Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 10 janvier 2007 à 15h00
Prévention de la délinquance — Article 12 ter

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir passé plus d'une heure sur les chiens méchants, nous abordons maintenant le cas des gens du voyage ! Comme nous le disions tout à l'heure, il s'agit vraiment d'un texte fourre-tout, entraînant des rapprochements pour le moins incongrus...

Ce projet de loi permet à de nombreux parlementaires membres de la majorité présidentielle de faire prévaloir leur vision ultrarépressive. Ils n'ont pas hésité à faire adopter, à cette occasion, des dispositions liberticides et dangereuses pour notre démocratie, notamment au détriment de certaines catégories de nos concitoyens.

Ainsi, ceux qui se nomment aujourd'hui Sintés, Kalés, Roms, Manouches, Tziganes ou Gitans, que l'on appelle communément « gens du voyage », et dont beaucoup sont des citoyens français, sont de nouveau victimes d'une discrimination institutionnelle inacceptable.

En effet, l'article 12 ter, introduit par le Sénat en première lecture et aggravé dans ses effets par l'Assemblée nationale, permet au préfet de procéder d'office à l'évacuation forcée des terrains en cas de violation des règles sur le stationnement des gens du voyage.

Ce dispositif, qui se substituerait donc à la saisine du juge civil par le maire, est contestable tant sur le plan juridique que du point de vue politique.

La compétence du juge est de principe en la matière. En effet, la mise en demeure de quitter les lieux, émise par le préfet, est un acte administratif. Les contentieux d'annulation et de réformation des décisions des autorités publiques sont réservés au juge administratif, pour autant que ne sont pas en cause les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, conformément à la décision du Conseil constitutionnel en date du 23 janvier 1987.

Or l'autorité judiciaire est garante, en vertu de l'article 66 de la Constitution, du respect des libertés individuelles, parmi lesquelles figure l'inviolabilité du domicile, comme l'affirme le Conseil constitutionnel dans ses décisions Fouille des véhicules du 12 janvier 1977, et Perquisitions fiscales des 29 décembre 1983 et 29 décembre 1984.

Selon une jurisprudence constante, émanant notamment du Conseil d'État, la caravane des gens du voyage est considérée comme leur domicile. À ce titre, son inviolabilité est consacrée par l'article 184 du code pénal. Il s'agit d'un principe fort de notre droit positif, régulièrement réaffirmé par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. L'évacuation forcée des résidences mobiles du terrain sur lequel elles sont installées constitue donc une violation du domicile, ce dernier étant, de fait, déplacé sous la contrainte.

En outre, comme le rappelle le juge constitutionnel, le principe, de valeur constitutionnelle, de prévention de l'atteinte à l'ordre public doit être concilié avec les libertés individuelles, et notamment avec le principe de l'inviolabilité du domicile. La saisine préalable et l'intervention du juge judiciaire sont donc nécessaires en cas d'évacuation des caravanes des gens du voyage, en vue de l'exercice d'un contrôle effectif des opérations.

La stricte application de ce principe a justifié le rejet, par la Cour de cassation, d'une autorisation de visite domiciliaire délivrée par un président de tribunal de grande instance dans la mesure où celui-ci n'avait pas désigné lui-même les officiers de police judiciaire chargés d'assister à l'opération, laissant ce soin au commissaire de police.

Un autre argument juridique s'oppose à la mise en oeuvre de ce dispositif : le droit au recours contre une telle décision d'évacuation ne peut s'exercer que dans le délai fixé par la mise en demeure pour quitter les lieux, ce délai ne pouvant être inférieur à vingt-quatre heures.

Cette disposition constitue une rupture de l'égalité des citoyens devant la justice. En effet, comme l'a rappelé récemment le Conseil constitutionnel, dans sa décision Loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance du 20 janvier 2005, ce délai de recours varie selon le délai laissé aux destinataires de la mise en demeure pour quitter les lieux.

Le législateur ne doit pas procéder, en cette matière, à des distinctions injustifiées, car les justiciables doivent bénéficier de garanties égales, notamment s'agissant du respect des droits de la défense. En l'espèce, le projet de loi viole ce principe en instaurant des délais de recours qui, dans certains cas, seront très brefs et ne permettront pas l'exercice effectif des droits de la défense.

Une telle différence de traitement est, en outre, injustifiée en ce sens que ce délai est fixé de façon discrétionnaire par le préfet et ne résulte d'aucune distinction de situation prévue par la loi.

Enfin, ce dispositif est inacceptable d'un point de vue politique.

Combien de temps encore va-t-on faire subir une discrimination aux gens du voyage ? Combien de temps encore va-t-on les considérer comme des citoyens de deuxième, voire de troisième zone ?

Ce gouvernement persiste à criminaliser des groupes entiers de citoyens, mettant ainsi en oeuvre le projet du « ministre-candidat » qui consiste à dresser une France contre une autre, à dresser les citoyens les uns contre les autres, le plus souvent des précaires contre d'autres précaires. Ce projet vise à attiser les peurs pour que son auteur puisse mieux s'ériger ensuite en rempart providentiel, à stigmatiser les uns pour qu'il puisse manipuler les autres.

Le nombre de places réalisées sur le territoire national pour accueillir les gens du voyage demeure à ce jour très insuffisant par rapport aux besoins recensés dans l'ensemble des plans départementaux établis en application de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.

Plus de six ans après l'adoption de cette loi, et alors que l'on estime le besoin total à 40 000 places, seules 8 000 places environ sont, aujourd'hui, officiellement disponibles, soit moins de 20 % de l'objectif affiché. Cette pénurie est créée par la défaillance et l'opposition des élus locaux, seuls responsables de la non-réalisation de ces aires, alors qu'il s'agit pour eux d'une obligation imposée par la loi.

Dès lors, la possibilité pour les personnes vivant en caravane de stationner de manière régulière sur des terrains municipaux est désormais plus que réduite. Cette situation contraint inévitablement ces familles à s'installer sur des terrains disponibles non prévus à cet effet, faute de places légales.

Du fait de cette occupation illégale, les gens du voyage sont constamment condamnés mais, à l'inverse, aucune condamnation n'est prévue pour les maires qui refusent de se conformer à l'obligation légale de réaliser ces aires.

Les Verts refusent cet apartheid institutionnalisé et demandent, par conséquent, la suppression de cet article infâme.

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