C'est dans ce contexte de la réforme mise en application depuis 2017 que doivent être analysés les reproches formulés contre Action Logement et que l'on peut classer en trois catégories : ceux qui touchent à son essence et à son existence, ceux qui ont trait à la mise en oeuvre de ses engagements et, enfin, ceux qui se rapportent à la structure du groupe.
Au fondement de la campagne menée contre Action Logement, on trouve des reproches qui prennent racine dans des rapports anciens ou plus récents, notamment le rapport Attali pour la libération de la croissance française d'octobre 2010 et celui du Comité action publique 2022 de juin 2018. C'est le fondement même d'Action Logement qui est attaqué. Pour simplifier, il y a trois idées. La première est que la PEEC est en réalité un impôt de production et qu'elle doit être diminuée ou supprimée. La deuxième est que le paritarisme est inefficace et lent, moins à même que l'État ou une agence publique de mener des politiques. Il faut rationaliser : un acteur - une politique. La troisième est que la politique du logement est trop coûteuse, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une ressource dédiée qui ne démontrerait pas sa pertinence notamment sur le lien logement-emploi.
À ces trois affirmations, dont nous contestons le bien-fondé, s'ajoutent, presque comme leurs illustrations, des reproches d'ordre plus conjoncturel qui seraient liés à la mauvaise exécution de la convention quinquennale et du plan d'investissement volontaire par Action Logement. Ils sont pour l'essentiel développés dans des rapports de la Cour des comptes, de l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS), et surtout dans celui de l'Inspection des finances. Ils portent sur les années 2017-2018 et sont aujourd'hui pour partie dépassés. Il me faut ici examiner rapidement cinq points : la collecte de la PEEC, la non-exécution des engagements, les entraves de l'État, la question de la trésorerie et celle de la Gouvernance.
L'IGF propose de confier la collecte de la PEEC aux URSSAF et de la budgétiser pointant un coût excessif. C'est faux. En 2017, si la collecte était 100 % papier, elle est depuis 2019 entièrement dématérialisée. Son coût est de 0,08 % des sommes collectées : 1,5 million d'euros par rapport à 1,9 milliard. Elle emploie 21 personnes. Aucune économie substantielle n'est donc à attendre, en revanche on perçoit bien le danger de l'intégration de la PEEC au budget de l'État...
Concernant les engagements qui ne seraient pas atteints, c'est là aussi largement faux. Si l'on se réfère au « jaune budgétaire », le rapport sur la PEEC du PLF 2021, qui donne les chiffres 2019, les objectifs de la convention quinquennale 2018-2022 sont tous atteints à plus de 90 %, sauf deux : le décaissement des prêts bonifiés à l'ANRU et le prêt accession aux particuliers. Concernant l'ANRU, cela s'explique par le retard du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) : si les subventions sont versées chaque année et nourrissent la trésorerie, les prêts vont avec les programmes qui n'étaient pas lancés. Concernant le prêt accession qui n'était pas assez attractif, Action Logement en a modifié les conditions et selon les dernières données disponibles, il aurait atteint 80 % de l'objectif.
Concernant le Plan d'investissement volontaire, le PIV, qui rappelons-le n'a été lancé que le 25 avril 2019, le constat n'est pas aussi accablant qu'on veut le dire. C'est vrai que concernant l'adaptation au vieillissement des logements et notamment des douches, seuls 4 % de l'objectif sont atteints à la mi-année 2020, mais il ne faut oublier ni les difficultés des derniers mois pour déployer une aide personnelle, ni que l'État s'oppose à une modification de l'âge d'ouverture des droits actuellement fixé à 70 ans, Action Logement estimant que le bon moment serait celui de la retraite. Sur d'autres sujets, ce sont bien les entraves de l'État qu'il faut pointer ayant mis son veto à la capitalisation de filiales immobilières qu'il s'agisse de l'Opérateur national de vente (ONV), de la transformation de bureaux en logements ou de la lutte contre l'habitat indigne.
Bien entendu, dans ces conditions, la trésorerie 2019, pointée comme anormalement élevée à 8,9 milliards d'euros, a été artificiellement gonflée par cette incapacité à dépenser. Le « jaune budgétaire » le reconnaît d'ailleurs. Si l'on va plus loin dans l'analyse, on se rend compte que cette trésorerie est artificiellement globalisée en un seul ensemble alors qu'elle est divisée en plusieurs fonds dans le respect des obligations réglementaires et qu'elle est déjà largement engagée. La trésorerie d'ALI n'est pas plus excessive. Au contraire, elle représente 1,1 mois de loyers, là où il serait préconisé par la fédération des ESH de disposer de 3,5 mois. Enfin, compte tenu de l'effondrement des cotisations à prévoir en 2021 et 2022, on se félicitera certainement de ces réserves pour assurer le financement de l'ANRU ou d'Action coeur de ville par exemple.
Enfin, concernant la Gouvernance, l'IGF dénonce l'existence d'un « comité des confédéraux » où seraient prises un certain nombre de décisions sans l'État. Est-ce si anormal dans un organe paritaire qu'il y ait un lieu d'échange informel entre syndicats ? Par ailleurs, on devrait plutôt s'étonner de l'absence d'application de la « loi ELAN » et notamment de réunion du comité des partenaires.
J'en viens, en dernier lieu, à la troisième série de reproches faits à Action Logement, plus structurels et qui doivent de notre point de vue focaliser l'attention dans la réforme à venir. De l'ensemble de nos auditions et des rapports d'inspection, nous en retenons quatre. Le premier est une « ligne hiérarchique » insuffisamment identifiée qui empêche la fixation d'une stratégie de long terme et ne permet pas à l'État d'avoir un interlocuteur doté de pouvoirs suffisants pour lui garantir le respect de la convention quinquennale, notamment sur le volet des frais de fonctionnement. Le deuxième est le lien avec les entreprises cotisantes et les salariés qui s'est pour partie perdu avec des structures nationales soumises par ailleurs à l'obligation de servir d'autres publics. Le troisième est le lien avec les territoires et les élus qui semble s'être dilué avec la réforme et qui gêne le déploiement des politiques et leur adaptation. Enfin, le quatrième est une interrogation sur les modalités d'intervention entre prêts et subventions. Action Logement a beaucoup développé les prêts, ce qui est pertinent dans bien des cas et permet de lisser ses ressources financières. Mais aujourd'hui que ce soit dans le logement social ou vis-à-vis des particuliers, le contexte de taux bas et la crise économique pourraient conduire à en modifier l'équilibre.