Intervention de Thomas Mesnier

Commission mixte paritaire — Réunion du 17 novembre 2020 à 19h30
Commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021

Thomas Mesnier, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale :

Au terme de l'examen en première lecture par nos deux assemblées, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, qui comptait 51 articles initialement, comprend désormais 42 articles adoptés conformes et 125 articles encore en discussion. Le Sénat a supprimé 11 articles adoptés par l'Assemblée nationale et ajouté 67 nouveaux articles. Au-delà de cet aspect statistique, cette première lecture laisse apparaître trois types catégories de dispositions à ce stade de la discussion.

Une première série comporte les dispositions, qu'elles aient été adoptées conformes ou non, sur lesquelles les deux assemblées sont d'accord, chacune ayant participé à l'amélioration de leur rédaction. Tel est le cas, pour la quatrième année consécutive, des articles dits « de chiffres », qui ont fait l'objet d'actualisations très significatives par l'Assemblée nationale comme le Sénat ; ces évolutions étaient nécessaires pour tenir compte des mesures prises pour faire face au regain de la crise sanitaire ou aux mesures nouvelles adoptées dans le texte, et nos deux assemblées ont pu constater leur sincérité, même si chacun aurait espéré, bien sûr, ne pas avoir à approuver des perspectives aussi sombres pour les finances sociales.

Tel est le cas aussi de dispositions plus substantielles sur un plan normatif : les articles 6 bis et 6 ter relatifs respectivement au prolongement du régime social de l'activité partielle et aux mesures d'exonérations et d'aide au paiement pour accompagner les entreprises et les travailleurs qui font face aux mesures restrictives qu'a imposées la situation sanitaire ; l'article 16 sur la gouvernance de la nouvelle branche autonomie, même si quelques précisions peuvent être encore apportées sur la rédaction de certains alinéas ; la revalorisation des carrières des personnels à l'hôpital à l'article 25 ; la création d'une nouvelle enveloppe dédiée à la prise en charge des violences conjugales à l'article 28 bis ; le tiers payant intégral pour les frais relatifs aux interruptions volontaires de grossesse (IVG) et pour les soins du panier 100 % Santé aux articles 33 bis et 33 quater ; la mise en place d'un régime d'indemnités journalières pour les professions libérales à l'article 34 quater ; l'évolution du congé de paternité à l'article 35 ; ou de nombreuses dispositions de lutte contre la fraude sociale. Le Sénat a d'ailleurs non seulement amélioré ou confirmé des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, mais il a aussi ajouté des dispositions bienvenues sur la lutte contre la fraude ou encore sur l'autonomie, avec en particulier la mise en place d'une allocation de vie partagée afin d'accélérer le développement de l'habitat inclusif pour les personnes handicapées.

Une deuxième série comporte des dispositions qui ont été adoptées par le Sénat malgré l'avis défavorable de la commission des affaires sociales et du Gouvernement, et qui ne sont pas sans poser des problèmes techniques ou de principe qu'il nous aurait fallu régler de toute façon, avec ou sans CMP conclusive. Je pense notamment à de nombreuses niches sociales désormais inscrites dans le texte, qui me semblent préjudiciables aux objectifs, que je sais partagés par nos deux assemblées, de responsabilité concernant les comptes publics et de cohérence du prélèvement social.

Enfin, il existe une dernière série de dispositions qui opposent diamétralement nos deux assemblées, à tel point qu'il me semble impossible de trouver aujourd'hui un texte de compromis.

Nos deux assemblées s'opposent ainsi très nettement, depuis la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie, sur la question de la dette hospitalière et, de manière plus générale, sur les contours de la sécurité sociale, que l'Assemblée nationale entend plus largement que le Sénat. Sans revenir sur le désaccord de principe sur lequel nous nous étions largement expliqués cet été lors d'une précédente commission mixte paritaire, il nous semble malvenu de supprimer les modalités de reprise de la dette hospitalière fixées à l'article 27, alors que celle-ci est très attendue par les établissements. Cette opposition sur ce sujet relativement binaire me semble peu propice au compromis.

Nos chambres s'opposent également sur la méthode, comme sur le fond, à propos d'une disposition paramétrique en matière de retraites, telle que la propose le Sénat à l'article 47 quinquies. Sur la forme, elle conduirait à dénaturer le processus engagé par le Gouvernement permettant au Conseil d'orientation des retraites (COR) d'établir un diagnostic et aux partenaires sociaux de se prononcer sur la base de celui-ci. En effet, tout en prévoyant une conférence de financement, le dispositif pourrait aboutir à une « réforme couperet » de grande ampleur en 2022. Sur le fond, cette réforme couperet retient des options, notamment sur l'âge légal de départ à la retraite, qui n'ont aucune raison d'être privilégiées par rapport à d'autres. Je ne surprendrai personne en disant qu'il s'agit là d'un point fondamental de désaccord.

Enfin, j'observe une forte différence d'approche globale de nos deux assemblées en matière de prélèvements sociaux. Le Sénat a alourdi la taxe prévue sur les organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) en 2021, alors même que nous n'avons pas de certitude, à l'heure actuelle, sur des paramètres aussi fondamentaux que le rebond de la consommation des soins ou l'impact de la portabilité des droits sur les comptes de ces mêmes organismes. Le Sénat a aussi bouleversé le réglage fin, mais équilibré, qui avait été trouvé sur le dispositif concernant les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi (TO-DE) ; il a aussi ajouté de nouveaux dispositifs d'exonérations ciblées, parfois à l'extrême, et dont la justification, dans une période difficile pour les comptes publics, ne me semble pas évidente. Là encore, le désaccord ne peut pas surprendre : des amendements similaires avaient d'ailleurs été rejetés par notre assemblée.

De la même manière, en matière de maîtrise des dépenses de santé, le Sénat a adopté des mesures étonnantes dans le contexte actuel, sans que ces mesures semblent procéder d'une vision globale de la maîtrise médicalisée du risque. Il a notamment ouvert, à l'article 30 bis, une brèche importante dans le parcours de soins coordonnés, alors que ce dernier est désormais très largement consensuel.

Le constat est donc nécessairement en demi-teinte, au terme de ce panorama rapidement brossé. Je crois, en effet, que nous ne sommes pas en mesure de trouver un accord lors de cette commission mixte paritaire, mais l'Assemblée nationale aura bien sûr à coeur, au cours de la nouvelle lecture qui se profile, de maintenir un grand nombre des avancées permises par l'examen au Sénat.

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