Je suis ravi de revenir au Sénat quelques jours après le débat sur le Conseil européen que nous avons tenu ensemble. Je partage une forme de frustration avec vous : lorsque nous avions prévu cette audition, il y a quelques semaines, j'espérais vous livrer le résultat de la négociation, ou, en tout cas, une réponse ferme et définitive sur notre relation future avec le Royaume-Uni. Malheureusement, ce n'est pas le cas : la négociation continue, ce qui ne constitue pas en soi une mauvaise nouvelle, mais elle ne pourra pas aller au-delà de la première quinzaine de novembre en raison des délais parlementaires européens et britanniques d'autorisation de ratification de l'accord. Nous sommes effectivement dans le dernier tronçon de la dernière ligne droite. Nous avons un sentiment de déjà-vu puisque nous avons connu de nombreux derniers tronçons ces dernières années. Mais cela prend toujours plus de temps qu'espéré.
Il faut être conscient, comme l'a dit le président Rapin, que plus rien ne sera comme avant, après le 1er janvier, dans notre relation avec le Royaume-Uni. C'est le résultat d'un choix que je regrette, mais qui est souverain. C'est le choix du Royaume-Uni, pas le nôtre. Nous ne saurions être le voisin poli qui ouvre la porte, offre le bouquet de fleurs et accepte de reverser l'intégralité des achats communs des quarante-cinq dernières années. Le Brexit a un coût collectif, puisqu'il ne crée pas de valeur ajoutée, mais ce n'est pas à l'Union européenne de régler la facture.
Nos priorités sont connues : la pêche et les conditions de concurrence équitable, le level playing field, ainsi que la gouvernance, qui y est étroitement liée. Quelle sera notre capacité à réagir à d'éventuelles violations des engagements du Royaume-Uni sur la relation future ? Nous ne saurions être impuissants face à une dérive britannique.
La pêche et les conditions de concurrence équitable sont des priorités absolument fondamentales, partagées unanimement par les Vingt-Sept, ce qui n'était pas forcément évident. Les conclusions sur le Brexit ont été adoptées en moins d'une heure au Conseil européen, ce qui est le signe d'une unité européenne réaffirmée.
Le 1er janvier, le visage du Brexit sera le visage de nos pêcheurs. Nous devrons pouvoir leur dire que leurs intérêts ont été défendus. Il n'y a aucune raison de céder à la pression britannique. Des points précis sont l'objet d'une attention très forte de notre part : l'avenir de la bande des 6-12 milles et l'accès garanti, stable et durable aux eaux britanniques. Nous ne pouvons pas dépendre d'une décision annuelle. Nous sommes aussi particulièrement vigilants sur certaines espèces de poissons qui constituent l'essentiel de nos pêches dans les eaux britanniques. L'accès à ces eaux doit être stable, durable et large, mais aussi réciproque. N'oublions pas que l'activité des pêcheurs britanniques dans nos eaux représente 150 millions d'euros par an. Je suis très ferme sur la réciprocité.
J'insiste aussi sur la filière. La transformation est réalisée pour l'essentiel dans l'Union européenne, en particulier dans les Hauts-de-France. C'est une activité nécessaire pour nous, mais plus encore pour les Britanniques. Ne sous-estimons pas nos forces dans cette négociation.
Nous ne devons pas, par naïveté - ce qui est parfois un syndrome européen -, isoler la question de la pêche. Nous voyons bien l'intérêt britannique de négocier d'une part l'accord commercial et d'autre part, ou plus tard, l'accord de pêche. Nous devons éviter d'isoler le domaine dans lequel le partenaire a l'avantage.
L'absence d'accord serait d'abord un souci pour le Royaume-Uni, même si nous avons évidemment le souhait d'en obtenir un. Cet accord est possible et souhaitable, mais il ne sera acceptable pour l'Union européenne que dans le strict respect des intérêts nationaux et européens. C'est très clair. La négociation a repris et se poursuit. Nous avons encore besoin de plusieurs jours, probablement deux semaines. Nous évaluons régulièrement, par les rapports de la task force, si nous sommes dans l'épure d'un accord acceptable ou non. Nous évaluerons sa qualité avant de le signer. Ce ne sera pas un accord à tout prix.
Plus rien ne sera comme avant. « Sommes-nous prêts ? », demande le président Cambon. Il y aura de toute façon des changements au 1er janvier. Même en cas d'accord, nous ne serons pas dans le prolongement de la situation actuelle. Il y aura des contrôles douaniers aux frontières, sachant que 80 % des marchandises allant du Royaume-Uni vers l'Union européenne passent par la France. Des contrôles sanitaires et phytosanitaires seront organisés. Nous avons recruté plus de 700 douaniers, plus de 300 membres de la police aux frontières et plus de 200 vétérinaires du ministère de l'agriculture. Le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a posé quelques questions spécifiques auxquelles nous allons répondre. Notre dispositif, dont le préfet Lalande est chargé, doit être en état de marche au 1er janvier. Comme mon collègue Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, je me rendrai à nouveau sur ces points de contrôle pour vérifier que l'ensemble est opérationnel. Je n'ai pas d'inquiétude spécifique.
Concernant le tunnel sous la Manche, nous avons une habilitation de l'Union européenne pour remplacer le cadre européen par un cadre qui prolonge les règles actuelles, issues de règles européennes qui ne seront peut-être plus applicables au 1er janvier. Des mesures sont prêtes, unilatérales ou bilatérales, pour assurer la continuité du trafic.