Intervention de Corinne Imbert

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 novembre 2020 à 8h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 — Examen du rapport

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert, rapporteure pour l'assurance maladie :

Nos discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale s'engagent dans un contexte exceptionnel pour l'assurance maladie, d'abord en raison de la crise sanitaire qui met sous une tension extrême l'ensemble de notre système de soins, et en premier lieu l'hôpital, révélant sa capacité de résilience, mais aussi ses fragilités.

En effet, l'an passé, avant de savoir que la covid-19 bouleverserait l'année 2020, nos inquiétudes portaient déjà sur un hôpital exsangue et les signaux d'épuisement des professionnels du soin ; le Ségur de la santé de juillet dernier prolonge le plan « Investir pour l'hôpital » du 20 novembre 2019 dans l'attente duquel le Sénat avait, entre autres raisons, je vous le rappelle, rejeté le précédent projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le contexte est exceptionnel, ensuite, par le degré d'incertitudes entourant les prévisions : l'Ondam pour 2021 a été construit sur l'hypothèse d'un « retour à la normale » que la force de la deuxième vague épidémique paraît déjà inévitablement battre en brèche. C'est d'ailleurs le sens de l'article 45 bis, introduit par l'Assemblée nationale, visant à suspendre la procédure d'alerte de l'Ondam en 2021, que je proposerai de circonscrire à l'impact de l'épidémie.

Ce contexte est exceptionnel, enfin, par le niveau d'engagement inédit en faveur du système de santé, qui a cependant pour corollaire de porter le déficit de la branche maladie à un niveau tout aussi inédit.

Quelques chiffres à ce propos.

L'Ondam pour 2020 a été substantiellement relevé : après la rallonge de 2,4 milliards d'euros votée par l'Assemblée nationale, celui-ci atteint 218,1 milliards d'euros, soit un écart de 12,5 milliards d'euros par rapport à l'objectif voté en loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et une augmentation de 8,8 % entre 2019 et 2020.

Pour 2021, l'Ondam est fixé à 225,4 milliards d'euros et progresse de 2,7 % après un nouvel abondement de 800 millions d'euros, voté par l'Assemblée nationale pour tirer les conséquences de l'avancement de la deuxième tranche de revalorisation salariale des personnels des hôpitaux et des Ehpad. Ce montant intègre un investissement de plus de 8 milliards d'euros pour le Ségur de la santé, ainsi que 4,3 milliards d'euros de dépenses exceptionnelles liées à la covid-19 pour la politique de tests, l'achat de masques, l'achat et la distribution de vaccins.

Ce montant pour 2021 tient compte également d'un élargissement du périmètre des sous-objectifs médico-sociaux de l'Ondam, traduction des hésitations du Gouvernement sur le périmètre de la nouvelle branche autonomie. Parallèlement, le déficit de la branche maladie, réévalué à 32,2 milliards d'euros pour 2020, frôlerait encore les 20 milliards d'euros en 2021, sans descendre sous la barre des 17 milliards d'euros jusqu'en 2024 d'après les prévisions du Gouvernement.

L'investissement dans le système de soins que traduit ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, essentiellement ciblé sur l'hôpital, apporte une bouffée d'oxygène attendue. Mais, aujourd'hui, la soutenabilité de ces mesures - et à terme celle du financement de notre système collectif de prise en charge des soins - nous interpelle, comme nous aurons l'occasion de le souligner dans les débats.

À cet égard, les mesures figurant dans le volet assurance maladie de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale laissent, en dépit de quelques avancées intéressantes, bon nombre d'interrogations en suspens ; souvent, elles nous laissent sur notre faim, révélant une préparation précipitée ; d'autres y trouvent une place discutable.

Sans évoquer toutes ces mesures, complétées par l'Assemblée nationale, et sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir dans l'examen des articles, je relèverai quelques points saillants.

Un premier ensemble de mesures concerne l'hôpital.

Trois premiers articles concernent la traduction du Ségur de la santé.

Sur les carrières, l'article 25 prévoit une revalorisation des personnels non médicaux - notamment les infirmiers et aides-soignants - des établissements publics de santé et des Ehpad. Il s'agit de permettre l'augmentation promise de 183 euros nets mensuels, réalisée en deux tranches, au 1er septembre 2020 et au 1er décembre 2020. Un complément de pension est prévu pour les futurs départs à la retraite de personnes éligibles à ces revalorisations.

L'article 26 transforme l'actuel fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés en un nouveau fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS). Celui-ci se veut plus transversal et ferait une meilleure place au médico-social.

J'émets toutefois plusieurs réserves importantes sur cet article : d'une part, la trajectoire financière du nouveau FMIS me paraît très incertaine, le Gouvernement la faisant reposer sur les crédits du plan de relance européen ; d'autre part, la ventilation des enveloppes semble reproduire une stricte séparation du sanitaire et du médico-social. Je vous proposerai néanmoins d'adopter cet article, en y faisant figurer le rôle du Conseil national de l'investissement en santé (CNIS), qui sera créé en 2021, afin d'y prévoir la présence d'élus locaux.

Dernier engagement du Ségur, même si en réalité, c'est une promesse de 2019, la reprise de la dette hospitalière est organisée à l'article 27. En cohérence avec les positions exprimées par la commission cet été encore à l'occasion de l'examen de la loi relative à la dette sociale et à l'autonomie, je vous proposerai de supprimer cet article.

En effet, le Gouvernement s'obstine à vouloir faire porter par la Cades, à travers la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), la reprise de la dette des hôpitaux, qui est essentiellement le fait des plans « Hôpital 2007 » et « Hôpital 2012 », et qui doit revenir à l'État. Surtout, la modification adoptée sur l'initiative du Gouvernement efface de manière préoccupante le lien entre les dotations prévues aux hôpitaux et les encours de dette qu'ils détiennent pour privilégier la notion d'investissement. La Cades deviendrait alors presque un fonds d'investissement, sans que la dette ne baisse nécessairement.

Sur le volet du financement des établissements de santé, l'article 28 reporte la mise en oeuvre de diverses réformes dans le contexte sanitaire, sans répondre pour autant à toutes les interrogations des fédérations hospitalières concernant d'autres réformes en cours. Il introduit en outre un « forfait patient urgences », plus lisible et qui se veut plus équitable que l'actuel ticket modérateur ; cependant, cette réforme avant tout technique n'est pas une réponse structurelle au problème d'accès aux soins non programmés.

Si je partage l'objectif de diversification des financements hospitaliers, l'article 29 concernant les activités de médecine illustre, selon moi, la préparation précipitée que je soulignais, en se superposant à d'autres dispositifs, et avec des contours et un impact à ce stade mal cernés. Je vous proposerai d'y revenir partiellement.

Dans la périphérie de l'hôpital, la pérennisation des maisons de naissance et des hôtels hospitaliers à l'issue de la phase expérimentale est une évolution positive sur le fond, mais je regrette que sa traduction dans la loi, a fortiori dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale, précède là encore la réflexion sur le financement pérenne de ces structures.

Concernant les soins de ville, le projet de loi de financement de la sécurité sociale contient très peu de mesures structurantes, alors que la crise actuelle montre l'importance cruciale de la prévention et de la coordination des parcours en amont de l'hôpital.

Le prolongement d'un an de la prise en charge à 100 % de la téléconsultation, prévue à l'article 32 pour répondre à des obstacles techniques, ne me semble pas entrer dans cette catégorie. Tout en voyant bien l'intérêt de cet outil complémentaire, je vous proposerai de circonscrire la portée de la dérogation, selon un impératif de qualité des prises en charge qui doit, selon moi, primer.

Si la création d'un régime d'indemnités journalières pour les libéraux (article 34 quater) va globalement dans le bon sens, le report à l'article 33 de la convention médicale à la fin mars 2023 constitue un point de tension avec les professionnels libéraux. Même si la discussion d'avenants reste possible, cette disposition reporte des discussions essentielles pour améliorer les prises en charge. Je vous proposerai un calendrier mieux ajusté à celui des élections aux unions régionales des professionnels de santé (URPS), qui servent de justification à ce report.

Je vous proposerai en outre de revenir sur plusieurs mesures introduites par l'Assemblée nationale, qui viennent soit se superposer à d'autres dispositifs sans cohérence globale, comme la création de nouvelles expérimentations de portée et d'ambition très réduites, soit se superposer à des textes en cours de navette, comme les dispositions concernant l'interruption volontaire de grossesse (IVG), reprises d'une proposition de loi transmise au Sénat.

Sur le volet du médicament, l'article 38 engage une réforme globalement bien accueillie par les professionnels du secteur.

Comme l'avait souligné un rapport de notre commission, ce n'est malheureusement pas la première fois qu'un projet de loi de financement de la sécurité sociale modifie par touches le régime de l'accès dérogatoire aux médicaments, au point de menacer l'attractivité et la stabilité du modèle français. Pour autant, cette réforme systémique, qui réorganise les régimes juridiques de l'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) et de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU) autour de deux circuits d'accès précoce et compassionnel, se présente comme une table rase nécessaire et opportune.

Certains problèmes d'applicabilité ont néanmoins été soulevés par les acteurs du médicament, qui dénotent le caractère encore inabouti de la réforme. Je vous proposerai à cet égard quelques amendements.

Enfin, la présentation de certaines mesures concernant l'accès aux droits comme des simplifications est souvent discutable : je vous proposerai pour cette raison de revenir sur le transfert à la CNAM de l'allocation supplémentaire d'invalidité prévue à l'article 37. En outre, sans remettre en question la suppression du fonds de la complémentaire santé solidaire, figurant à l'article 40, il me semble utile d'en encadrer les modalités pour préserver sa dimension essentielle de suivi et d'expertise en matière d'accès aux soins des plus précaires.

Telles sont mes principales observations sur la branche maladie et les dispositions éparses qui la concernent. Sous réserve des amendements que je présenterai, je vous propose d'adopter le volet assurance maladie de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

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