Je suis heureuse de pouvoir vous présenter ce matin mon avis sur les crédits relatifs aux transports aériens. Contrairement à ceux dédiés aux transports ferroviaires, routiers et maritimes, les crédits alloués à la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) ne sont pas retracés dans une mission budgétaire, mais dans un budget annexe, financé par le seul biais de taxes et de redevances directement prélevées sur les acteurs du transport aérien. L'avis dont j'ai la charge s'intéresse par ailleurs aux crédits relatifs aux lignes d'aménagement du territoire, inscrits dans le programme 203 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». L'avis se penche, enfin, sur certaines taxes spécifiquement prélevées sur le transport aérien, bien que ne relevant pas directement du budget annexe.
Avant de revenir sur ces crédits et prélèvements, permettez-moi de vous présenter le contexte actuel, ainsi que les perspectives des mois et années à venir.
C'est un euphémisme que de dire que le transport aérien est entré, depuis le début de la crise sanitaire, dans une période de très fortes turbulences. En 2020, le trafic est en baisse de 60 % à 70 % par rapport à 2019. Le ciel ne sera pas beaucoup plus dégagé en 2021 : un recul de 30 à 50 % du trafic par rapport à 2019 pourrait être observé. Le retour au niveau de trafic de 2019 n'est pas attendu avant 2024, dans le scénario le plus optimiste, et 2029, dans le scénario le plus pessimiste.
La reprise du trafic aérien dépend de facteurs qui lui sont largement exogènes : évolution de la situation sanitaire, capacité à trouver et diffuser rapidement un vaccin, évolution de la croissance mondiale. Les pouvoirs publics et le secteur aérien disposent néanmoins de plusieurs leviers d'action pour agir sur la confiance des passagers dans le transport aérien. J'en identifie deux.
Premièrement, la généralisation des tests antigéniques au départ des vols : leur reconnaissance a minima par les autres pays de l'Union européenne pourrait permettre d'éloigner la menace d'un placement en quarantaine des passagers à l'arrivée. Deuxièmement, dans le prolongement des travaux menés par Mme Nicole Bonnefoy pendant le premier confinement, je préconise la mise en place d'un fonds dédié au remboursement des vols en cas de faillite d'une compagnie aérienne au niveau européen. Le ministre nous a affirmé, la semaine passée, que ce sujet constituait pour lui une priorité.
Au-delà de ces sujets d'attention, à court terme, la question qui se pose aujourd'hui est celle de l'avenir du transport aérien dans notre pays. Je rappelle que le Gouvernement a adopté, depuis le début de la crise sanitaire, des mesures de soutien très fortes en faveur du secteur. Je n'y reviens pas dans le détail. Je note cependant que peu de secteurs ont bénéficié d'un appui aussi massif et rapide de l'État. Ce soutien répond à une crainte, fondée, d'effondrement du pavillon français. Je considère néanmoins que ces soutiens ne doivent pas constituer une échappatoire, qui exonérerait les pouvoirs publics et le secteur d'une réflexion à mener sur son empreinte environnementale et d'actions fermes à entreprendre pour la contrôler et la réduire. À cet égard, je note avec intérêt les efforts consentis par le Gouvernement pour verdir le transport aérien via son soutien au développement des biocarburants de nouvelle génération et l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros consacrée à la recherche, afin notamment de mettre au point un avion vert d'ici 2035, en s'appuyant principalement sur la technologie de la propulsion à hydrogène.
Soyons cependant réalistes : le solutionnisme technologique ne suffira pas. D'une part, les biocarburants ne se substitueront jamais entièrement au kérosène traditionnel. Je rappelle que la feuille de route gouvernementale prévoit un taux d'incorporation de biocarburants dans l'aérien de 50 % en 2050. D'autre part, il est probable qu'à l'horizon 2035, l'hydrogène n'offre une alternative que pour le court et le moyen-courrier. Sauf à vouloir ignorer ces contraintes, les politiques publiques devront donc s'attaquer, tôt ou tard, à l'autre donnée, la plus déterminante de l'équation : l'évolution du trafic.
Il est probable que le transport aérien retrouvera à plus ou moins long terme, selon l'évolution de la situation sanitaire, le chemin d'un développement soutenu. La situation alarmante à laquelle le secteur fait face aujourd'hui ne doit donc pas éclipser la menace que le transport aérien pourrait faire peser, demain, sur le respect de nos engagements climatiques, si rien n'était fait pour prévenir la résurgence d'une croissance exponentielle du trafic. La question de l'impact environnemental du transport aérien sera donc au coeur des débats sur le projet de loi « Climat » et devra constituer un point d'attention majeur pour notre assemblée.
Après ce rapide tour d'horizon de la situation et des perspectives du secteur, j'en viens au commentaire des crédits et recettes relatifs aux transports aériens, lourdement impactés par la crise sanitaire.
Je serai brève sur la présentation du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA), qui n'appelle pas à d'importants développements. Le budget annexe connaît inévitablement une chute importante de ces recettes, - 80 % par rapport à 2019, tant en raison de l'effondrement du trafic que du gel des taxes et redevances aériennes, accordé par le Gouvernement aux acteurs du secteur pour l'année 2020. La lente reprise du trafic ne devrait pas conduire à une amélioration marquée de la situation pour l'exercice 2021.
Côté dépenses, notons que la DGAC a décidé de maintenir son effort d'investissement, ce qui permettra de moderniser le contrôle aérien et, en retour, d'accroître la performance environnementale des vols. Parallèlement, un effort sera réalisé pour une maîtrise accrue des dépenses. Cependant, l'année 2020 et les années à venir seront marquées par une hausse inévitable de l'endettement du budget annexe, après plusieurs années d'efforts d'assainissement. L'encours de la dette devrait ainsi passer de 667 millions d'euros fin 2019 à 2,6 milliards d'euros fin 2021.
J'en viens maintenant aux crédits alloués aux lignes d'aménagement du territoire (LAT). Comme l'a rappelé le récent rapport de notre ancienne collègue Josiane Costes, les LAT, lignes sous obligation de service public faisant l'objet de subventions des collectivités territoriales et de l'État, constituent dans certains territoires des outils indispensables au désenclavement en raison de l'absence d'alternatives ferroviaires ou routières. Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une très légère augmentation des crédits de paiement qui leur sont affectés (+ 600 000 euros) pour atteindre les 20 millions d'euros. Les LAT sont pourtant largement touchées par la crise sanitaire : si le trafic est modérément reparti à la hausse à la fin du printemps et à l'été, il s'effondre aujourd'hui en raison des nouvelles mesures de confinement annoncées fin octobre.
Alors que la connectivité n'a pu être assurée en cette année 2020, les collectivités territoriales concernées sont contraintes de verser leur part de subventions afin de couvrir les coûts fixes des compagnies sous obligation de service public. Au nom de la solidarité nationale avec les territoires les plus enclavés, il me semble légitime que l'État compense, au moins pour partie, le coût financier des lignes d'aménagement du territoire supporté par les collectivités territoriales pour l'année 2020. C'est l'objet du premier amendement que je vous propose : il vise à accroître, en 2021, le soutien de l'État aux lignes d'aménagement du territoire de 10 millions d'euros afin de dédommager les collectivités territoriales pour l'année 2020.
Enfin, je souhaite vous présenter deux amendements visant à compenser les pertes de recettes de la taxe sur les nuisances sonores aériennes et de la taxe d'aéroport, toutes deux prélevées sur les billets d'avion.
Je rappelle que la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TSNA) est collectée en vue de financer les aides versées aux personnes et collectivités riveraines des aéroports pour réaliser des travaux de réduction des nuisances sonores. En raison de la chute du trafic aérien, c'est tout le système de financement de la lutte contre les nuisances sonores aériennes qui est aujourd'hui remis en cause : les recettes de la taxe connaissent en effet une chute sévère pour 2020, qui devrait se prolonger en 2021. Je regrette vivement qu'aucune mesure de compensation n'ait été envisagée par le Gouvernement, ni dans la présente loi de finances, ni dans les lois de finances rectificatives soumises au Parlement depuis le début de la crise sanitaire. Cette situation porte un préjudice sévère à l'aide à l'insonorisation. C'est d'autant plus inacceptable qu'on enregistre aujourd'hui un retard manifeste dans la réalisation des plans de gêne sonore précisément pour cette raison principalement. Je vous propose donc un amendement afin que l'État compense la perte des recettes de TSNA pour les années 2020 et 2021 à hauteur de 75 millions d'euros.
Par ailleurs, je vous propose un amendement pour compenser les pertes de recettes sur la taxe d'aéroport. Je rappelle que son produit est reversé aux exploitants d'aérodromes pour financer les dépenses de sûreté et de sécurité. La chute du trafic aérien et la perte de recettes de la taxe d'aéroport ont mis en péril ce système de financement des activités régaliennes. Faisant suite aux demandes du secteur et du Sénat, notamment de Mme Nicole Bonnefoy dans son rapport paru pendant le premier confinement, la troisième loi de finances rectificative pour 2020 a donc prévu le versement d'avances par l'État à hauteur de 300 millions d'euros. Cette enveloppe devrait bénéficier à 89 aéroports. Dans la réponse transmise par la DGAC à la commission, il est cependant estimé qu'une avance additionnelle en faveur des aéroports de l'ordre de 350 millions d'euros devra être envisagée pour dédommager les aéroports. C'est le sens d'un amendement que je vous propose d'adopter. Il s'agit d'une proposition pragmatique et juste : l'absence d'avance supplémentaire fait aujourd'hui peser un risque de trésorerie majeur pour les plates-formes aéroportuaires, particulièrement pour les plus petites d'entre elles. L'État doit prendre sa responsabilité en assurant le financement d'activités régaliennes qui relèvent de sa compétence.
Voilà les principaux éléments que je voulais vous communiquer. Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports aériens, sous réserve de l'adoption des trois amendements que je vous ai présentés.