Intervention de Anne Chain-Larché

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 novembre 2020 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « plan de relance » - examen du rapport pour avis

Photo de Anne Chain-LarchéAnne Chain-Larché, rapporteure pour avis :

À bien des égards, cette mission est aussi inhabituelle que la période que nous vivons : du point de vue des chiffres d'abord, qui donnent le tournis. La mission représente près de 36 milliards d'euros au total, dont 22 milliards pour 2021. À elle seule, elle représente près de 8 % du budget total de l'État.

Inhabituelle ensuite, car cette mission ne porte pas, comme les autres, les crédits traditionnels des ministères et des politiques publiques ; mais elle traduit un effort temporaire de relance budgétaire, en réponse à un choc économique d'ampleur historique. Ainsi, elle traite de thématiques aussi variées que la rénovation énergétique, l'aide à l'emploi des jeunes, la numérisation, l'hydrogène vert, ou même de commandes militaires.

Au moment d'examiner ce budget particulier, permettez-moi d'abord de dire que notre commission, dans son rôle de contrôle budgétaire du Gouvernement, n'a pas une tâche facile. Les sommes colossales, et la forte augmentation de la dette de notre pays, accroissent encore les enjeux de bonne gestion des dépenses publiques, ce qu'il nous faudra avoir à l'esprit dans les années à venir.

Ce plan de relance nous parvient mi-novembre, soit deux mois et demi après sa présentation par le Gouvernement. À l'été, l'économie française marquait un net rebond, ce qui faisait espérer un retour progressif à la normale. Mais la tendance au rebond a été stoppée net par l'annonce d'un nouveau confinement, contraignant les commerces à la fermeture à quelques semaines des fêtes de fin d'année. Dès lors, je m'interroge : le plan de relance conçu pour accompagner la reprise d'activité qui se présentait, pour orienter l'investissement des entreprises vers les enjeux d'avenir à l'horizon 2030, est-il toujours pertinent alors que l'économie de 2020 connaît une nouvelle crise ?

Pour répondre à cette question, j'ai d'abord examiné la composition du plan de relance, et surtout son calendrier. Si le Gouvernement a annoncé un plan ciblé sur la période 2021-2022, il est évident que l'horizon temporel de son déploiement est en fait beaucoup plus étalé. Le plan « France Relance » de 100 milliards se décompose en plusieurs blocs, la mission « Relance » étant le plus important. S'y ajoutent entre autres : une mesure fiscale phare, la baisse des impôts de production, pour 10 milliards d'euros chaque année à partir de 2021 ; des mesures de relance déjà votées dans les lois de finances pour 2020, à hauteur de 15 milliards d'euros ; et le quatrième Programme Investissement d'Avenir, créé en 2021 et doté de 11 milliards d'euros pour la relance.

D'abord, les crédits qui seront portés par le « volet PIA » du plan de relance s'inscrivent dans une logique de long terme, puisqu'il s'agit de soutiens à l'innovation et à la R&D qui seront décaissés jusqu'en 2025. Ensuite, les crédits portés par la mission budgétaire elle-même sont plus étalés dans le temps qu'une relance rapide l'exige. Sur les 36 milliards d'euros prévus au total, 22 milliards sont ouverts en crédits de paiement dès 2021, soit les deux tiers environ. Mais en réalité, certains de ces crédits concernent des actions qui ne s'assimilent pas réellement à de la relance à court terme.

Par exemple, les crédits consacrés à la R&D pour les transports du futur, ou à la création d'une filière française d'hydrogène vert, orientent certes les entreprises vers des secteurs d'avenir ; mais on peut douter des retombées économiques immédiates et de l'effet de stimulus sur l'économie. L'horizon de ces programmes est plutôt 2023, voire 2025 : ils auraient davantage leur place dans un PIA que dans la relance.

À titre pas seulement anecdotique, je relève aussi que certains financements peinent à démontrer leur pertinence spécifique pour la relance... C'est le cas des crédits dédiés au renforcement des barrages (5 millions), à la numérisation des ministères (925 millions), ou aux subventions pour la création de jardins partagés (15 millions)... Dans certains cas, il s'agit même de dépenses habituelles, supprimées ailleurs dans le budget et intégrées à la mission Relance pour gonfler son enveloppe (par exemple pour le secteur spatial, la fibre optique, ou Bpifrance).

L'autre enjeu est celui de l'articulation entre la relance, qui est un impératif pour donner une nouvelle impulsion vers la croissance, et les mesures de soutien d'urgence, qui visent à sauvegarder le tissu économique au plus fort de la crise. Le reconfinement a bien sûr exigé la réactivation des dispositifs d'urgence que vous connaissez bien : fonds de solidarité, PGE, activité partielle, avec un nouveau PLFR 4. Mais alors que le Gouvernement ne budgète aucun crédit pour 2021 dans la mission « Plan d'urgence », il les reporte dans la mission « Plan de relance »... C'est là un vrai mélange des genres. La mission Relance porte par exemple en 2021 près de 5 milliards d'euros de crédits dédiés à l'indemnisation de l'activité partielle : au moins 20 % des crédits du plan de relance pour l'année prochaine sont donc consacrés à des mesures de sauvegarde, plutôt qu'à un véritable stimulus budgétaire de relance.

Mon propos n'est pas tant de dénoncer les effets d'annonce du Gouvernement, que de vous dire ma crainte que cette confusion entre dispositifs d'urgence, de relance et de long terme, ne traduise un mauvais ciblage de l'effort budgétaire. Avec cette conception très large de la relance, on dilue l'effet des crédits sur l'économie, au risque de « saupoudrer ». Surtout, il me semble que l'équilibre n'est pas le bon : l'effort de relance semble trop peu porter sur 2021, c'est-à-dire la relance à court terme, et trop sur l'horizon 2022-2023, c'est-à-dire la transformation de long terme. J'identifie un vrai risque de « trou d'air » pour notre économie entre la fin des mesures d'urgence, et l'impact des mesures de long terme. Alors que 30 % des faillites annuelles n'ont pas eu lieu cette année, on risque de les voir arriver en cascade dans quelques mois. Le reconfinement a justement accru le besoin de relance volontariste, sans délai, dès que la situation sanitaire le permettra. À trop chercher « l'en même temps », à trop viser « la France de 2030 », le Gouvernement risque de rater le coche de la reprise. Reflet de ce déséquilibre : les personnes que j'ai entendues estiment que la relance française cible davantage l'offre que la demande, à l'inverse du choix qu'ont fait certains de nos voisins européens, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Je présenterai d'ailleurs à ce titre un amendement visant à réduire le taux de TVA sur les travaux d'amélioration et de transformation des logements, afin de soutenir la demande et la reprise du BTP.

Cela m'amène à ma troisième remarque : bien que diverses, les actions de la mission « Plan de relance » laissent d'importants angles morts. Le commerce et l'artisanat d'abord, qui ne reçoivent que 170 millions à peine là où d'autres secteurs ont fait l'objet de plans de plusieurs milliards. Nous avons entendu en audition : « L'industrie a son plan de relance, le commerce a ses mesures d'urgence ». Il serait incompréhensible que le secteur le plus meurtri par les confinements et le couvre-feu, par les grèves et les gilets jaunes, soit le secteur le moins visé par la relance. De surcroît, il joue un rôle moteur pour d'autres secteurs comme l'agroalimentaire, et a un très fort effet d'entraînement sur les centres villes.

La construction neuve ensuite. Si la rénovation énergétique est l'un des fers de lance du Gouvernement, elle ne représente que la moitié de l'activité du BTP en France. La construction neuve a connu un coup d'arrêt brutal lors du premier confinement, et l'incertitude risque de peser fortement sur la demande. Dans un pays qui connaît une importante crise du logement, j'ai peine à croire qu'il n'existe pas de leviers de relance...

Enfin, le soutien à l'investissement des collectivités est fortement négligé : selon nos calculs, il représente au mieux 14 % des crédits de la mission en 2021. Or, les collectivités locales portent 60 % de la commande publique en France : se priver de leurs investissements, c'est se priver de tout un pan de demande à destination d'entreprises souvent locales. Les dotations supplémentaires consenties par l'État aux régions vont dans le bon sens mais ne suffisent pas. Je vous soumets donc un amendement visant à prévoir une dotation supplémentaire pour l'investissement des communes et des départements à hauteur de 500 millions d'euros en 2021.

Mon quatrième constat est que le plan de relance semble traiter le « combien » avant de traiter le « comment ». Ce que j'entends par là est qu'il offre peu de visibilité aux entreprises, ménages et collectivités sur les actions qui seront déployées. Près de 40 % des dispositifs prévus ne sont pas précisés : s'agira-t-il de guichets, d'accompagnement, de dotations, d'appels à projets ? Dans d'autres cas, les cahiers des charges ou conditions d'éligibilité se font attendre. Ce manque de précision place les entreprises dans l'incertitude sur les dispositifs adaptés à leur situation, et complique la sensibilisation. Les entreprises et collectivités déplorent d'ailleurs le trop grand nombre d'appels à projets, qui sont moins accessibles aux TPE-PME, et favorisent la concentration des crédits sur de grands projets déjà mûrs. Il faut mener un effort urgent de simplification des dispositifs, sous peine de désinciter le recours aux aides et de laisser de côté tout un pan de l'économie.

Pourtant, les crédits de la mission ne semblent pas prendre au sérieux l'enjeu de l'accompagnement et de la sensibilisation. Les administrations centrales que nous avons entendues nous ont dit assez clairement se reposer sur les collectivités locales et les réseaux consulaires pour repérer les entreprises éligibles, instruire les dossiers, accompagner... L'État n'a qu'à se préoccuper du tampon de validation. La charge financière de ce travail de terrain est énorme, alors même que le financement des CCI et des CMA diminue d'année en année et que les collectivités sont elles aussi contraintes. Moins de 0,1 % des montants de la mission « Plan de relance » visent à financer l'accompagnement et la sensibilisation.

Je présenterai en séance publique deux amendements pour améliorer l'accompagnement et garantir le bon accès aux dispositifs de relance : l'un, porté avec mon collègue rapporteur M. Babary, vise à compenser temporairement les pertes de ressources exceptionnelles des CMA cette année ; l'autre prévoit que le « comité de suivi de la relance » créé au niveau national rende compte chaque semestre au Parlement du déploiement de la relance, et en particulier, qu'il présente des indicateurs sur l'accès des entreprises et des collectivités aux aides, quelle que soit leur taille. Cela permettra de renforcer l'accompagnement lorsque l'on identifie que les obstacles sont trop importants.

J'en viens à mon dernier sujet : la territorialisation de la relance. Annoncée par le Gouvernement dès la fin de l'été, sa mise en oeuvre traîne. Les sous-préfets à la relance ont été nommés il y a trois jours : il était temps ! Je crains néanmoins qu'ils trouvent difficilement leur place dans l'architecture déjà compliquée que prévoit le Gouvernement. Trois échelons de « comités de suivi » au niveau national, régional et départemental ; deux niveaux de contractualisation entre les collectivités et l'État ; trois types d'enveloppes « plus ou moins territorialisées »... Attention à ce que la volonté du Gouvernement d'afficher un dialogue renforcé ne conduise pas finalement à des lourdeurs procédurales inutiles ! En outre, comme je l'ai dit, il me semble que les sous-préfets à la relance et les comités de suivi devront veiller à ce que les territoires aient bien connaissance des aides à leur disposition, et aient les moyens de s'en saisir, peu importe leur taille et leurs ressources. Nous avons déjà constaté, par exemple avec Territoires d'Industrie, que certains territoires passaient entre les mailles du filet.

Voici, mes chers collègues, mon avis sur cette mission « Plan de relance ». Si elle mobilise des moyens importants et réalise des efforts bienvenus sur des volets comme la rénovation énergétique et l'investissement industriel, il me semble qu'elle doit faire l'objet d'un rééquilibrage. D'abord pour intégrer les angles morts que j'ai cités ; ensuite pour assurer que nous ne rations pas le rendez-vous de 2021 ; enfin pour garantir un déploiement rapide et efficace jusqu'au « dernier kilomètre ». L'enjeu est grand : il nous faudra collectivement être au rendez-vous ; et il me semble que notre rôle de contrôle de l'action du Gouvernement sera particulièrement important pour les années à venir.

Je vous propose donc de voter les crédits de la mission « Plan de relance », sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous soumets, relatif à l'augmentation des crédits dédié à l'investissement des communes et des départements.

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