Intervention de Jean-Michel Houllegatte

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 25 novembre 2020 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « cohésion des territoires » - crédits « aménagement numérique du territoire » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Michel HoullegatteJean-Michel Houllegatte, rapporteur pour avis sur les crédits « Aménagement numérique du territoire » de la mission « Cohésion des territoires » :

Je suis heureux de pouvoir vous présenter ce matin mon avis sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire. Je rappelle que ces crédits sont exclusivement inscrits dans le programme 343 « Plan France Très Haut Débit » de la mission « Économie » et, parallèlement, au sein de la mission consacrée au plan de relance. Mon avis budgétaire ne portera donc que sur le soutien au déploiement des réseaux fixes, les réseaux mobiles ne faisant pas à proprement parler l'objet d'un engagement budgétaire de l'État. J'aborderai néanmoins ce sujet en conclusion de mon intervention, par un état des lieux de l'avancement du New Deal mobile.

Je commencerai donc cette intervention par une présentation des crédits associés au déploiement des réseaux fixes sur le territoire.

Pour rappel, ces crédits s'inscrivent dans le cadre du plan France Très Haut Débit, lancé en 2013, qui vise la couverture intégrale de la population en très haut débit fixe d'ici fin 2022, dont 80 % en fibre optique jusqu'au domicile, technologie ayant vocation à être généralisée sur l'ensemble du territoire en 2025. Le plan prévoit par ailleurs un objectif intermédiaire de couverture intégrale de la population en « bon » haut débit d'ici 2020. Dans les territoires moins denses où a été constatée la carence de l'initiative privée, le très haut débit se déploie sous l'autorité des collectivités territoriales dans le cadre de réseaux d'initiative publique (RIP) lesquels font l'objet d'un soutien de l'État, via un « guichet » France Très Haut Débit, doté dès 2013 de 3,3 milliards d'euros, aujourd'hui concentrés au sein du programme 343 sur lequel porte l'avis budgétaire.

En 2019, soit 6 ans après l'ouverture du guichet, 25 départements n'avaient pas encore finalisé leur plan de financement pour la généralisation de la fibre optique d'ici 2025. Autrement dit, les crédits de l'État déployés dans ces territoires n'étaient pas suffisants pour atteindre les objectifs du plan. En février 2020, le Gouvernement a ainsi annoncé qu'une enveloppe de 280 millions d'euros serait mobilisée d'ici 2022. Notons néanmoins qu'il s'agit là de crédits « recyclés », issus de gains d'efficacité sur les premiers déploiements. Notons également que cette enveloppe était considérée comme insuffisante par les acteurs du secteur et les collectivités territoriales, qui estimaient le besoin de financement à environ 500 millions d'euros. C'est la raison pour laquelle notre commission et le Sénat avaient régulièrement alerté le Gouvernement sur la nécessité de doter le guichet de nouvelles autorisations d'engagement, sans qu'il ne soit donné de suite favorable à cette proposition.

Il a fallu une pandémie mondiale et un confinement généralisé de la population française pour que le Gouvernement accepte enfin d'écouter la demande du Parlement et des territoires. À l'initiative du Sénat, une première rallonge de 30 millions d'euros a été accordée par la troisième loi de finances rectificative. Surtout, le plan de relance prévoit aujourd'hui de nouvelles autorisations d'engagement à hauteur de 240 millions d'euros. Autrement dit, en cumulé, en ajoutant ces autorisations d'engagements supplémentaires aux crédits dégagés sur les RIP antérieurs, ce sont ainsi 550 millions d'euros qui sont mis à disposition du plan France Très Haut Débit. Cette rallonge offre enfin une visibilité aux 21 départements n'ayant pas complété à ce jour leur plan de financement pour la généralisation de la fibre d'ici 2025. Ces 550 millions d'euros correspondent peu ou prou aux moyens jugés indispensables à l'atteinte des objectifs de couverture numérique du territoire. Selon les collectivités territoriales adhérentes à l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), l'enveloppe globale nécessaire pour assurer la couverture intégrale pourrait certes atteindre au final 620 ou 630 millions d'euros. Néanmoins, ces moyens supplémentaires pourront être débloqués en 2023 ou 2024, en fonction des besoins qui seront alors constatés. Je note que cette rallonge donne également une garantie importante au secteur, et en particulier aux sous-traitants des opérateurs d'infrastructure, affectés par l'arrêt temporaire des travaux lors du premier confinement. Ne boudons donc pas notre plaisir : il s'agit d'une victoire politique majeure pour notre assemblée et notre commission, qui ont engagé depuis plusieurs années un combat pour assurer la couverture numérique des territoires. Il aura fallu attendre de nombreux mois et années, mais nous avons finalement eu gain de cause. Je ne résiste évidemment pas à la tentation de saluer nos anciens collègues Hervé Maurey et Patrick Chaize, qui se sont tout particulièrement investis sur ce sujet.

Bien évidemment, je vous proposerai donc de donner un avis favorable aux crédits de ce projet de loi de finances relatifs à l'aménagement numérique du territoire.

L'accroissement des moyens alloués au plan France Très Haut Débit n'éteint cependant pas l'ensemble des sujets de préoccupation.

Je rappelle tout d'abord que le déploiement des crédits du plan de relance dans les territoires doit désormais s'appuyer sur un cahier des charges, qui déterminera les conditions de financement des RIP par l'État et influencera en conséquence les taux de cofinancements du secteur privé et des collectivités territoriales. Une nouvelle version de ce cahier des charges sera très prochainement publiée. Il faut espérer que ce nouveau cahier des charges se traduise par une augmentation effective du soutien de l'État dans les territoires, pour accompagner le déploiement de la fibre en zone d'initiative publique, mais également pour financer les raccordements dits « complexes », en zone publique ou privée.

Les échéances importantes du plan France Très Haut Débit qui jalonnent la fin de l'année 2020 constituent un deuxième point d'attention. Premièrement, l'objectif de couverture intégrale des zones ayant fait l'objet d'appels à manifestation d'intérêt d'investissement (zones dites « AMII ») par Orange et SFR. Je rappelle que ces zones AMII sont des zones peu denses de la zone d'initiative privée, pour lesquelles les opérateurs ont souscrit à des engagements contraignants de couverture intégrale d'ici fin 2020. À la fin du premier trimestre 2020, Orange et SFR avaient rendu respectivement 67 % et 75 % des sites des zones AMII raccordables, assez loin de l'objectif souscrit auprès de l'Arcep. Son président, Sébastien Soriano, m'a confié que SFR pourrait au final enregistrer un semestre de retard ; pour Orange, le retard pourrait être d'une année. Les retards ne semblent pas réellement imputables à la crise sanitaire : en 2020, le nombre de prises déployées sur le territoire devrait être le même que celui de 2019, année pourtant record ! Le deuxième objectif pour l'année 2020 est celui « bon » haut débit pour tous. Malheureusement, nous ne disposons pas de chiffres actualisés à ce sujet : la dernière publication disponible, estimant que 95 % des Français étaient éligibles à un raccordement avec un débit supérieur à 8 Mbit/s, remonte en effet à septembre 2019 ! Aussi, je regrette vivement que le Gouvernement et l'Arcep ne se soient pas dotés d'outils dédiés au suivi de cet objectif. Néanmoins, l'étude du déploiement du guichet « Cohésion nationale des territoires » - qui était doté de 100 millions d'euros pour atteindre cet objectif - laisse présager d'un échec du Gouvernement sur cet axe du plan France Très Haut Débit : au 30 juin 2020, il n'avait permis de financer que 6 000 équipements de réception radio pour un montant total de 600 000 euros ! On est très loin des 100 millions d'euros budgétés ! L'efficacité du guichet Cohésion nationale des territoires doit donc être accrue ; le cas échéant, si les crédits ne sont pas consommés, j'estime qu'ils devront être réalloués au déploiement de la fibre.

Le troisième sujet de préoccupation est plus étonnant : il concerne les rythmes de déploiement de la fibre dans certaines zones très denses (ZTD), à l'instar de la Seine-Saint-Denis, qui sont insatisfaisants. Selon la logique établie au début des années 2010, les zones très denses ne peuvent cependant pas faire l'objet d'une intervention financière publique, dès lors que l'initiative privée y est présumée suffisante pour atteindre les objectifs de couverture numérique. Si les difficultés venaient à persister, j'estime que de nouveaux appels à manifestation d'intérêt d'investissement (AMII) pourraient ponctuellement être organisés au sein des zones très denses pour rendre les engagements des opérateurs contraignants.

Enfin, dernier sujet de préoccupation : les remontées des territoires font état d'une dégradation importante de la qualité des raccordements finaux, particulièrement inquiétante pour des infrastructures ayant vocation à fonctionner sur plusieurs décennies ! Cette dégradation semble en partie imputable aux modalités de déploiement aujourd'hui retenues par les opérateurs d'immeuble, certes juridiquement responsables des raccordements, mais ayant pour l'essentiel recours à des sous-traitants, selon un mode dit « STOC ». L'État a diligenté une mission de contrôle pour objectiver une situation de plus en plus préoccupante. L'Arcep semble également avoir pris la mesure du problème et adapte actuellement son cadre de régulation. Nous devrons être attentifs à ces initiatives, dont toutes les conclusions devront être tirées.

Après avoir abordé les sujets relatifs au déploiement des réseaux fixes, il me semble nécessaire de faire un point rapide sur la mise en oeuvre du New Deal mobile, bien que ce programme de déploiement des réseaux mobiles ne fasse pas l'objet d'un soutien budgétaire. Je rappelle que notre commission n'est pas étrangère à cet accord important, conclu en 2018 entre l'État et les opérateurs mobiles : c'est par sa pression constante sur le Gouvernement que ce sujet a pu avancer. Le rôle moteur de la commission a d'ailleurs été reconnu par l'Arcep lors de l'audition que j'ai menée.

Concernant le dispositif de couverture ciblée pour lutter contre les zones blanches, plus de 90 % des sites du premier arrêté ont été livrés dans les temps. Les rares retards semblent s'expliquer principalement par des raisons étrangères aux opérateurs, par exemple des problèmes de disponibilité du foncier, de raccordements électriques, d'autorisations d'urbanisme, d'opposition des populations locales à l'installation d'un nouveau pylône. L'Arcep devra en tout état de cause étudier rigoureusement les raisons de ces retards et, le cas échéant, sanctionner les opérateurs en cas de manquements caractérisés à leurs obligations. Globalement cependant, on peut se féliciter de la dynamique actuelle, en phase avec les objectifs visés par le New Deal.

Concernant l'objectif de généralisation de la 4G sur les sites existants d'ici la fin de l'année et d'ici 2022 pour les sites de l'ancien programme « zones blanches centres-bourgs » : l'objectif devrait être tenu. Les efforts consentis dans le cadre du New Deal, via le programme de couverture ciblée et la généralisation de la 4G sur les sites existants, associés aux déploiements « en propre » des opérateurs, se matérialisent aujourd'hui très concrètement : 96 % du territoire est désormais desservi en 4G par au moins un opérateur et 76 % par les quatre grands opérateurs (+ 31 points par rapport à 2018).

Concernant le troisième objectif relatif à la couverture des axes routiers prioritaires d'ici la fin de l'année, nous n'avons pas pu obtenir d'état des lieux précis, mais le régulateur s'est montré confiant dans la capacité des opérateurs à honorer leurs engagements.

Seul le quatrième et dernier objectif - l'amplification des solutions de 4G fixe - obscurcit à la marge ce tableau très largement positif. Je note que cet axe du New Deal mobile est en réalité lié au plan France Très Haut Débit puisque la 4G fixe consiste à offrir une connexion fixe non filaire, dans les territoires qui ne bénéficieront pas immédiatement de la fibre. Cet axe du New Deal doit donc contribuer à la réussite de l'objectif du « bon » haut débit pour tous d'ici la fin de l'année. Je réitère ici mes remarques soulevées plus tôt : je regrette que nous ne disposions pas d'outils de suivi de l'avancement de cet objectif.

Voici mes chers collègues, les grandes lignes de mon avis sur l'aménagement numérique du territoire. Je vous rappelle que vous propose de donner un avis favorable aux crédits du plan France Très Haut Débit.

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