M. Lurel a souligné à juste titre l'importance du secteur bancaire. Il s'agit d'un avantage britannique de longue date, mais nous ne devons pas non plus sous-estimer l'attractivité du passeport européen. C'était un atout majeur de la City, qui risque d'être perdu. Un certain nombre d'effets se font déjà ressentir en termes d'attractivité et de relocalisation. Dans cette compétition, Paris est la troisième ou la quatrième place financière à avoir bénéficié de ces changements. Par nos efforts, nous avons réussi à relocaliser l'Autorité bancaire européenne à Paris. C'est un élément important pour l'attractivité de notre place bancaire et financière.
Sur le fond, il n'y a pas d'accord bilatéral éternel ou durable sur la question de l'équivalence financière, c'est à dire de l'accès à notre marché de la part d'un pays désormais tiers. L'Union européenne vérifie régulièrement la qualité de la supervision en termes de ratios prudentiels. C'est une décision unilatérale. Le même mécanisme prévaut en matière de protection des données. Il ne peut donc y avoir sur ce point de dumping de la part des Britanniques. Aucune décision d'équivalence n'a été prise à ce stade : nous allons évaluer les premières décisions post-Brexit envisagées par le Royaume-Uni. Nous avons toutefois accordé par exception une prolongation au fonctionnement des chambres de compensation, qui sont nécessaires pour nos propres institutions financières.
Vous avez également évoqué les ports francs et la circulation entre le Royaume-Uni et la France. Plusieurs d'entre vous ont rappelé l'importance de notre relation commerciale avec le Royaume-Uni, qui est effectivement notre premier excédent commercial bilatéral. Peut-être plus encore sur le plan stratégique, nous n'avons jamais considéré le Royaume-Uni comme un adversaire ou comme un pays dont il faudrait s'éloigner. Il n'y a aucune inimitié dans le fait de défendre nos principes. Nous souhaitons évidemment un accord aux conditions qui ont été rappelées, mais nous appelons aussi de nos voeux une relation bilatérale prospère et durable entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Je rassure Christian Cambon, la covid n'empêchera pas une célébration du traité de Lancaster House le 2 novembre. Par ailleurs, le Président de la République souhaite que se tienne au début de l'année prochaine un sommet bilatéral dans un cadre clarifié.
L'annonce britannique sur les ports francs n'a en tout cas pas encore été suivie de mesures concrètes. S'il devait y en avoir, sous la forme d'un dumping réglementaire ou fiscal, c'est alors que notre robuste défense de conditions équitables de concurrence, insistant sur le respect de nos normes sociales et environnementales élevées, prendrait toute son importance. Il faut éviter que le Royaume-Uni ait accès au marché intérieur sans en respecter les règles. Notre négociateur a pour mandat de faire respecter le niveau d'exigences le plus élevé possible. Ne vous laissez pas impressionner par l'argument britannique selon lequel l'Union européenne serait moins exigeante envers d'autres partenaires commerciaux, notamment le Canada. De fait, le niveau d'exigences augmente dans l'Union à chaque négociation commerciale. Par ailleurs, tout accord commercial est adapté à la réalité du partenaire : les flux commerciaux entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sont dix fois plus importants que ceux qu'elle a avec le Canada. Ne soyons ni timides ni honteux : continuons d'exiger les garanties les plus fortes possible en matière de concurrence équitable !
Concernant le Posei, lors de mon dernier déplacement à Bruxelles avec le Premier ministre et le ministre de l'économie et des finances, nous avons insisté sur l'importance de la préservation de son budget ; le Président de la République a tenu les mêmes propos à la présidente de la Commission. La mobilisation est totale ; elle a été entendue par Mme von der Leyen. Nous ne sommes d'ailleurs pas seuls à formuler cette revendication légitime : l'Espagne et le Portugal sont aussi engagés, de même que la Grèce. Nous ne sommes pas au bout du chemin, mais nous ne relâcherons pas la pression.
Monsieur Cadic, vous avez raison quant à la protection des droits des citoyens européens au Royaume-Uni : l'amendement adopté par la chambre des Lords n'est pas parvenu au bout du processus législatif. Nous porterons encore cette demande au cours des négociations ; à ce stade, il s'agit d'une décision britannique unilatérale. Nous souhaitons qu'une procédure allégée, sans vérification de la durée de résidence, soit mise en place pour les enfants des personnes concernées. Là aussi, nous ne sommes pas au bout du chemin ; un accord d'ensemble créerait sans doute une dynamique favorable au Parlement britannique pour atteindre cet objectif.
Vous avez aussi raison de poser la question des personnes âgées et vulnérables, qui ne sont pas toujours au courant des démarches et des échéances qui s'imposent à elles pour demander le statut auquel elles ont droit. Nos autorités consulaires sont mobilisées ; des courriers sont systématiquement envoyés aux ressortissants français au Royaume-Uni qui relèvent de ces catégories. Je m'assurerai encore que tous les efforts sont faits.
La liaison Eurostar est au coeur de notre relation économique avec le Royaume-Uni. Le trafic est actuellement très fortement réduit à cause de la covid-19. Dans la perspective du Brexit, une habilitation a été donnée à la France par l'UE pour négocier avec le Royaume-Uni, bilatéralement, l'avenir de la liaison ferroviaire, les licences des conducteurs de train et les exigences de sécurité, tout ce qui était jusqu'à présent soumis aux règles européennes. Au cas où cette discussion n'aboutirait pas d'ici au 31 décembre, le Parlement a habilité le Gouvernement à prendre des mesures unilatérales, au moins pour quelques mois ; des dispositions correspondantes devraient évidemment être adoptées par le Royaume-Uni. Le projet de décret en question est en cours de finalisation ; il doit être transmis au Conseil d'État pour que ce dernier filet de sécurité soit prêt. Je vérifierai la semaine prochaine avec les dirigeants de Getlink que toutes les autorisations de sécurité ont bien été demandées et délivrées. Il est en tout cas inconcevable de ne plus avoir de liaison Eurostar fonctionnelle au 1er janvier.
Monsieur Gattolin, la politique migratoire est un sujet que nous voulions porter dans la négociation d'ensemble avec le Royaume-Uni, mais nos partenaires européens, dont les besoins ne sont pas les mêmes, n'ont pas souhaité intégrer ce volet dans le mandat du négociateur. Cela ne nous empêche pas d'avoir un dialogue parfois difficile, mais constant, avec les autorités britanniques sur la gestion de la frontière et l'augmentation des passages en mer. Les accords du Touquet, complétés par le traité de Sandhurst, ont une logique : ils évitent humainement des prises de risque excessives en organisant une forme de gestion de la frontière britannique du côté français de la Manche. Cette démarche de coopération humanitaire n'est pas liée au droit de l'UE, ni donc au Brexit, mais c'est un service que nous rendons aux Britanniques. Le traité de Sandhurst a amélioré la contribution financière britannique à la gestion de leur frontière. Certaines déclarations parlementaires ou gouvernementales britanniques reprochent à tort à la France une certaine inaction : nous défendons loyalement un intérêt vital britannique. Récemment, plus de petites embarcations tentent le passage ; des moyens sont développés, sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, pour mieux contrôler les départs et démanteler des filières. Hélas, cela n'empêche pas les drames. Nous discutons donc avec les autorités britanniques de la possibilité d'améliorer la situation, par des patrouilles conjointes et un meilleur recueil de renseignements en amont. Des solutions beaucoup plus dangereuses et inefficaces sont évoquées ; nous ne souhaitons pas aller dans cette direction.
Concernant la politique spatiale, un cadre sera de toute façon maintenu : l'Agence spatiale européenne. Le Royaume-Uni en est un contributeur important et le restera. Par ailleurs, on peut se féliciter de la montée en puissance actuelle de la politique spatiale européenne, sous l'autorité du commissaire Thierry Breton ; le budget de cette politique dépassera 15 milliards d'euros au cours de la prochaine période de programmation financière. Le Royaume-Uni n'y participera pas. Pour ce qui concerne le projet Galileo, il n'est pas exclu que le Royaume-Uni le rejoigne en tant qu'État tiers, ce qui signifie qu'il n'y bénéficiera pas des mêmes droits, notamment en matière d'usage du programme pour des questions de défense et de sécurité.