En réponse à Philippe Dallier, oui, il faut prolonger le dédoublement dans les secteurs géographiques où la structure familiale n'est pas aussi solide que dans les communautés où des valeurs sont partagées, reposant sur la solidité du couple hétérosexuel, éduquant les enfants dans l'idée que l'après-vente de la naissance est très long et qu'il dure parfois bien au-delà de la majorité. On ne peut pas dire à la fois que les valeurs familiales n'ont aucun intérêt et s'étonner ensuite d'avoir une multiplication de structures où se dilue cette solidarité pour soutenir l'éducation des enfants qui ont été mis au monde, non pas par l'Immaculée Conception, mais par la réalité de la vie - c'est une conviction personnelle, que je n'impose à personne.
Le dédoublement est donc une bonne solution, d'autant plus avec des familles peut-être très solides, mais nouvellement venues dans notre pays et n'ayant pas tous les codes de la culture ni la maîtrise du langage. Les études sur la connaissance des mots, en cours préparatoire par exemple, montrent des différences vertigineuses. L'école doit s'efforcer de les combler, mais le soutien des familles et des collectivités locales - je vais y revenir - peut être utile.
Pour répondre à Philippe Dallier, la crise sanitaire a montré aux parents et aux enseignants que l'outil numérique était utilisable. Cela ne marche pas toujours, on hésite, on progresse, mais on finit par s'adapter !
Le ministère défend le concept d'établissement, et ce de façon extrêmement concrète. Pour le secondaire, cela se traduit par la création d'un Conseil d'évaluation de l'école, qui a vocation à évaluer la performance de chaque établissement. C'est une révolution qui ne suscite pas l'enthousiasme universel, mais elle a le mérite de rappeler aux enseignants qu'ils appartiennent à une communauté éducative structurée autour de l'établissement. Les élus auront en face d'eux des responsables qui mèneront une politique d'établissement. C'est exactement l'esprit des lycées agricoles et des maisons familiales rurales (MFR) : si ces établissements fonctionnent bien, c'est parce que les enseignants et les élus sont au diapason et qu'ils participent ensemble au développement de l'établissement.
De même, la revalorisation de la rémunération pour les directeurs d'école primaire est une mesure positive. Ces directeurs étaient jusqu'à présent considérés comme une interface administrative ; le ministère veut en faire de véritables patrons, ce qui est là encore une révolution culturelle. Chaque enseignant est le chef dans sa classe, mais il faut travailler avec les autres professeurs, ne serait-ce que pour suivre les matières et les élèves. Le numérique est un excellent facteur de fédération à l'intérieur d'un établissement, car, s'agissant des outils numériques, nous sommes à peu près tous des débutants, avec plus ou moins d'ancienneté ! Les collectivités locales, qui s'étaient fortement impliquées dans les bâtiments - dont elles sont heureusement chargées -, se mobilisent tout autant dans l'équipement numérique, afin de donner leur chance aux élèves vivant dans des territoires en difficulté.
Marc Laménie m'a interrogé sur la différence entre les effectifs globaux et le nombre d'enseignants. À l'intérieur d'un établissement, des personnels qui ne sont pas des enseignants participent pleinement à la réussite scolaire : je pense aux documentalistes, aux assistants d'éducation (AED), aux AESH. L'encadrement est de 1 pour 10 : les personnels administratifs sont au nombre d'environ 100 000. Je n'ai pas suffisamment d'information pour juger si ce nombre est excessif. S'agissant des enseignants mis à disposition ou en disponibilité personnelle, leur nombre a été considérablement réduit. Cette catégorie a été la première touchée par la politique de diminution des effectifs lors du mandat présidentiel 2007-2012.
Sur la médecine scolaire, les obstacles sont au nombre de deux. Tout d'abord, tous les postes ouverts ne sont pas pourvus. Le fait que ces emplois soient considérés comme insuffisamment attractifs sur le plan financier n'est pas la seule explication. Dans les établissements, les infirmiers jouent un rôle considérable de proximité et d'interface entre les élèves et la hiérarchie. Mais la coopération entre médecins et infirmiers ne fonctionne pas. Le ministère essaie d'améliorer la situation, avec difficulté. La démographie médicale explique aussi qu'il soit difficile de trouver des médecins pour pourvoir les postes ouverts.
Christine Lavarde a évoqué, à raison, les contractuels dont la formation est aléatoire. Cette situation se rencontre surtout dans certains départements de l'académie de Versailles et dans celle de Créteil. Le recours aux contractuels est plus fréquent dans ces académies que dans d'autres. Par ailleurs, le vivier de recrutement peut être assez modeste. Par exemple, le nombre d'étudiants en master de mathématiques - le niveau de recrutement des professeurs de mathématiques - est actuellement de 4 000. Or il faut chaque année 1 600 professeurs de mathématiques ! Cela signifie qu'un tiers des élèves de master devrait se tourner vers l'éducation nationale, ce qui est illusoire. La plupart d'entre eux deviendront ingénieurs, feront de la recherche ou iront vers les métiers de l'informatique...
Une politique d'établissement pourrait corriger le tir. On ne peut pas changer l'académie de Créteil du jour au lendemain, mais on peut faire d'un établissement, privé ou public, volontaire et motivé une réussite dans tous les territoires.
Concernant les qualités pédagogiques, c'est un autre problème. Nous avons suffisamment de candidats littéraires aux postes d'enseignant. Mais être littéraire ne signifie pas être pédagogue : il faut, à la fois, une patience et une résistance physique et morale à toute épreuve qui n'accompagnent pas nécessairement le goût pour la littérature classique française ou internationale.
Pour répondre à Michel Canevet, le drame de l'enseignement agricole, c'est qu'il dépend du ministère de l'agriculture. Le ministère de l'éducation nationale le regarde avec un éloignement prudent... La commission des affaires culturelles présentera un amendement, et je suggérerai à nos collègues de le soutenir. Cet enseignement est une réussite parce qu'il est plastique et diversifié : il mérite d'être soutenu et pris en considération.
Je confirme à Éric Bocquet qu'il y a bien eu des décrochages pendant la crise sanitaire. Néanmoins, selon le directeur général de l'enseignement scolaire, Édouard Geffray, les effets péjoratifs de la crise ont été en grande partie amortis. À la rentrée de 2020, 72 % des élèves de CE1 avaient une maîtrise satisfaisante de l'écriture contre 77 % en 2019 ; de la même façon, on assiste à un petit repli en mathématiques en CP.
Selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère, il n'y a pas « d'effet confinement », ce qui n'est d'ailleurs pas forcément bon signe : elle constate que les difficultés des années précédentes se sont poursuivies en 2020. Les résultats ne sont pas satisfaisants : c'est une tragédie qui pèse sur tous, et tous doivent prendre une part de la solution. C'est la raison pour laquelle je crois beaucoup à la politique d'établissement, avec des établissements intégrés à la vie locale et soutenus par les élus, lesquels, subissant la pression directe des familles, auront à coeur de donner à leurs établissements des moyens plus adaptés. Il n'est pas nécessaire d'apporter beaucoup d'argent public supplémentaire à Neuilly, puisqu'il y a de l'argent privé. En revanche, dans les secteurs où il n'y a pas d'argent privé, les élus auront certainement une attitude plus offensive dans leurs relations avec les établissements.
J'en viens à la question de la désaffection des nouveaux enseignants. La crise sanitaire a conduit à introduire le numérique dans le quotidien de nombreuses personnes. Nous allons sans doute voir évoluer la pédagogie et, là encore, ce sont les établissements, plus que le ministère, qui peuvent porter cette évolution. Éric Bocquet est plutôt marxiste, il m'arrive de l'être aussi : la technologie commande en grande partie les rapports sociaux. Le numérique peut modifier la productivité des systèmes sociaux et la situation des uns par rapport aux autres.
Le professeur du secondaire, qui est la clé de voûte et de la réussite de notre enseignement traditionnel - davantage que les hussards noirs de la République qui ont hélas disparu -, enseigne d'une façon doctorale et réplique au lycée ou au collège un enseignement universitaire, ce qui n'est évidemment pas la bonne formule. Le numérique scolaire investit un monde auquel les jeunes sont très familiarisés, ce qui permet d'introduire de nouvelles formes d'apprentissage, de contrôle ou de suivi. C'est la raison pour laquelle je suis très favorable à apporter un soutien aux enseignants par le biais de ces nouvelles technologies évoquées par Philippe Dallier, à condition qu'elles soient gérées collectivement. Dans une entreprise de production, le système informatique est collectivement géré pour que techniciens, commerciaux, administratifs, financiers et ressources humaines travaillent ensemble. Il y a eu une multitude de plans numériques pour l'école ; on voit maintenant se décanter les formules, car la crise sanitaire nous a obligés à quitter un numérique d'aventure pour un numérique d'usage absolu, nécessaire et de survie.
Voilà mes observations sur le budget de ce ministère passionnant. Je ne suis pas un soutien fervent du Gouvernement, mais, quand on a la chance d'avoir un ministre qui s'y connaît et qui travaille, il ne faut pas se plaindre.