Intervention de Claire Landais

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 octobre 2020 à 14h30
Audition de Mme Claire Landais ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité intérieure :

Je suis désolée si je vous ai donné l'impression d'être théorique. Je veux dire non pas pour ma défense personnelle, parce que cela n'a aucun intérêt, mais pour l'institution que je représente et les acteurs qui ont été mobilisés depuis le mois de janvier que leur implication dans la gestion des événements n'a pas été du tout théorique. Les personnels du ministère de la santé se sont impliqués dès mi-janvier ; il serait vraiment injuste que vous pensiez que les choses ont commencé le 15 mars.

Je vous ai confirmé que l'ouverture de la CIC avait eu lieu le 17 mars, mais de nombreuses mesures de gestion de crise ont été prises avant cette date. Le 10 janvier, le ministère de la santé envoie aux ARS et aux sociétés des fiches de conduite à tenir ; le 22 janvier, le Corruss renforcé est activé, tandis que le Corruss avait commencé une veille sur le sujet le 2 janvier, l'OMS ayant été informée le 31 décembre. Les premiers cas en France apparaissent le 24 janvier ; le 25 janvier, sont mis en place le suivi des cas contacts et l'information à l'arrivée depuis la Chine dans les aéroports français ; le 26 janvier - vous m'avez interrogée sur l'officialisation de la décision -, un « bleu » de réunion interministérielle indique que la conduite en interministériel de la crise est confiée au ministère de la santé, ce qui était - me semble-t-il - logique ; le 27 janvier, le centre de crise sanitaire est activé : c'est lui qui est à la manoeuvre pour la gestion de l'aspect sanitaire de la première vague, en lien avec des acteurs qui sont venus en renfort. Nous organisons une première réunion au SGDSN le 29 janvier sur les plans de continuité d'activité. Les premiers rapatriements de Français ont lieu le 31 janvier, organisés par le centre de crise du Quai d'Orsay, en lien avec le ministère de la Santé. Le 8 février, à la suite de l'apparition d'un cluster en Haute-Savoie, sont appliquées des mesures de fixation de ce premier foyer infectieux qui sont dans le plan Pandémie grippale, comme la fermeture d'établissements scolaires.

La partie non sanitaire du plan comprend de nombreuses mesures, comme la fermeture d'établissements scolaires, la limitation des déplacements, le contrôle des prix, qui a été appliqué par exemple sur les solutions hydroalcooliques. Beaucoup de mesures ont été activées. On est alors début février. Il en a été de même dans l'Oise, avec la mise en oeuvre d'une politique de tests, de contact tracing... Encore une fois, ces mesures sont conformes à ce qui figurait dans le plan en termes de stratégie de localisation. Le 13 février est activé le plan pour l'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles, dit plan Orsan. Le 14 février correspond à la date du premier décès en France. Le 19 février, nous organisons la task force interministérielle auprès du centre de crise sanitaire animé par le DGS. Le 21 février ont lieu les premières réunions sur le champ économique de la crise, avec les premières réflexions sur les aides à mettre en place. Le 26 février est diffusé le guide d'aide à la décision stratégique que j'évoquais précédemment, qui a été une forme d'extraction du plan Pandémie grippale adaptée à l'épidémie. Le 29 février, nous passons en stade 2, et se tient le premier conseil de défense et de sécurité nationale. Les rassemblements de plus de 100 000 personnes sont interdits - cette interdiction étant l'une des mesures prévues par le plan Pandémie grippale.

Je reprends tous ces éléments pour vous montrer qu'il se passe énormément de choses avant le 17 mars. Il faut relativiser la question de l'activation de la CIC. Le centre de crise sanitaire fonctionnait déjà et a été renforcé par des éléments interministériels.

L'activation de la CIC est décidée par le Premier ministre, sur recommandation de son cabinet, après avoir évidemment discuté avec l'Élysée et pris le conseil du SGDSN. On nous a demandé si nous avions le sentiment que c'était le bon moment pour ouvrir la CIC. Il faut mesurer que de nombreuses mesures avaient été mises en place du côté de la santé, notamment l'aspect logistique pour acquérir des capacités stratégiques. Le fait de déplacer la polarisation de la gestion de crise en ouvrant la CIC était en soi une décision lourde, parce qu'elle avait forcément des effets désorganisateurs temporaires. Ce choix de rebasculer vers un dispositif plus classique en termes de gestion interministérielle de la crise n'était pas anodin, alors que le ministère de la santé était extrêmement mobilisé et que le centre de crise sanitaire était monté en puissance. Les liens entre le SGDSN et le conseil scientifique n'existent pas, ce qui est assez logique. Le conseil scientifique a commencé à fonctionner de manière relativement informelle, avant de voir son existence consacrée par la loi du 23 mars sur l'état d'urgence sanitaire. Il n'est pas l'instance de décision : il prépare la décision stratégique du conseil de défense ou du Premier ministre en apportant des éléments scientifiques.

Quel est le principal échec de la gestion de la crise ? Je ne saurais le dire. Comme vous le savez, j'exerce depuis lors d'autres fonctions, celles de transcrire dans les textes les décisions prises. Il m'est encore difficile de prendre du recul sur les actions menées à l'époque en tant que SGDSN. Deux exercices majeurs étaient organisés chaque année au niveau interministériel. Il me semble complexe d'en réaliser davantage, mais peut-être étaient-ils trop sophistiqués. Jamais n'a été mené un exercice de pure communication - cela ne relève pas de notre métier -, mais, systématiquement la communication était intégrée, ainsi qu'un volet consacré à la manipulation de l'information et une dimension cyber. Ces opérations, particulièrement lourdes à monter, permettent de tester de nombreux éléments, peut-être trop. Peut-être faudrait-il leur préférer des exercices plus fréquents, mieux ciblés et mobilisant un nombre plus restreint d'acteurs.

L'autre enseignement que nous pouvons tirer de la crise concerne la nécessité de disposer d'un plan pandémie générique. De fait, le plan applicable à la grippe ne comprend pas de volet capacitaire et il apparaît difficile de lui adjoindre tant il semble complexe d'établir les ressources critiques pour telle ou telle pandémie. Il paraît pourtant utile de disposer des volumétries nécessaires, en cas de pandémie, en matière de ressources humaines et d'équipements notamment. Collectivement, nous avons péché au fil des ans dans le sentiment que l'intendance suivrait, alors que la logistique apparaît éminemment stratégique lors d'une pandémie. Il convient, à cet effet, de disposer de schémas logistiques bien préparés et régulièrement mis à jour. Au SGDSN, nous avons créé des normes, trop peut-être. Il semble nécessaire de redonner des marges de manoeuvre aux acteurs de terrain sans, toutefois, engendrer des inquiétudes s'agissant de leur responsabilité, notamment pénale. Il convient, à cet égard, de trouver un juste équilibre. De telles inquiétudes sont apparues dès le début de la crise, raison pour laquelle nous avons édicté des normes répondant à la demande de protection des décideurs. Nous avons également rencontré des difficultés, dans les premières semaines, pour diffuser les décisions prises à l'ensemble du territoire. Les réseaux santé et intérieur ont mis du temps à être intégrés. Le CIC a alors permis de disposer d'un canal d'information unique pour les acteurs locaux.

Nous sommes désormais dotés d'une législation relative à l'état d'urgence sanitaire. En disposer en amont nous aurait-il permis d'avoir les idées plus claires pendant la crise ? Cela est possible, mais, souvent, l'administration s'interroge lorsque la crise apparaît. Il sera néanmoins utile, à l'avenir, d'avoir défini un champ normatif de clauses à appliquer en cas de pandémie.

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