble des branches a subi une très forte baisse des recettes, principalement sous l'effet de la chute de l'activité et de la très forte contraction de la masse salariale du secteur privé, qui a diminué de 7,9 %. Cette baisse est de plus de 32 milliards d'euros par rapport à la prévision de la LFSS pour 2020, malgré une recette exceptionnelle de 5 milliards d'euros : le versement en une fois de la soulte de la Caisse nationale des industries électriques et gazières (Cnieg) par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) à la branche vieillesse.

En face de ces baisses de recettes, les dépenses de la plupart des branches sont restées relativement conformes à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020, à la notable exception de la branche maladie. En effet, les dépenses relevant de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) ont bondi de 12,5 milliards d'euros à par rapport à la prévision de l'année dernière. Il s'agit bien sûr avant tout de l'effet des surcoûts liés à la crise du covid-19 - environ 10,5 milliards d'euros en net - et des premières mesures du Ségur de la santé qui présenteront, elles, un caractère pérenne, et dont le coût en 2020 est estimé à 3,4 milliards d'euros. Au total, l'Ondam devrait passer en un an de 200,2 milliards d'euros en 2019 à 218,1 milliards en 2020. Cela représente près de 18 milliards d'augmentations, soit 9 %.

Ces chiffres donnent le vertige. Mais, encore une fois, ils traduisent l'intensité de la crise et le rôle indispensable de la sécurité sociale en ces temps difficiles.

Pour 2021, un fort rebond est attendu, qui devrait améliorer le niveau des recettes, mais les incertitudes sont très fortes. Tout dépendra bien sûr de l'évolution de l'épidémie et de notre capacité à remettre l'économie sur les rails. En toute hypothèse, le déficit du régime général et du FSV devrait se situer à un niveau proche de celui de 2010 : 27,9 milliards d'euros selon les prévisions actualisées du Gouvernement. En particulier, alors que les autres branches devraient se redresser, les branches maladie et vieillesse présenteraient toujours un solde très dégradé : leur déficit serait respectivement de 19,7 milliards d'euros et 6,4 milliards d'euros.

Face à cela, je regrette que le Parlement n'ait pas été davantage associé aux grands choix du Gouvernement. Je n'ai pas trouvé normal que nous ne soyons pas saisis d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale cette année, au vu de l'ampleur des révisions qui ont été opérées et des mesures qu'il a fallu prendre : financement de Santé publique France, plafond de découvert de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), etc. J'espère que nous pourrons nous prononcer l'année prochaine, si les hypothèses sur lesquelles se fonde ce budget devaient être de nouveau bouleversées.

Pour autant, sur le fond, je ne vous proposerai pas de remettre en cause ces décisions : je préconise ainsi l'adoption des articles essentiels, qui ratifie les décisions prises en urgence en 2020 ainsi que les différents tableaux d'équilibre.

Ma véritable inquiétude et ma divergence avec ce PLFSS viennent de la trajectoire des comptes sociaux après la sortie de la crise actuelle. L'annexe B du projet de loi, qui trace des perspectives jusqu'en 2024, prévoit ainsi un déficit de la sécurité quasiment stabilisé à un niveau très lourd : plus de 20 milliards d'euros chaque année, malgré des hypothèses de croissance du PIB et de la masse salariale relativement optimistes.

Un tel niveau ne serait évidemment pas supportable pour la sécurité sociale. Ainsi, dès 2024, les déficits cumulés dépasseraient de 50 milliards d'euros le plafond des transferts que nous avons autorisés à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) dans la loi du 7 août dernier relative à la dette sociale et à l'autonomie. Je vous rappelle pourtant qu'au vu des autorisations que nous avons données, le montant total des emprunts de la Cades devrait passer de 260 milliards d'euros à 396 milliards d'euros d'ici à 2024, dont une provision de 92 milliards pour couvrir les déficits 2020-2023, laquelle apparaît d'ores et déjà insuffisante. Autant dire que la dette deviendrait perpétuelle, ce qui pose d'évidents problèmes d'équité entre générations et de soutenabilité de notre modèle social.

Il importe de dire dès à présent que, quand notre pays sera sorti de la crise, nous devrons, comme après 2010, reprendre la voie de la recherche de l'équilibre des comptes sociaux. Pour y parvenir, nous devrons tout d'abord partir d'un déficit plus réaliste des comptes sociaux. La sécurité sociale doit, certes, payer ses dettes, mais elle ne doit payer que ses dettes.

Je formulerai donc des propositions en matière de compensation par l'État : de charges qui devraient être les siennes et qui n'ont été transmises que par commodité à la sécurité sociale - je pense en particulier à l'agence Santé publique France, dont le budget est passé de 150 millions d'euros à 4,8 milliards d'euros dès la première année d'un transfert que nous avions refusé ; et de pertes de recettes, qui résultent d'exonérations et de réductions décidées depuis deux ans à l'initiative du Gouvernement, et non compensées sur le fondement erroné d'un retour durable des comptes sociaux dans le vert. C'est également dans cet esprit que Corinne Imbert pourrait aborder la question du financement des investissements hospitaliers par la Cades, dont ce n'est pas le rôle, que prévoit l'article 27 de ce PLFSS... Mais un tel réajustement ne nous exonérerait pas de décisions difficiles à venir pour maîtriser à moyen terme l'évolution des dépenses des différentes branches. Pour illustrer ce propos, on peut observer que la dégradation de 22 milliards d'euros du solde de la sécurité sociale en 2023 de ce PLFSS par rapport à celui de l'année dernière s'explique pour un tiers par des recettes en moins, à cause des suites de la crise, mais pour deux tiers - 15 milliards - par des dépenses supplémentaires.

Les branches vieillesse et maladie, dont les déficits prévisionnels sont les plus lourds, seront les principales concernées, avec les conséquences financières du Ségur de la santé, et les retraites dont le déséquilibre s'accroît, mais qu'il faudra rétablir un jour en concertation avec les partenaires sociaux.

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