Intervention de Michel Magras

Réunion du 16 novembre 2009 à 21h30
Imposition des revenus de source locale à saint-martin et saint-barthélemy — Adoption de deux propositions de loi organique en procédure accélérée

Photo de Michel MagrasMichel Magras, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à débattre de la proposition de loi organique dont j’ai l’honneur d’être l’auteur et qui vise à permettre à Saint-Barthélemy d’imposer les revenus de source locale des personnes résidant depuis moins de cinq ans sur le territoire de la collectivité. À ce titre, il m’appartient donc de vous exposer au préalable les motivations et les objectifs de ma démarche.

En réalité, la présente proposition de loi organique est avant tout un ajustement de la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, qui a, comme vous le savez, érigé la commune de Saint-Barthélemy en collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie.

En permettant à la collectivité d’imposer les revenus trouvant leur source localement, il s’agit de parachever le processus d’autonomie budgétaire et statutaire engagé dès les années soixante-dix et ponctué d’étapes significatives jusqu’à cette loi organique du 21 février 2007.

Car si le statut fiscal particulier de Saint-Barthélemy a sa source historique et juridique dans le traité de rétrocession de l’île par la Suède à la France, il a trouvé dès le début des années soixante-dix une résonnance politique concrète dans la pratique de la gestion locale.

D’abord, le droit de quai, institué par la loi de finances de 1974, a été et reste encore aujourd’hui l’un des fondements de l’autonomie budgétaire de la collectivité.

Puis, dès les premières lois de décentralisation, préfigurant en cela le principe de subsidiarité, Saint-Barthélemy, alors commune, a demandé et obtenu le droit de gérer les infrastructures portuaires et aéroportuaires, qui étaient jusqu’alors des biens et des compétences du département. La commune a fait de ces infrastructures les poumons économiques de l’île, sources de développement, créateurs d’emplois et générateurs de recettes tirées essentiellement des redevances instaurées sur les passagers et le mouillage des navires.

Par la suite est venue la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, qui a permis à la commune d’exercer certaines des compétences départementales ou encore d’instaurer une taxe sur les carburants, aujourd’hui inscrite dans le code des contributions locales.

Bref, vous l’aurez compris, autant de dispositifs par lesquels Saint-Barthélemy a conquis progressivement son autonomie budgétaire et s’est ainsi donné les moyens de réussir son évolution statutaire.

Chacune de ces étapes a été l’aboutissement d’une pratique politique responsable, s’appuyant largement sur les ressources locales, sans pour autant être exempte du respect des principes républicains.

Toutes ces années de gestion ont été animées d’une volonté farouche de trouver localement les ressources pour la mise en œuvre du projet de développement de l’île.

Certes, aux termes du traité de rétrocession, la France s’était engagée à maintenir le statut de port franc, ce qui a valu et vaut encore à l’île de nombreuses critiques.

Mais il faut savoir que plus tard, s’il en était besoin, l’évaluation des charges et du potentiel fiscal transféré a montré que, pour l’État et pour les collectivités de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy constitue plus une source de recettes que de dépenses. Cette position a été entérinée par la loi de finances rectificative de 2008, avec l’inscription d’une dotation globale de compensation, la DGC, des charges négative.

Désormais, la collectivité ne perçoit donc plus de dotation de l’État. Au contraire, elle verse annuellement 5, 6 millions d’euros au budget de l’État.

Cela n’est d’ailleurs pas sans lien avec le texte qui vous est aujourd’hui soumis, car le mode de calcul de la DGC a suscité de nombreuses interrogations sur l’étendue du transfert de la compétence fiscale.

Pour connaître les ressources et les charges transférées à la collectivité, l’impôt sur le revenu a été pris en compte dans le calcul du potentiel fiscal de Saint-Barthélemy. Aux termes de ce calcul, on peut donc considérer que l’État a transféré non pas la compétence fiscale à Saint-Barthélemy, mais sa compétence fiscale. En effet, sur la base du calcul de la DGC, toutes les recettes qu’il percevait ont été considérées comme transférées à la collectivité ; s’y ajoutent celles qui sont perçues par le département et la commune.

Dans ces conditions, la question de la compétence de la collectivité pour imposer les revenus de source locale n’aurait normalement pas dû se poser. Toutefois, en raison de la clause dite « de résidence », en vertu de laquelle le statut de résident fiscal ne s’acquiert qu’après cinq années de résidence, on s’aperçoit en réalité que l’État perçoit doublement l’impôt sur le revenu pour une part de la population loin d’être négligeable. Il est perçu, d’une part, par le biais de la DGC et, d’autre part, par l’imposition directe des non-résidents fiscaux qui continuent d’être considérés comme étant fiscalement domiciliés en métropole. J’avais eu à le démontrer lors de la discussion de l’article de la loi de finances rectificative pour 2008 instituant la DGC négative.

Un an après, cette discussion m’offre l’occasion de faire un constat : la nécessité de modifier la loi organique pour permettre à la collectivité d’imposer une partie des revenus des non-résidents fiscaux prouve bien que l’imposition directe de ces derniers échappe à la collectivité, alors qu’elle « rembourse » ce trop perçu par la DGC.

Or l’intention du législateur organique – je m’exprime ici sous le contrôle de M. le rapporteur –, était bien de transférer à Saint-Barthélemy la compétence en matière fiscale sur son territoire et l’objectif de la clause de résidence était, du point de vue de l’État, de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales. Le législateur ne s’est en effet pas prononcé ex nihilo ; il a légiféré en pleine connaissance du statut fiscal de Saint-Barthélemy.

L’article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales dispose : « Les personnes physiques ne peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy qu’après y avoir résidé pendant cinq ans au moins. » Idem pour les personnes morales, qui doivent satisfaire à cette condition s’agissant de l’installation du siège effectif ou du contrôle de leur direction. Dans le cas contraire, la loi organique précise que ces personnes sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en métropole.

La loi fixe donc un principe de domiciliation fiscale, sans toutefois préciser explicitement comment est opérée la répartition du droit d’imposer ni du bénéfice de l’imposition.

Ce point ayant donné lieu à des divergences d’interprétation, un avis du Conseil d’État du 27 décembre 2007 est intervenu pour trancher cette question. Il établit que la règle des cinq années de résidence doit être interprétée comme un droit exclusif de l’État d’imposer les revenus et la fortune des personnes physiques et morales ne pouvant pas être considérées comme résidentes fiscales à Saint-Barthélemy. Pourtant, l’avis du conseiller du Gouvernement n’a pas clos le débat.

En effet, dans une décision du 15 février 2007, le Conseil Constitutionnel observait, pour sa part, que les dispositions de l’article L.O. 6214-4, c'est-à-dire l’instauration de la clause de cinq ans, « ne sauraient avoir pour objet ni pour effet de restreindre l’exercice des compétences conférées au législateur organique par l’article 74 de la Constitution, notamment dans les cas où cette convention – il s’agissait de la convention fiscale – ne pourrait aboutir ou ne permettrait pas de lutter efficacement contre l’évasion fiscale ».

S’appuyant notamment sur cette décision, une autre lecture de la loi organique considère que, par son avis, le Conseil d’État a au contraire réduit le champ de la compétence fiscale transférée à la collectivité.

Dès lors, un projet de convention fiscale transcrivant strictement l’avis du Conseil d’État a été soumis à la collectivité. En conséquence, il dispose que lorsque l’État impose, la collectivité n’a pas compétence pour imposer. Autrement dit, aux termes du projet de convention, l’État impose exclusivement les revenus des non-résidents fiscaux.

En l’état actuel de la rédaction de la loi organique, la convention fiscale ne peut en aucun cas prévoir une imposition partagée réglée par le biais d’un crédit d’impôt. À cet égard, monsieur le rapporteur, vous aviez d’ailleurs pris soin de souligner que la convention fiscale aurait dû pouvoir y remédier.

Toujours à propos de l’intention du législateur organique, les débats parlementaires montrent qu’en instituant une condition de résidence l’objectif était uniquement d’introduire un mécanisme de prévention de l’évasion fiscale, et en aucun cas de restreindre l’étendue de la compétence fiscale de Saint-Barthélemy. C’est encore un point que vous rappeliez récemment, monsieur le rapporteur.

L’enjeu de cette proposition de loi organique est donc d’éliminer toute source d’ambiguïté et de conformer le texte de la loi statutaire à l’intention du législateur.

Après vous avoir exposé, j’espère de manière concise et précise, le contexte de ma démarche, j’en arrive maintenant à la problématique posée par la modification de la loi organique que je vous soumets.

Mes chers collègues, il vous est proposé, ni plus ni moins, de clarifier la loi organique statutaire afin de permettre à Saint-Barthélemy d’imposer les plus-values immobilières réalisées sur le territoire de la collectivité par les personnes y résidant depuis moins de cinq ans.

Il est impératif, pour une collectivité, de disposer des ressources budgétaires nécessaires à son autonomie. Or, en la privant, par application de la clause de résidence, du droit d’imposer les gains immobiliers réalisés sur son territoire par les non-résidents, on l’ampute d’une partie de son potentiel fiscal, et donc de son autonomie budgétaire.

Par ailleurs, afin d’apprécier pleinement la portée du présent dispositif, il faut savoir que, contrairement à bien des idées reçues, nourrissant des accusations portées contre Saint-Barthélemy, l’impôt sur les plus-values immobilières est plus élevé et plus systématique dans notre collectivité qu’en métropole.

Par exemple, durant les cinq premières années suivant l’acquisition d’un bien, l’impôt s’établit à 37, 1 % de la plus-value réalisée, dont 25 % pour la collectivité, le reste étant constitué des contributions sociales fixées et perçues par l’État.

Il faut également souligner qu’en maintenant le droit exclusif de l’État en matière d’imposition des non-résidents fiscaux, on arrive à une situation paradoxale, où la spéculation immobilière à Saint-Barthélemy devient plus avantageuse pour les personnes considérées comme ayant leur domicile fiscal en métropole. Croyez-moi, Saint-Barthélemy n’y a pas intérêt, car la spéculation immobilière exerce une pression à la hausse sur les prix de l’immobilier et du foncier.

De même, considérant que l’impôt sur les plus-values est moins élevé en métropole, comment ne pas imaginer que les résidents fiscaux qui souhaiteraient spéculer ne soient pas tentés d’installer leur société en dehors du territoire fiscal de la collectivité, pour bénéficier, par exemple, d’un taux de taxe sur les plus-values moins élevé ? Une telle démarche entraînerait une diminution des recettes de la collectivité et hypothéquerait rapidement son autonomie financière.

En outre, au regard de la raison d’être de la clause de résidence, permettre à la collectivité d’imposer ces revenus viendra en réalité renforcer les effets attendus en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Songez qu’un contribuable métropolitain qui vend sa résidence principale bénéficie, en l’état actuel de la loi, d’une exonération fiscale totale sur la plus-value réalisée.

Il n’est donc pas nécessaire, me semble-t-il, d’aller plus loin pour vous prouver qu’il existe des moyens d’utiliser la législation fiscale à des fins en totale contradiction avec les objectifs que nous visons ici.

Au contraire, les niveaux d’imposition fixés par le code des contributions locales de Saint-Barthélemy constituent un facteur dissuasif par la diminution du gain attendu d’une opération immobilière spéculative.

Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez très opportunément souhaité préciser la rédaction initiale de la proposition de loi déposée en introduisant, dès le stade de la loi organique, un mécanisme d’élimination des doubles impositions. Je tiens à indiquer que je m’en réjouis.

Cette précision donne toute sa portée à la convention fiscale entre l’État et la collectivité de Saint-Barthélemy. Le 3° de l’article L. O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales prévoit, en effet, la conclusion d’une convention fiscale afin « de prévenir l’évasion fiscale et les doubles impositions et de définir les obligations de la collectivité en matière de communication d’informations à des fins fiscales ».

Il faut dire que la rédaction du projet de convention, en application de l’avis du Conseil d’État que j’ai cité, a rendu totalement caduc le volet relatif à l’élimination des doubles impositions de la convention, en raison de la répartition exclusive du droit d’imposer qu’elle opérait.

Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi organique vient parachever le statut de collectivité autonome de Saint-Barthélemy.

Les volontés de l’État inscrites dans la loi organique sont respectées, puisque les résidents depuis moins de cinq ans restent soumis en priorité à la fiscalité nationale et que l’État continue à percevoir toutes les contributions sociales sur les plus-values immobilières.

Les moyens financiers de la collectivité sont améliorés, car celle-ci retrouve ainsi le droit de lever une contribution sur les gains immobiliers de source locale, déjà inscrite dans son code des contributions. Elle garantit ainsi son autonomie budgétaire et affiche clairement sa volonté de limiter et de maîtriser la spéculation sur son territoire.

En outre, le nouveau résident de l’île participe au budget de sa collectivité d’accueil et bénéficie, parallèlement, d’un crédit d’impôt déductible de son impôt national.

Pour conclure, la convention fiscale prévue par la loi organique devient, dès lors, indispensable, au grand bénéfice de l’État et de la collectivité de Saint-Barthélemy.

Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte tel que modifié par la commission.

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