Ce qu'ont dit mes collègues s'agissant des transports ferroviaires et aériens s'applique aussi au secteur routier : les circonstances exceptionnelles que nous vivons se traduisent sur le plan budgétaire par beaucoup de nouveautés. La crise sanitaire réinterroge le « dogme » de la dette publique et permet, pour accroître les investissements dans les transports, de débloquer des financements qu'il était soi-disant impossible de trouver hier. Au vu des conditions actuelles des marchés financiers, ne pas investir dans ce qui nous enrichit collectivement serait anti-économique, absurde, voire indécent par rapport aux enjeux de transition écologique que nous devons relever collectivement.
Le budget des transports routiers est en hausse grâce aux apports du plan de relance, qui vient notamment abonder les moyens dédiés à l'entretien des infrastructures routières et à la mise en oeuvre des projets routiers des CPER, et renforcer les aides à l'acquisition des véhicules propres.
Malgré tout, ce budget présente de nombreuses lacunes. Je regrette notamment qu'au regard des plans de soutien massifs accordés aux filières automobile et aéronautique, de 8 et 15 milliards d'euros, la part des investissements consacrée aux transports publics du quotidien ne soit pas à la hauteur des besoins d'investissements.
Les transports publics sont lourdement impactés par la crise sanitaire, qui se traduit par une forte baisse de leur fréquentation. Si la chute est moins forte que lors du premier confinement, la fréquentation est actuellement 40 à 60 % inférieure à la normale. Cette baisse de la fréquentation induit des pertes de recettes substantielles pour les entreprises de transport et les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), évaluées à ce jour à 3,5 milliards d'euros : de 2 milliards d'euros au titre des recettes tarifaires et 1,5 milliard d'euros au titre du versement mobilité.
Ces ressources continueront vraisemblablement à être impactées l'année prochaine, compte tenu de la situation sanitaire et de la poursuite d'une certaine désaffection des transports en commun. Ces pertes pourraient conduire les AOM à réduire, voire arrêter certains services de transport, et à diminuer leurs investissements consacrés au renouvellement des matériels roulants et au développement des infrastructures de transport, ce qui constituerait un recul néfaste.
Face à cette situation, la troisième loi de finances rectificative adoptée cet été a prévu un dispositif de compensation du versement mobilité (VM) largement insuffisant. Nous l'avons évoqué lors de l'audition de M. Thierry Mallet et de France Urbaine il y a trois semaines : ce dispositif présente une double iniquité, entre d'une part les syndicats mixtes qui bénéficieront d'une compensation spécifique du VM et les autres autorités organisatrices pour lesquelles la compensation sera globalisée avec leurs autres recettes fiscales, et d'autre part entre Île-de-France Mobilités et les AOM de Province s'agissant du mode de calcul de cette compensation.
Cette différence de traitement est incompréhensible : pourquoi Toulouse, Grenoble ou Clermont-Ferrand, qui sont constituées sous forme de syndicats mixtes, bénéficieraient d'une compensation plus avantageuse que Lille, Marseille ou Montpellier, qui ne le sont pas ? Lors de l'examen du quatrième projet de loi de finances rectificative qui a eu lieu hier en séance publique, nous avons déposé avec M. Didier Mandelli des amendements visant à revenir sur cette inégalité. Malheureusement, nous n'avons pas été suivis par la commission des finances et ces amendements n'ont pas été adoptés.
Par ailleurs, le plan de relance consacre 1 milliard d'euros au développement et à la modernisation des transports publics, dont 300 millions d'euros hors Île-de-France. Ce montant paraît très faible au regard des besoins d'investissements. C'est pourquoi, afin de participer à la relance du secteur, je vous proposerai de réduire à 5,5 % le taux de TVA applicable aux transports du quotidien.
Le deuxième sujet que je souhaite évoquer est celui des infrastructures routières. Je ne m'attarderai pas sur la situation budgétaire de l'Afitf qui a très bien été présentée par M. Philippe Tabarot. Je partage avec lui les doutes quant à la sincérité des recettes qui sont prévues pour 2021, qui sont vraisemblablement surestimées, ainsi que la nécessité de sécuriser les ressources de l'Agence qui est engagée dans des projets au long cours.
Je pense pour ma part que, malgré leur instabilité, il convient de maintenir l'affectation à l'Afitf des amendes-radars, de la taxe sur les sociétés d'autoroutes et de l'éco-contribution sur les billets d'avion, en ce qu'elle a une vertu pédagogique. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement prévoyant que la part de TICPE affectée à l'Agence serve de variable d'ajustement et qu'elle soit modulée de façon à équilibrer le budget en cours d'année.
En ce qui concerne le réseau routier national non concédé, le budget 2021 comporte une bonne surprise : la mise en place d'une aide de 40 millions d'euros aux collectivités territoriales pour recenser et diagnostiquer leurs ponts. Cette aide, que la mission d'information de notre commission sur la sécurité des ponts avait appelée de ses voeux est toutefois insuffisante pour permettre non seulement de diagnostiquer les ponts des petites communes et intercommunalités, mais aussi pour réparer ceux qui sont en mauvais état. Je vous proposerai par conséquent de l'augmenter.
De même, si 40 millions d'euros sont dédiés à l'entretien des ouvrages d'art de l'État, la trajectoire budgétaire n'intègre pas la participation de l'État à l'entretien des ponts de rétablissement recensés en application de la loi « Didier ». 9 480 ponts de rétablissement ont été recensés, dont 2 417 surplombent une voie du réseau routier national non concédé, ce qui pourrait représenter un transfert de charges pour l'État de l'ordre de 25 à 30 millions d'euros par an.
J'aimerais également évoquer la question des concessions autoroutières. La commission d'enquête du Sénat a publié le 16 septembre dernier un rapport sans concession. Ce rapport met en évidence les déséquilibres qui persistent dans la relation entre l'État et les sociétés d'autoroutes et les profits importants qu'elles dégagent, qui pourraient permettre à certaines d'entre elles d'atteindre la rentabilité attendue lors de la privatisation dix ans avant la fin de leurs concessions.
Cette situation justifie à mes yeux d'augmenter la taxe d'aménagement du territoire due par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), dont le produit supplémentaire pourrait être affecté à l'Afitf afin d'accélérer les travaux de régénération des réseaux.
Ce rapport invite par ailleurs l'État à préparer dès maintenant la fin des concessions et à réfléchir aux modes de gestion future des autoroutes à l'issue des contrats actuels. Je vous présenterai un amendement en ce sens tout à l'heure.
J'en viens à la situation de la filière automobile et à sa transition écologique. Le directeur général de la plateforme automobile (PFA), M. Marc Mortureux, nous l'a indiqué lors de son audition : la crise sanitaire a profondément impacté la filière automobile. Sur les 9 premiers mois de 2020, le marché français est en baisse de près de 30 % par rapport à la même période de 2019.
Pour accompagner la filière dans son redressement, un plan d'aide de 8 milliards d'euros a été présenté en mai par le Gouvernement, qui prévoit à la fois un soutien à la demande, à travers le renforcement des aides à l'acquisition des véhicules propres, et un soutien à l'offre, avec des aides aux investissements en vue d'accompagner la modernisation de l'industrie automobile et sa conversion écologique.
Ces aides, couplées à la réglementation européenne relative aux émissions de CO2, ont permis une hausse de 132 % des ventes de véhicules électriques depuis le début de l'année par rapport à 2019.
Cette tendance est toutefois contrebalancée par le succès des ventes de SUV, qui ont représenté 39 % des immatriculations en 2019. Afin de freiner cette tendance, le Gouvernement a décidé d'introduire, à compter du 1er janvier 2022, un malus au poids pour les véhicules de plus de 1,8 tonne, qui représentent 2 à 3 % des véhicules vendus en France. Afin d'inciter les constructeurs à orienter le marché vers l'achat de véhicules plus légers et moins polluants et leur donner de la visibilité, je vous proposerai de fixer dès à présent une trajectoire de baisse de ce malus permettant d'atteindre le seuil de 1,4 tonne. Il faudra veiller à adapter le dispositif aux utilisations partagées. Il serait idiot de sanctionner les véhicules qui permettent de transporter plus de sept passagers ou les véhicules familiaux.
Pour terminer, j'évoquerai les moyens dédiés au développement du vélo. Afin d'accompagner les projets de développement du vélo portés par les collectivités territoriales, en particulier la création de places de stationnement sécurisées dans les gares, le plan de relance prévoit une enveloppe de 200 millions d'euros sur deux ans.
En revanche, aucun crédit n'est prévu pour abonder le « fonds vélo », qui permet de financer des projets visant à remédier aux discontinuités cyclables, qui constituent un des principaux freins au développement du vélo dans et en dehors des agglomérations. Ce fonds, doté de 50 millions d'euros par an, connaît un véritable succès, accentué par l'essor de la pratique cyclable constaté depuis plusieurs mois. C'est pourquoi je vous proposerai de le porter à 200 millions d'euros l'année prochaine, soit le montant proposé par les associations spécialisées et la Convention citoyenne pour le climat. J'attire votre attention sur cette révolution du vélo. Un élu qui n'accompagnerait pas cette dynamique en subirait les conséquences négatives.
Enfin, je vous proposerai de permettre le cumul sans restriction du forfait mobilités durables et du remboursement partiel des frais de transport en commun, ce que la commission avait déjà proposé lors de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités en première lecture.
Voilà les principaux éléments relatifs aux transports routiers que je souhaitais porter à votre connaissance. Vous l'aurez compris, ce budget comporte des avancées intéressantes, mais aussi un certain nombre d'oublis ou d'insuffisances qui me conduisent à vous proposer un avis favorable sous réserve de l'adoption des amendements que je vous présenterai dans un instant.