Le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) a été renforcé dès le 17 janvier. Le centre de crise sanitaire a été activé le vers le 20 janvier. Je ne mettais pas en cause la réalité de la vague épidémique avant le 17 mars. Précisément, elle a été prise en compte par le centre de crise sanitaire, et c'est heureux.
Notre ADN, notre logiciel, est de « faire de l'interministériel ». À la tête du SGDSN, j'avais des conseillers, officiers supérieurs, qui m'aidaient à préparer les conseils de défense, en coordination avec le ministère de la santé et avec le ministère des armées, notamment pour les transferts de patients. Des liens existaient donc avant le 17 mars. Que le centre de la gestion de crise se trouve au ministère de la santé jusqu'à cette date n'a pas empêché une articulation entre ministères.
Le 17 mars ont été créés les deux pôles, puis on est passé du centre interministériel de crise à la cellule interministérielle de crise. Après le déconfinement, l'organisation a évolué vers une intégration totale entre le ministère de la santé et les autres ministères, le directeur de la CIC ayant un adjoint issu du ministère de la santé. On peut regretter que cette intégration n'ait pas eu lieu avant, mais la dynamique de la crise explique pourquoi tel n'a pas été le cas. Je le répète, certaines instances permettaient néanmoins de procéder à cette intégration tous les jours, notamment grâce à la réunion de synthèse de 16 heures.
J'imagine que vous avez largement évoqué le plan Pandémie avec Louis Gautier. La version actuelle de ce plan date de 2011, et sa création de 2004. Les mises à jour se sont succédé entre ces deux dates, mais pas après 2011, ce qui peut en effet être troublant. Une partie de l'explication tient au fait qu'il s'est passé beaucoup de choses sur le front sanitaire lors de la décennie précédente, et que des conséquences ont été tirées de ces événements, notamment par l'OMS.
Après 2011, en revanche, il n'y a pas eu de modification du plan Pandémie grippale. Cela ne me semble pas constituer en soi une difficulté, et je ne suis pas certaine qu'une modification ultérieure à cette date aurait eu une très grande importance.
On peut regretter, en revanche, le manque d'exercices dans le champ de la mise en oeuvre du plan Pandémie grippale après 2013. Un plan est utile non seulement en raison de sa confection même, permettant aux acteurs concernés de se parler, mais aussi en raison des exercices. D'autres activités étaient menées. Francis Delon, SGDSN entre 2004 et 2014, qui a été très préoccupé par la thématique sanitaire durant son mandat, était à la manoeuvre pour le plan Pandémie grippale. M. Delon et Louis Gautier ont été très mobilisés pendant la crise du virus Ebola, et une réflexion a été lancée sur la variole. Un exercice « variole » a eu lieu à la fin 2019. Le SGDSN n'avait donc pas déserté le champ de la crise sanitaire.
Sur l'articulation avec le monde de la santé, j'indique que le SGDSN a en son sein deux médecins, ainsi que des spécialistes NRBC - nucléaire, radiologique, biologique, chimique. Notre façon d'aborder le monde sanitaire est un peu particulière, tournée davantage vers la menace que vers le risque - je pense aux acteurs malveillants -, nombre de membres du SGDSN étant issus du monde de la sécurité, du ministère des armées et du ministère de l'intérieur, et moins nombreux sont ceux qui viennent du monde de la santé.
J'ai mis l'un des deux médecins, qui était mon conseiller, et était chargé avant même la crise de l'articulation avec le ministère de la santé, à la complète disposition de la Direction générale de la santé (DGS). Il a fait le lien constant entre nos deux maisons. Pour résumer, il n'y a pas de bataillons de spécialistes du monde sanitaire au SGDSN - et pas de bataillons du tout, d'ailleurs. On n'y fait pas carrière : on vient de quelque part et on y retourne.
En janvier dernier, le ministère de la santé nous a dit que le plan Pandémie grippale n'était pas adapté à cette crise, car il s'agissait non pas de grippe, mais d'un virus inconnu. Alors que ce plan avait en ligne de mire des thérapeutiques et la possibilité d'obtenir un vaccin à relativement brève échéance - même si le virus de la grippe évolue chaque année, il y a en effet des souches communes -, nous n'étions plus du tout dans cette perspective. Nous sommes donc repartis du plan Pandémie grippale, sans considérer qu'il pouvait s'appliquer immédiatement, et avons réfléchi à partir du volet non sanitaire, tandis que le ministère de la santé s'inspirait du plan pour concevoir un guide d'aide à la décision stratégique.
Vous m'avez interrogée sur l'activation du plan. Dès janvier, on a pioché dans le plan Pandémie grippale pour mettre en oeuvre certaines des mesures qu'il prévoyait. En ont découlé les décisions relatives à l'accueil des passagers venant de Wuhan et au contact tracing, la communication sur les gestes barrières, etc. Je ne sais pas si l'on peut pour autant parler d'« activation » du plan Pandémie grippale.
Un autre enseignement est à tirer de la crise : il convient probablement de réfléchir à un plan « pandémie générique », qui aurait des volets liés à des agents pathogènes particuliers, ce qui suppose de prendre un peu de hauteur. J'ai compris lors des deux années que j'ai passées au SGDSN, et durant les cinq ans précédents au ministère des armées, qu'un plan n'est pas le déroulé systématique et cadencé dans le temps d'un certain nombre de mesures à plaquer sur une réalité incertaine. Nous étions, par ailleurs, en position d'observateurs de la situation dans les pays voisins ou plus lointains, qui furent une source d'inspiration ou, au contraire, un repoussoir.
Un plan, c'est une stratégie. La première partie vise à l'identification de scénarios et à une stratégie de réaction. La deuxième partie comporte des fiches mesures, ce qui correspond au champ des possibles, à des mesures dans lesquelles on pioche et que l'on agence pour répondre à une situation donnée.
Le seul fait de réfléchir au champ des possibles et de disposer le moment venu d'une description des mesures à prendre, avec le régime juridique et les acteurs y afférents fait gagner énormément de temps. Voilà à quoi sert un plan ; il s'agit non pas d'y faire rentrer la réalité, mais d'avoir sous la main des leviers pré-identifiés à mettre en oeuvre.