Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, lorsque nous avons adopté le statut de Saint-Martin et celui de Saint-Barthélemy, par le vote, en février 2007, de la loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, dite loi DSIOM, nous avons permis à deux communes du département de la Guadeloupe de s’ériger en collectivités d’outre-mer autonomes, disposant de compétences importantes, notamment en matière fiscale.
C’est la raison pour laquelle, afin d’éviter toute tentation comme tout risque d’évasion fiscale, nous avons instauré un garde-fou par la mise en place d’une règle ne conférant la qualité de résident fiscal de ces collectivités qu’après une durée de résidence de cinq ans. Les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune en ont largement parlé.
Pendant cette période, les personnes physiques et morales sont considérées comme ayant leur domicile fiscal dans un département français – en pratique la Guadeloupe – et sont donc imposées en conséquence, des conventions fiscales permettant, en particulier, d’éviter les doubles impositions.
Ce dispositif dérogatoire par rapport à la compétence fiscale reconnue aux deux nouvelles collectivités ne mettait nullement en cause, pendant cette période de cinq ans, leur compétence de source, puisque des conventions fiscales de non-double imposition étaient prévues. D’ailleurs, aucune mesure d’interdiction pour ces collectivités ni d’imposition exclusive par l’administration fiscale française n’était édictée. Je tiens à le rappeler et à le souligner.
Ces dispositions nous avaient paru, à l’époque, suffisamment claires pour permettre, pendant cette période de cinq ans, l’imposition par l’administration fiscale française des personnes physiques et morales concernées sans préjudice de l’imposition de ces mêmes personnes par la collectivité pour leurs revenus de source locale, les conventions fiscales ayant précisément pour effet d’en régler les aspects pratiques.
Toute modification de la loi organique à ce sujet pouvait donc apparaître comme inutile. Dans ces conditions, pourquoi devons-nous, mes chers collègues, examiner ces deux propositions de loi organique dont l’objet consiste justement à préciser formellement cette compétence de source pour les deux collectivités pendant cette période de cinq ans ? Est-ce parce que nos ordres du jour seraient insuffisamment chargés ou parce que, ainsi que l’a déclaré dans cet hémicycle Charles Pasqua, citant le poète : « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile » ? Non, bien sûr ! Nous devons le faire parce que c’est malheureusement nécessaire.
Oui, c’est malheureusement nécessaire, car le Conseil d’État et les services fiscaux, à la lumière de l’avis rendu par celui-ci, ont interprété de manière non conforme à la volonté du législateur les dispositions de la loi organique statutaire relatives aux compétences fiscales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
La conséquence est importante, car ce refus de reconnaissance d’une compétence de source pendant une période de cinq ans a privé ces deux collectivités de ressources non négligeables sans que le Trésor public enregistre pour autant des rentrées d’argent correspondantes, pour des raisons multiples allant de difficultés de recouvrement à l’existence de taux plus élevés d’imposition au niveau de la collectivité. Notre collègue Michel Magras a parfaitement relaté ce qui s’était produit à Saint-Barthélemy, entraînant une perte d’argent importante pour l’État et pour la collectivité.
Ainsi, l’objet essentiel des deux propositions de loi organique déposées respectivement par nos collègues Louis-Constant Fleming, pour Saint-Martin, et Michel Magras, pour Saint-Barthélemy, est de préciser dans le statut des deux collectivités cette compétence de source pendant la période « dérogatoire » de cinq ans.
Comme je viens de le rappeler, cette compétence de source étant reconnue de manière implicite dans la loi organique portant statut de ces deux collectivités, la commission, vu l’interprétation inappropriée du texte législatif, n’a pu que souscrire aux propositions de loi qui ont été présentées. Quand la loi n’est pas parfaitement comprise, il convient de la modifier pour mieux en préciser les termes et éviter les ambiguïtés comme les conflits d’interprétation. C’est l’exercice, mes chers collègues, auquel nous nous livrons ce soir.
La commission des lois, dans la rédaction retenue, tient ainsi à affirmer clairement la compétence fiscale de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy à l’égard des revenus trouvant leur source dans ces collectivités. Il s’agit de faire prévaloir, par cette disposition, l’interprétation de la loi organique qui correspond à la volonté exprimée par le législateur en février 2007 sur celle qui a été retenue par le Conseil d’État dans son avis de décembre 2007.
Un crédit d’impôt compenserait les doubles impositions constatées entre le 1er janvier 2010 et la conclusion de la convention fiscale que chaque collectivité signera avec l’État.
En effet, compte tenu des difficultés rencontrées, il semble prudent de prévoir un dispositif provisoire évitant les doubles impositions, en attendant la mise en place de conventions fiscales.
La commission des lois, à la lumière de ces regrettables péripéties, s’est interrogée sur la pertinence à terme – je dis bien à terme – de cette règle dérogatoire de cinq ans, qui trouve son origine dans la transformation de deux communes d’un département en collectivités autonomes avec une fiscalité spécifique. Mais les autres collectivités avec compétences fiscales ne sont pas concernées par cette règle, qui pourrait laisser supposer, à terme, que la France entretient deux paradis fiscaux. Il est donc proposé qu’un rapport d’évaluation soit présenté au Parlement à l’issue d’une période de dix ans.
La commission a également conservé une suggestion inscrite à l’article 1er de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin visant à prévenir le risque de contournement de la règle des cinq ans par des personnes dont le domicile fiscal serait établi dans un département de métropole ou d’outre-mer et qui s’établiraient pendant un an à l’étranger ou dans une collectivité d’outre-mer. Cette suggestion, qui émane de l’auteur de la proposition de loi organique, montre bien que cette dernière ne reflète aucune volonté de favoriser l’évasion fiscale, puisqu’elle prévoit un verrou supplémentaire contre les risques évoqués tout à l’heure.
Une telle délocalisation temporaire dans un État étranger ou dans une collectivité d’outre-mer permettrait, en effet, selon les dispositions actuelles, de devenir résident fiscal de Saint-Martin dès l’installation dans la collectivité. Ce serait d’autant plus facile que l’île de Saint-Martin est partagée entre la France et les Antilles néerlandaises, avec libre circulation obligatoire entre les deux parties de l’île depuis le traité de Concordia qui a instauré cette partition.
Aussi le texte proposé par la commission vise-t-il à prévoir, comme la proposition de loi organique, que la condition de cinq ans de résidence s’applique aux personnes physiques ou morales dont le domicile fiscal était, dans les cinq ans précédant leur établissement à Saint-Martin, situé dans un département de métropole ou d’outre-mer. Il faudrait donc que ces personnes, dans tous les cas, respectent un délai de cinq ans de résidence à l’étranger ou à Saint-Martin pour que leur domicile fiscal soit établi dans la collectivité. Les règles pour devenir résident fiscal de Saint-Martin sont donc rendues plus restrictives.
La proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy se limite au seul aspect fiscal. En revanche, celle concernant Saint-Martin touche à d’autres aspects du statut. Or la commission estime qu’il est trop tôt, deux ans seulement après son entrée en vigueur, pour le modifier sensiblement. Elle juge donc nécessaire, du moins pour l’instant, de préserver la collégialité des décisions d’autorisation en matière d’urbanisme et de fonctionnement du conseil exécutif.
C’est pourquoi, à l’article 3 de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin, la commission a souhaité ne pas modifier les dispositions statutaires relatives à la responsabilité de chaque conseiller exécutif devant le conseil exécutif, au titre de la gestion des affaires et du fonctionnement des services dont il est chargé par le président du conseil territorial.
La commission a, par ailleurs, supprimé l’article 4 de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin, qui visait à confier au président du conseil territorial de Saint-Martin la compétence pour délivrer les autorisations d’utilisation ou d’occupation du sol et déterminer l’assiette ainsi que la liquidation des taxes auxquelles donnent lieu les opérations d’urbanisme et de construction.
Comme elle l’a fait pour la Nouvelle-Calédonie dans le cadre du Grenelle de l’environnement et souhaite le faire pour les autres collectivités d’outre-mer au fur et à mesure des aménagements statutaires, la commission a introduit dans le texte de chacune des deux propositions de loi organique des dispositions visant à prendre en compte les préoccupations environnementales : il s’agit de l’article 5 bis de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin et de l’article 1er bis de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy.
Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, avec les aménagements de précision prévus tant par les auteurs des deux propositions de loi organique que par la commission, la loi organique portant statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy pourra enfin être interprétée comme il se doit, et ce dans l’intérêt tant de l’État que des deux collectivités.