Intervention de Denis Masseglia

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 4 novembre 2020 à 9h35
Audition de M. Denis Masseglia président du comité national olympique et sportif français cnosf

Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) :

Je souhaite au préalable évoquer la situation post-Lima, ville où le Comité international olympique (CIO) a décidé d'attribuer les jeux olympiques et para-olympiques de 2024 à Paris. Nous avons rêvé, pendant les 6 ans de préparation de cette candidature, que l'obtention de cette organisation pouvait changer la place du sport dans la société française et la concrétiser à l'issue des JO de 2024. Cependant, 2018 a été pour nous une année compliquée quand nous espérions une impulsion, une place accrue en vue de l'échéance de 2024. Cet écueil a abouti à la rédaction d'une pétition inédite du mouvement sportif. Il ne nous semblait pas envisageable d'affronter une telle échéance sans disposer des moyens permettant de l'atteindre et d'améliorer le positionnement du sport dans la société française.

Nous sommes aujourd'hui devant une crise qui met encore plus en évidence ces difficultés. Pouvons-nous nous étonner, dès lors, qu'en période de crise, le mouvement sportif ne soit pas reconnu comme une priorité de la Nation ?

Le mouvement sportif constitue le premier mouvement associatif français. Nous comptons 90 fédérations affiliées au Comité national olympique et sportif français (CNOSF), ainsi qu'une quinzaine qui sont membres associés. Celles-ci rassemblent plus de 160 000 clubs, animés par 2,5 à 3 millions de bénévoles et regroupant pratiquement 17 millions de licenciés. Je n'ai pas envie de comparer le sport à la culture. Cependant, force est de constater que le mot « culture » apparaît presque systématiquement dans les discours des décideurs politiques, à l'inverse du « sport » qui n'est presque jamais évoqué. Le Premier ministre, dans son dernier discours, l'a cité mais de manière extrêmement fugitive. Le sport souffre ainsi d'un réel manque de considération par les élites qui dirigent la Nation, quelle que soit leur origine politique.

Aujourd'hui, le problème est encore plus sensible. Nous allons distinguer la sortie du premier confinement - où nous avons imaginé des dispositifs qui permettaient d'aider les différents secteurs d'activité y compris le sport - de ce qui se passe actuellement.

Revenons quelques semaines ou quelques mois en arrière, lors du déconfinement. Pour le ministère de l'économie et des finances, le sport français semble n'exister qu'en fonction de ce qu'il peut rapporter de manière tangible à l'État, à l'instar du sport professionnel qui rapporte incontestablement beaucoup plus à l'État que ce qu'il coûte, de même que les associations employeurs. Sur 157 000 associations affiliées à une fédération, dont certaines à plusieurs fédérations, seules 25 000 associations employeurs sont comptabilisées. Il en reste 125 000 animées uniquement par des bénévoles et qui échappent totalement au radar de Bercy, parce qu'elles ne rapportent rien en matière d'emploi ni en tant qu'associations professionnelles. Ces 125 000 associations, aux côtés des autres, s'avèrent pourtant essentielles en matière de création de lien social, d'éducation et de santé. Nous ne sommes pas les seuls à être bénéfiques en matière de santé mais je crois que nous sommes les seuls à l'être en termes de lien social et d'éducation. En effet, si vous n'avez pas un éducateur qui s'occupe des jeunes ou des adultes, vous ne diffusez pas les valeurs du sport vers ceux qui le pratiquent.

Plusieurs problèmes se posent aujourd'hui. Le sport professionnel continue, ce qui constitue une très bonne nouvelle par rapport à l'arrêt qui avait été ordonné il y a quelques mois. Nous sommes en effet le seul pays où le sport professionnel s'était arrêté, provoquant des difficultés liées aux droits de retransmission télévisée et aux contestations qui en ont suivi sur les résultats.

Aujourd'hui, le sport professionnel peut continuer, mais nous allons distinguer ceux qui perçoivent des droits de télévision importants et ceux qui n'en touchent pas ou peu. Parmi les premiers, ceux qui peuvent continuer, nous ne comptons que le football et le rugby. Le basket, bien qu'il soit un sport important, ne possède plus de contrat télévisé qui lui permette de toucher des droits. Heureusement que la chaîne Sport en France, créée par le Comité Olympique ainsi que L'Équipe, relaie des matchs de basket. Sport en France fait aussi la promotion de la Professionnelle B et de la ligue féminine de basket. Je parlerai plus tard du sport professionnel féminin.

En matière de sport professionnel, le football dépend essentiellement des droits de télévision ; Mediapro est un sujet important. Nous sommes cependant dans une forme de continuité à laquelle tous les clubs ont adhéré. Le rugby se trouve confronté au problème de la perte de billetterie, élément primordial dans le budget des clubs, qui provoque aussi des pertes importantes en termes de partenariats. Les indemnités proposées ne suffiront jamais à compenser la perte budgétaire liée à l'organisation des matchs. Même si la Commission européenne accepte la distribution des 107 millions d'euros prévus et sanctuarisés au niveau de Bercy pour dédommager les clubs, la seule perte sèche, en marketing, de Roland-Garros s'élève à 100 millions d'euros.

En matière de sport semi-professionnel, nous sommes confrontés à une vraie problématique. Sans billetterie, sans recettes de télévision et sans partenariats, il est beaucoup plus coûteux de continuer que d'arrêter. Cependant, si l'activité cesse par décision fédérale, les clubs ne peuvent prétendre aux mêmes aides que si l'arrêt relevait d'une obligation gouvernementale. Nous nous retrouvons donc, pour tous ces sports, avec une équation extrêmement difficile à résoudre. Les professionnels de ces sports et de ces fédérations se réunissent tous les jours pour décider la poursuite ou non des activités. Personne ne peut prendre une décision qui s'inscrive dans la durée alors qu'il est impossible de savoir quand pourra reprendre une activité normale.

Le sport professionnel féminin, déjà en difficulté auparavant, l'est encore plus aujourd'hui, pour sa part. Sans un plan de sauvetage, il n'existera plus demain. Les clubs ne peuvent se permettre éternellement de perdre de l'argent. Permettre aux jeunes filles, et un peu plus tard aux jeunes athlètes féminines, de s'exprimer dans un sport professionnel féminin - comme c'est le cas dans d'autres pays -, devrait être une priorité.

Qu'en est-il de ceux qui ne sont ni professionnels, ni semi-professionnels ? Pour les clubs employeurs, les emplois peuvent être pris en charge par le dispositif gouvernemental s'ils cessent leur activité. La situation est cependant différente pour les 125 000 clubs animés uniquement par des bénévoles et qui n'existent que par leurs membres. La disparition de ces derniers entraînera celle de ces clubs. De même, si les bénévoles n'ont plus d'activité, auront-ils l'esprit assez chevillé au corps pour poursuivre leur action ? Les plus anciens resteront probablement, mais leur action diminue au fur et à mesure que l'âge avance.

Les clubs amateurs se retrouveront dès lors avec une vraie problématique de gestion dès que la pandémie sera finie. Ils peuvent tenir trois ou quatre semaines, mais si la pandémie dure plus longtemps, l'avenir de tout ce secteur est incertain. Le titre de la lettre ouverte que nous avons adressée au Président de la République - « sport en détresse » - traduisait notre désarroi.

Nous sommes en effet désemparés par le peu de considération dont nous faisons l'objet alors que nous avons un rôle important à jouer au sein de la Nation. Le plus difficile est d'accepter que le gouvernement ne s'adresse à nous qu'en cas de problème, comme aujourd'hui pour lutter contre la radicalisation. Cette lutte fait aussi partie des ambitions sociétales du mouvement sportif, mais nécessite d'arrêter de promouvoir la pratique libre et la pratique associative non fédérée. Un club avec un agrément, sous couvert de fédération, constitue la meilleure garantie contre la radicalisation. Je souhaite notamment qu'une enquête soit effectuée pour connaître les associations bénéficiaires de dotations publiques et non fédérées qui se révèlent être des foyers de radicalisation. De plus, la pratique libre s'est développée ces dernières années et encore plus pendant le Covid.

Je crois que nous reviendrons au sport associatif fédéré lorsque la vie reprendra. En effet, la pratique libre a malgré tout quelques limites, notamment pour les jeunes que je tiens à évoquer. En effet, nous sommes bien conscients qu'aujourd'hui, leur capacité physique est inférieure à celle qu'avaient leurs aînés. Un jeune met entre 30 secondes et une minute de plus qu'un jeune d'il y a 50 ans pour effectuer un kilomètre en courant, en raison d'une insuffisance d'activité physique, voire au fait qu'il ne faut surtout pas leur dire qu'ils font de la compétition, qu'il faut qu'ils aillent au bout de leurs limites. Pourtant, un jeune de 12/13 ans en a envie, pas forcément pour devenir champion olympique mais pour pouvoir se confronter aux autres. Tout cela est très formateur sur le plan physique autant que mental.

Nous poussons un cri d'alarme. Nous nous préparons à une crise sanitaire dans 20, 30 ou 40 ans, à côté de laquelle celle due à la Covid ne sera pas grand-chose. La crise sanitaire due à l'insuffisance de capacité physique des jeunes d'aujourd'hui se traduira notamment par davantage de maladies cardio-vasculaires. L'Union européenne a déjà tiré le signal d'alarme sur ce sujet. Sans faire de la pratique sportive des jeunes une priorité de la Nation, nous allons droit à une catastrophe sanitaire.

Je répondrai à vos questions aux côtés de Julie Lavet, directrice des relations institutionnelles du CNOSF.

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