Intervention de Julien Denormandie

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 novembre 2020 à 16h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de M. Julien deNormandie ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Julien Denormandie, ministre :

Je voudrais tout d'abord rassurer le sénateur Duplomb s'agissant des aides relatives à la Covid-19. Je suis d'accord avec vous : elles ont mis beaucoup trop de temps à arriver. Depuis mon accession au ministère, nous n'avons cessé d'en accélérer la mise en oeuvre.

La réalité est moins noire que ce que vous avez indiqué, mais elle n'est pas encore satisfaisante même si, au moment où je vous parle, on a a priori mis en place l'ensemble des dispositifs.

Pour certains secteurs, comme la viticulture, les choses ont bien commencé : on a augmenté les aides dès cet été et, sur 250 millions d'euros, on en a déjà engagé 150 millions. Le diable se cache cependant dans les détails : on a mis en place des aides de stockage en plus des aides à la distillation. J'ai dû pour cela me battre à Bruxelles pour obtenir un acte délégué de la Commission européenne. Les délais ne dépendent pas toujours de nous, mais des règles bruxelloises.

S'agissant de la pomme de terre, des aides à la filière aval viendront s'ajouter aux 4 millions d'euros déjà prévus.

Pourquoi ce chiffre, moins élevé que prévu ? Les choses se sont faites en fonction du stockage in fine. La filière a elle-même annoncé des réductions de production.

Le troisième volet porte sur l'horticulture. Des débats homériques ont eu lieu au sein même de la filière sur les seuils nécessaires. Cela a pris dix fois trop de temps, alors que les gens étaient en pleine détresse. Il n'est pas normal qu'aucun euro sur les 25 millions n'ait commencé à être déboursé.

Nous nous sommes mis d'accord après des jours et des jours de discussion, et on vient enfin d'entériner le fléchage de la somme. Probablement faudra-t-il aller plus loin. Quant au cidre et à la bière, c'est chose faite. On a ajouté le canard en tant que produit festif. Je déploie avec mes équipes toute l'énergie nécessaire pour mettre ces mesures de soutien en oeuvre.

S'agissant du financement des deux fois 7 millions d'euros, je ne voudrais pas que vous puissiez avoir le sentiment que je fais des promesses non financées, ou que je ne m'engage pas à les mettre en oeuvre. Les 7 millions d'euros en faveur de la betterave seront financés à hauteur de 5 millions d'euros au titre du plan de relance et de deux millions d'euros au titre du CASDAR.

Quant aux moyens supplémentaires dédiés à la recherche d'alternatives au glyphosate, comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, ils seront financés par redéploiement. Plusieurs pistes sont possibles. La trésorerie du CASDAR n'étant pas aujourd'hui utilisée, on pourrait s'en servir, mais c'est en effet un fusil à un coup. Si ce n'est pas possible, nous le ferons par redéploiement. Ce fait a été pris en compte et sera financé. Il n'y a pas de doute à ce sujet.

Je partage votre interrogation quant au fait de savoir s'il faut à nouveau budgétiser le CASDAR. Il faut connaître la finalité de la mission de l'IGF. Les comptes d'affectation spéciale ne sont plus dans l'air du temps. Je me suis battu pour faire en sorte qu'on maintienne le CASDAR, en arguant du fait que la mission de l'IGF n'avait pas commencé.

Au bout du compte, on ne touche pas à sa rebudgétisation, mais il enregistre une diminution de 10 millions d'euros. J'entends vos propos sur le volet macroéconomique concernant l'alimentation du CASDAR. À la vérité, je pense que nous ne serons pas au sommet cette année. Je peux me tromper, mais c'est mon sentiment.

C'est de toute manière insuffisant pour expliquer la diminution de 10 millions d'euros. Il est trop facile d'invoquer la sincérité budgétaire cette année et, l'année prochaine, de vous dire qu'il s'agit d'une dépense nouvelle. Vous avez donc tout à fait raison de mettre cette diminution en avant.

J'insiste sur le fait que le financement de la recherche ne repose pas uniquement sur le CASDAR. D'ailleurs, il finance aussi les chambres d'agriculture.

Par ailleurs, beaucoup de recherches vont être financées par le truchement du plan de relance. On annonce par exemple, dans les prochains jours, un plan protéines financé à hauteur de 100 millions d'euros pour mettre fin au système absurde de dépendance vis-à-vis des importations de soja d'Amérique du Sud, qui remontent à plusieurs années. Plus de 100 millions d'euros viennent d'être validés. Ceci va être annoncé dans les prochains jours.

Parmi eux figurent 5 millions d'euros pour financer les organismes de recherche, cette somme venant s'ajouter à tout ce que l'on peut faire au titre du CASDAR.

De la même façon, des sommes importantes figurent dans le PIA dont on a renforcé les crédits, et permettent de financer la recherche. Il en va de même dans le cadre de la LPPR. On ne va pas bouder notre plaisir pour une fois qu'une LPPR finance autant la recherche et prend en compte la recherche agronomique. La recherche ne dépend pas uniquement du CASDAR, même si cela envoie un signal politique.

Vous l'aurez compris, il en va de même des TO-DE ou des chambres d'agriculture. Nous sommes dans une période d'immenses incertitudes. La meilleure des politiques possibles est d'essayer de demeurer sur nos fondamentaux et de donner un peu de lisibilité là où on peut le faire.

Quelle est ma vision de l'avenir de l'ONF, notamment à propos de la question des schémas d'emplois ? L'ONF constitue un défi immense. Il y a eu et il y a encore des difficultés, même à l'intérieur de l'Office. On a tous en tête les événements tragiques qui ont pu s'y dérouler. Nous intervenons en soutien et avons changé la gouvernance.

Combien de forestiers se sentent impuissants face à une parcelle de bois frappée par le scolyte, faute de moyens pour la régénérer ? Je me suis battu pour leur en redonner, notamment au titre du plan de relance. Personne n'a jamais investi 200 millions d'euros dans la forêt française.

Cee 150 millions d'euros sur 200 vont financer le reboisement nécessaire, y compris dans la forêt privée. On estime qu'on peut replanter jusqu'à 50 millions d'arbres, ce qui est colossal.

Il faut avant tout savoir ce que l'on peut y replanter. C'est un sujet très compliqué. Je pense qu'il faut partir des usages. Dans 40 ou 50 ans, la forêt française servira aux constructions en bois.

Quels sont les moyens donnés à l'ONF, notamment en termes d'outils de gestion ? 22 millions d'euros sont consacrés au développement de la télédétection par laser LiDAR, qui constitue un outil de gestion cartographique très utile dans le domaine de la météo. Des expériences ont eu lieu dans d'autres pays. Nous avons décidé d'en doter l'ONF.

L'amont et l'aval constituent la clé de voûte sur laquelle la filière forestière n'a jamais su se reposer. Il faut bien appeler un chat un chat. L'aval ne tire pas l'amont, et l'amont estime que c'est à l'aval de s'adapter. L'amont produit telle essence et pense que c'est à l'aval de l'utiliser, mais l'aval ne passe pas d'accord avec l'amont. On a pourtant fait des tentatives en ce sens.

C'est un sujet très compliqué. C'est pourquoi les 200 millions d'euros comprennent un fonds bois numéro 3 bien plus significatif que les deux autres. Le dernier a été créé lorsqu'Emmanuel Macron était ministre de l'économie.

S'agissant du schéma d'emplois, je crois qu'il faut avoir en politique une certaine cohérence. Je ne peux que répéter les propos tenus à l'Assemblée nationale à ce sujet. J'ai pris note, tout comme vous, que l'Assemblée nationale a décidé de revenir sur ce schéma d'emplois. Je demeurerai cohérent avec les propos que j'ai tenus à l'Assemblée nationale.

Enfin, un tiers des travailleurs de l'ONF, voire plus, relèvent du droit privé. Cette question a été abordée dans le cadre d'une ordonnance que vous avez fait voter pour éclairer les modalités de recrutement de l'ONF.

On a fait la même chose pour les chambres d'agriculture. Je me réfère à ce débat qui n'est pas évident, mais je n'oppose pas un statut de droit privé à quelqu'un qui peut remplir une mission de service public. C'est une conception de l'État qui n'est pas la mienne.

S'agissant de la provision pour aléas, on a déjà augmenté de 15 millions d'euros par rapport à l'année précédente. Je pense que cela répond à la sincérité budgétaire. On verra ce qui va se passer.

Le sujet qu'il nous faut traiter réside dans la question assurantielle agricole. On a commencé à travailler sur ce sujet durant huit mois. Je réunis tout ce petit monde courant décembre pour voir où en est. On a d'un côté les calamités agricoles, de l'autre les assurances privées. Parfois, les calamités agricoles assurent mieux que les assurances privées, ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'incitation à choisir les assurances privées, sauf dans certains cas. Le système assurantiel, notamment privé, n'est pas suffisamment développé dans le monde agricole.

La réponse ne peut pas être de diminuer la qualité de l'indemnisation de la calamité agricole pour redonner une attractivité au système assurantiel privé, mais de savoir comment redonner de l'intérêt au système assurantiel privé. C'est ainsi qu'on doit traiter le sujet, qui est très compliqué. Comment mutualiser le risque pour faire en sorte que la prime soit faible ? Cela signifie qu'il faut être beaucoup, voire rendre l'adhésion obligatoire. On n'a pas le même son de cloche en fonction des filières et des zones géographiques. C'est ce que l'on va devoir traiter.

S'agissant de l'influenza, chacune de ses apparitions, depuis 2015, a engendré environ 100 millions d'euros de dépenses exceptionnelles. On verra ce qu'il en est en cours d'année. Rien n'a été prévu par rapport au budget initial. Pour l'instant, on essaye de circonscrire le foyer de Haute-Corse. Le problème vient plus des oiseaux migrateurs que de ce foyer. Depuis 2016, nous avons développé beaucoup d'outils de biocontrôle et de biosécurité dans les élevages.

Quant à la PPA, elle est aux portes de l'Allemagne. On a réussi à la contenir lorsqu'elle était en Belgique. Elle est passée de Pologne en Allemagne via le sanglier. En Allemagne, elle se répand par leur biais, mais la vitesse de propagation reste très faible. On peut donc estimer que le fait que la PPA arrive en Alsace est assez peu probable. C'est ce que disent un certain nombre d'experts. J'étudie néanmoins cela avec beaucoup de précautions.

En revanche, n'oublions pas que la PPA est arrivée d'un seul coup en Belgique. La probabilité qu'elle arrive en Alsace par un sanglier allemand n'est pas plus forte que celle qu'elle arrive directement en Bretagne par un camion qui a traversé la Pologne ou l'Allemagne. Nous réalisons là aussi des mesures de biosécurité, etc.

Dans le plan de relance, 130 millions d'euros sont consacrés aux abattoirs, environ 130 millions d'euros aux éleveurs, afin de leur permettre d'investir dans le domaine de la biosécurité et du bien-être de l'éleveur comme de l'élevage.

S'agissant du sésame, je n'ai pas d'informations. Je m'engage à vous les communiquer.

Par ailleurs, concernant le Brexit, on a programmé le recrutement de plus de 300 équivalents temps plein (ETP). Pour dire les choses simplement, on est à peu près au clair pour ce qui touche aux importations du Royaume-Uni vers la France. On avait jusqu'à présent deux centres de traitement phytosanitaire entre Calais, Dunkerque, etc. On en crée cinq supplémentaires. On a déjà recruté près de 200 personnes - vétérinaires, etc.

Là aussi, le diable est dans les détails. J'étais en compagnie de la commissaire à la santé, il y a quelques jours. Environ 500 000 chiens et chats font le trajet chaque année. Il faut donc absolument que la rage ne se propage pas au Royaume-Uni, faute de quoi il faudra tester les 500 000 chiens et chats qui arrivent chaque jour. Je vous laisse imaginer l'organisation que cela suppose.

J'imagine que l'on fera preuve de pragmatisme à ce sujet. On compte par ailleurs 12 000 passages de chevaux par an. Aujourd'hui, il existe un accord trilatéral. Demain, il faudra les contrôler. Vous imaginez la logistique à mettre en place. On est en train de s'organiser.

La grande difficulté vient du fait qu'on ne connaît toujours pas les règles à appliquer vers la Grande-Bretagne, les Britanniques ne les ayant toujours pas déterminées. C'est ce qui est compliqué.

J'ai oublié de parler d'un élément très important en matière de recherche, le plan Écophyto. Le budget prévoit 71 millions d'euros pour ce plan. On vient de signer la feuille de route. Je pourrais vous l'adresser si vous le souhaitez, ainsi qu'à la présidente.

Beaucoup d'entre vous me parlent des fermes du réseau Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires (DEPHY). Elles fonctionnent objectivement très bien, et nous leur accordons 13 millions d'euros.

S'agissant de la rentabilité, on l'améliore par le plan de relance. Il faut également tenir compte de la question de la gestion du risque. N'oublions jamais que la meilleure façon de gérer les risques, c'est d'abord d'améliorer la gestion en eau et d'avoir ensuite un système assurantiel. La loi Egalim ne donne pas encore de résultats satisfaisants. Cela fonctionne pour certains secteurs, et non pour d'autres.

Début décembre, nous allons réunir pour la troisième fois avec Agnès Pannier-Runacher le comité de suivi des relations commerciales. La confiance est aujourd'hui établie. L'exigence doit être absolue de notre part, mais on doit y ajouter un troisième volet sur la transparence. Il faut réussir à passer de la guerre des prix à la transparence des marges. L'économie est basée sur un rapport de force et une théorie des jeux. On ne peut peser dans une économie qui n'administre pas les prix mais rend toute entente pénalement répréhensible qu'en instaurant la transparence. Nous sommes convenus de mettre ce sujet sur la table.

J'ai demandé à Serge Papin, qui est devenu une sorte de figure tutélaire, de travailler avec nous sur ce sujet. Il mène une mission jusqu'à la fin du mois d'avril et nous accompagne dans le cadre du triptyque « Confiance, exigence, transparence ».

Par ailleurs, la baisse de la dotation en faveur des Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) est due au fait que nous avons dépensé en 2020 des sommes très importantes liées à des MAEC exceptionnelles en 2015.

Enfin, concernant le FEADER, nous allons connaître deux années avec des crédits très importants que le plan de relance agricole européen va permettre de financer.

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