Je voudrais tout d'abord vous remercier de la confiance que vous m'avez accordée en me confiant la tâche de vous rapporter l'avis budgétaire sur l'enseignement technique agricole. Je remercie également les collègues de divers groupes qui ont participé à ces auditions.
L'enseignement agricole concerne près de 194 000 élèves et étudiants, de la quatrième aux études agricoles supérieures, contre 12 millions d'élèves dans l'éducation nationale. L'enseignement privé y joue un rôle important, puisqu'il accueille 60 % des élèves : 61 000 élèves dans les lycées publics agricoles ; 49 000 dans des établissements privés de temps plein ; 48 000 dans des établissements privés à rythmes appropriés, les maisons familiales rurales (MFR), notamment.
Le programme 143 « Enseignement technique agricole » est doté d'une enveloppe d'environ 1,5 milliard d'euros, sur les 76 milliards d'euros de la mission « Enseignement scolaire », soit 2 % des crédits de la mission. Si ce programme est en progression de 0,5 % par rapport à l'année dernière, il l'est uniquement au profit de deux lignes.
La première concerne une augmentation de 3,75 millions d'euros des montants alloués aux bourses et fonds sociaux. Si cette hausse est à saluer, nous pouvons toutefois noter qu'elle fait suite à la forte baisse de l'année dernière. Au final, le montant inscrit dans le PLF 2021 est équivalent à celui qui a été voté dans la loi de finances (LF) 2019.
La proportion de boursiers est plus importante dans l'enseignement agricole. Cette hausse des crédits doit notamment permettre de prendre en compte les difficultés financières que risquent de connaître un certain nombre de parents, en raison de la covid-19. La prime d'internat bénéficie également d'une revalorisation. Alors qu'elle était forfaitaire, elle est liée depuis cette rentrée à l'échelon de bourses de l'élève. L'une des spécificités de l'enseignement agricole réside dans le nombre important d'internes. Ainsi, près de 90 % des établissements d'enseignement agricole disposent d'un internat et 50 % des apprenants sont internes, cette proportion pouvant atteindre 80 % dans certains établissements.
La seconde concerne une augmentation de 2,62 millions d'euros, soit de 18 %, en faveur de l'école inclusive. À celle-ci s'ajoute 0,7 million d'euros pour la prise en charge d'emplois d'accompagnants des élèves en situation d'handicap (AESH), dont les contrats sont transformés en contrats à durée indéterminée (CDI). En deux ans, les crédits en faveur de l'école inclusive ont ainsi augmenté de plus de 5,6 millions d'euros.
Cependant, ce programme compte plusieurs écueils, notamment du fait d'arbitrages financiers perdus par le ministère de l'agriculture face à Bercy. Je vous les signalerai au fur et à mesure de l'exposé.
D'une manière générale, les personnes auditionnées ont fait part de leur vive inquiétude sur cette enveloppe, et plus généralement sur l'avenir de l'enseignement agricole. La crise de la covid-19, qui a fortement touché l'enseignement agricole, bien plus que l'éducation nationale, a amplifié ces craintes. Au moment où l'on parle de produire et de transformer autrement, et alors que la plus-value de l'enseignement agricole en termes d'insertion professionnelle, mais aussi sociale, est reconnue par tous, nous pouvons nous interroger sur les arbitrages malheureux de Bercy et les mauvais signaux ainsi envoyés à la filière agricole.
Premier écueil, la requalification et la revalorisation des agents de catégorie 3 de l'enseignement privé, annoncé en juillet 2019, semblent devoir rester des promesses non financées. Ces agents ont des fonctions d'enseignement. Sur la partie requalification, une divergence d'interprétation entre Bercy et le ministère de l'agriculture empêche le dossier d'avancer et se traduit par un décret qui n'est toujours pas finalisé pour devenir opérant.
Sur la partie revalorisation, une avancée a été faite par le Gouvernement, qui a déposé à l'Assemblée nationale un amendement au PLF 2021, permettant de faire un premier pas vers le changement de corps de référence. Toutefois, il est à noter que cette modification législative n'est pas accompagnée de crédits supplémentaires pour financer cette mesure. Il s'agit là du premier arbitrage défavorable, perdu par le ministère de l'agriculture face à Bercy.
Deuxième écueil, l'application stricte du schéma d'emplois pluriannuel 2018-2021, qui prévoit la suppression, à terme, de 300 équivalents temps plein (ETP).
En 2019, 50 ETP ont été supprimés, 60 ETP en 2020, et 80 ETP seront supprimés en 2021 et 110 en 2022. Les postes d'enseignants sont particulièrement touchés, puisqu'ils représentent, cette année, 58 des 80 ETP supprimés.
Le dialogue social est aujourd'hui très tendu. La situation est telle que, pour ouvrir une nouvelle filière dans un établissement, il faut en fermer une autre. Or, à côté de pratiques traditionnelles, de nouvelles formations sont nécessaires pour apprendre à produire et à transformer autrement. Mais surtout, si le schéma d'emploi continue à s'appliquer, des suppressions de classes sont à envisager à compter de la rentrée 2021, entraînant l'enseignement agricole dans un cercle vicieux : par l'absence de formations innovantes, la fermeture de classes entraîne un transfert des élèves potentiellement intéressés vers les formations proposées par l'éducation nationale, qui précipite une chute des effectifs dans l'enseignement agricole et donc la fermeture supplémentaire de classes.
Troisième écueil, des établissements fragilisés par la crise. Le groupe de travail du Sénat sur les conséquences de la crise de la covid-19 sur l'enseignement agricole, en juin 2020, piloté par notre ancien collègue Antoine Karam, pointait avec justesse les conséquences financières importantes de la crise de la covid-19 sur l'enseignement agricole.
Les auditions menées la semaine dernière confirment cette triste tendance. L'impact financier global à ce jour s'élève à 46,1 millions d'euros, les établissements publics étant les plus touchés. Le ministère a diligenté une enquête qui a permis d'identifier trois groupes d'établissements en difficulté financière plus ou moins grave : d'abord, les établissements dits P1, qui sont proches de la faillite et doivent impérativement être soutenus avant la fin de l'année 2020 au risque de fermer - 42 d'entre eux ont été identifiés en priorité absolue - ; ensuite, les établissements dits P2, qui rencontrent de graves difficultés et dont l'aide doit parvenir en début d'année 2021 - ils sont au nombre de 65 - ; et, enfin, les établissements dits P3 - ces 160 petits établissements disposent d'un budget faible et peuvent donc facilement basculer en raison des répercussions des crises sanitaire et économique.
Au total, un tiers des établissements d'enseignement agricole aurait besoin d'une aide financière du fait de la crise de la covid-19. Un certain nombre d'entre eux connaissaient déjà une situation financière fragile, que la crise sanitaire a renforcée.
Dans le cadre du quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4), que devrait prochainement examiner le Parlement, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation a chiffré le besoin à 11,74 millions d'euros, pour aider 42 établissements classés en P1. Au final, ce sont seulement 6 millions d'euros qui pourraient être ouverts pour soutenir les établissements. C'est le deuxième arbitrage que le ministère de l'agriculture a pour partie perdu face à Bercy.
En ce qui concerne les établissements P2 et P3, aucun crédit supplémentaire n'est pour l'instant porté à ma connaissance dans ce PLF. Le seront-ils par voie d'amendements ? Je n'ai reçu aucune assurance en ce sens.
Quatrième écueil, les spécificités de l'enseignement agricole sont mal prises en compte par Bercy, et plus généralement par les autres ministères, ce qui peut avoir un impact direct sur les budgets des structures, mais aussi sur le nombre d'élèves inscrits dans le cadre du programme 143.
Les difficultés financières de certains lycées agricoles publics sont la conséquence d'une mauvaise interprétation de Bercy. En effet, des centres de formation d'apprentis (CFA) et des centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) ayant recours à des agents de droit privé sont accolés à certains de ces établissements d'enseignement public. Alors que ces CFA et CFPPA interviennent dans un milieu concurrentiel, les agents de droit privé n'ont pas pu bénéficier des mesures de chômage partiel pendant le confinement, à la différence des CFA et CFPPA privés. En effet, Bercy a considéré que, étant lié à un lycée agricole public, l'ensemble avait le statut d'établissement public administratif, et n'était pas éligible aux mesures exceptionnelles de chômage partiel. Les établissements ont donc dû maintenir les salaires sur leurs fonds propres.
Un autre exemple se trouve dans la méconnaissance du rôle des MFR. En effet, au-delà de l'insertion professionnelle, celles-ci jouent un rôle d'insertion sociale auprès d'un public souvent en difficulté avec l'institution scolaire. Aussi, le ministère de l'agriculture souhaitait revaloriser le protocole le liant aux MFR pour être plus incitatif en termes d'effectifs d'élèves et primer cette excellence pédagogique. Il a demandé des moyens supplémentaires dans la perspective de la discussion du nouveau protocole des MFR avec l'Union nationale. Toutefois, cette demande n'a pas été acceptée. C'est le troisième arbitrage de Bercy en défaveur de l'enseignement agricole.
Or, je constate que la subvention versée par l'État, par élève dans un établissement d'enseignement agricole privé, est inférieure au coût unitaire de formation par élève (CUFE), tel que calculé dans le bleu budgétaire : il est de 9 970 euros, dans les établissements publics, de 7 605 euros dans les établissements privés de temps plein et de 4 556 euros dans les établissements à rythme approprié. Certes, il existe des spécificités, par exemple le recours à l'alternance dans les MFR, mais l'écart est important.
Aujourd'hui, l'enseignement agricole est concurrencé par des formations équivalentes ou proches, proposées par l'éducation nationale. Ainsi, sur un territoire, dans un rayon de 50 kilomètres, nous trouvons des filières similaires, où ni l'une ni l'autre ne font le plein d'élèves, et affaiblissent les classes concernées.
Les établissements d'enseignement agricole, dans le décompte des effectifs des apprenants, sont en concurrence avec l'apprentissage. Or les mesures fortes en faveur de l'apprentissage, avec une aide de 5 000 à 8 000 euros pour les entreprises, ont conduit un certain nombre de jeunes à choisir cette voie. Cela explique d'ailleurs en partie la baisse des effectifs, sur le papier, dans les MFR : un certain nombre d'apprenants le sont sous statut d'apprentis, et n'apparaissent plus comme élèves dans les chiffres du ministère.
Enfin, la désaffection des directeurs d'établissement d'enseignement agricole témoigne de la crise de l'enseignement agricole, dont pourtant tous les acteurs s'accordent pour louer sa grande qualité.
En effet, malgré une charte au 1er janvier 2020 permettant aux directeurs d'établissement de disposer d'un statut d'emploi, nous constatons que, par défaut de candidats, 30 % des chefs d'établissement public sont des contractuels.
Tous ces signaux, qui ne sont plus faibles, mais deviennent forts, me conduisent à partager avec vous ma vive inquiétude sur la survie de l'enseignement agricole, tel que nous le connaissons aujourd'hui. Pourtant, cet enseignement connaît l'un des plus forts taux d'insertion professionnelle. Il me paraîtrait d'ailleurs important de pouvoir mener ici une mission d'information sur l'état actuel de l'enseignement agricole et sa capacité à muter pour répondre aux enjeux sociétaux et économiques à venir, tant pour la filière que pour assurer à la France résilience et sécurité sanitaire.
En attendant, et vous n'en serez pas étonnés, je vous propose d'émettre un avis défavorable sur le programme 143 présenté en l'état, afin de tirer la sonnette d'alarme et d'essayer ainsi de geler les baisses d'ETP prévues pour 2021, mais surtout d'obtenir les financements qui manquent actuellement à la revalorisation des agents de catégorie 3 et l'aide aux établissements classés P2 et P3.
En parallèle, une réflexion est en cours avec notre collègue Jacques Grosperrin, chargé de l'avis budgétaire des autres programmes de la mission « Enseignement scolaire », pour le dépôt d'un amendement au programme 143, visant à augmenter, si vous en êtes d'accord, les crédits alloués aux MFR, comme le souhaitait le ministère de l'agriculture.