Intervention de Julien Denormandie

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 novembre 2020 à 16h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de M. Julien deNormandie ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Julien Denormandie, ministre :

Tout d'abord, s'agissant des discussions avec les États-Unis, il ne faut faire preuve d'aucune naïveté. On connaît le poids de l'administration américaine sur tous ces sujets, même si l'élection de Joe Biden va très certainement apaiser le climat.

Il s'agit de mettre en oeuvre les 4 milliards de dollars de mesures de rétorsion permises par l'OMC, ce sur quoi la France a beaucoup travaillé et que l'Union européenne a adopté il y a quelques jours. Il est très important de montrer 'que nous sommes prêts à entrer dans un rapport de force pour obtenir la désescalade et revenir à un système beaucoup plus apaisé.

La deuxième question, que vous êtes plusieurs à avoir posée, porte sur le foncier agricole. On pourrait en parler durant des heures. Je crois qu'il nous faut mener une grande réforme du foncier agricole. Cela va prendre cinq à dix ans. Ceci recouvre les sujets des baux ruraux, du fermage, du statut de l'agriculteur, des SAFER, de leur gouvernance, du portage foncier.

Nous avons en France les terres agricoles probablement les moins chères parmi nos compétiteurs européens, mais nous ne les valorisons pas. Nous avons là pour une fois un avantage comparatif indéniable, ce qui amène même parfois certains, comme nos amis belges, à se les approprier dans le nord du pays, car il s'agit de terres particulièrement compétitives.

Je ne suis pas sûr, compte tenu des modifications législatives dues à la situation sanitaire, qu'on dispose d'une fenêtre pour que le Gouvernement dépose une grande loi de réforme foncière d'ici la fin du quinquennat. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas avancer, ou que les parlementaires ne peuvent pas le faire de leur côté.

Que peut-on faire rapidement ? J'entends les critiques visant les SAFER. Pour autant, vous en connaissez la gouvernance, et chacun doit assumer ses responsabilités.

Il existe un point sur lequel on peut avancer sans passer par la loi. Certains d'entre vous l'ont dit, le jeune agriculteur qui s'installe, s'il n'hérite pas de terres, doit souscrire des prêts à hauteur de 200 000 euros, 300 000 euros, 400 000 euros, 600 000 euros.

Face à cela, il faut avancer avec des systèmes de portage foncier. Des expériences ont été menées dans certaines régions. On travaille aujourd'hui beaucoup avec la banque des territoires pour voir comment réaliser ce portage foncier, qui est extrêmement pertinent.

Je pense que la nouvelle génération d'agriculteurs est prête, ce qui n'était pas concevable pour leurs parents. La première des grandes réformes foncières à mener, c'est celle des retraites de nos agriculteurs, afin de définitivement clore le sujet. Tant qu'on n'arrivera pas à boucler ce dossier, on ne changera jamais l'approche que l'on peut avoir du foncier. C'est ce que nous sommes en train de faire, puisqu'on doit mettre en place la retraite minimale à 85 % du SMIC avant début 2022, y compris pour le stock. C'est très important.

Concernant le PGE, les choses sont déjà faites. Cette possibilité existe hors du monde agricole. On est passé d'une à deux années. Il s'agit de mesures transversales, mais il faut que l'on s'adapte.

Je me félicite par ailleurs du décret issu de la loi ASAP sur la gestion de l'eau et la répartition, et je vous en remercie. Cela a été un beau sujet parlementaire. On a là un cadre défini, et c'est très bien.

Ce décret vient de partir à la concertation. Ce qui est sûr, c'est que le ministère de la transition écologique et le ministère de l'agriculture, comme toujours pour ce type de documents réglementaires, seront associés à la concertation. C'est un sujet très important. Il nous faut maintenant nous assurer que le décret en tant que tel est pertinent.

Monsieur Janssens, le sujet est assez simple s'agissant de la question du rôle et de la place de la France dans la PAC 2021-2027. À mon arrivée, il existait des lignes rouges. Il s'agissait en premier lieu d'avoir une PAC plus verte et d'accompagner la transition agroécologique, mais surtout de faire en sorte que la convergence au sein du marché commun soit une priorité absolue. On ne peut demander aux uns de changer de pratiques si les autres ne changent pas aussi. Cela va prendre un certain temps.

Je suis sûr que les prochains ministres de l'agriculture continueront à travailler sur ce sujet, mais on a franchi une étape très importante. Cela aurait été un immense échec si l'on n'y était pas parvenu. On s'est beaucoup battu lors du conseil des ministres du 21 octobre pour obtenir que le fameux principe qui conditionne 20 % à 30 % des paiements du premier pilier à des mesures environnementales soit obligatoire pour tous les États membres. Auparavant, chacun y allait avec ses desiderata. C'est une grande avancée.

Cependant, tous les pays vont établir des plans stratégiques nationaux. Il va falloir rester très vigilant en matière de convergence, mais on a obtenu l'avancée nécessaire il y a tout juste un mois, après des mois de discussions et des jours et des nuits d'intenses tractations.

Madame Schillinger, à mes yeux, la souveraineté agroalimentaire passe par la souveraineté française et, bien sûr, européenne. Un sujet est particulièrement important, celui de la souveraineté protéique.

Les aides couplées pour certains types d'élevages ne sont aujourd'hui possibles que pour des secteurs en difficulté ou des actions que l'on veut maintenir sur un certain nombre de territoires. Ce n'est pas possible quand il s'agit de soutenir une filière ou accroître sa production. Ce n'est pas logique. Si nous ne voulons plus être dépendants du tourteau de soja brésilien ou en provenance d'Amérique du Sud, il nous faut accroître nos surfaces. J'ai obtenu il y a tout juste un mois l'autorisation d'utiliser les aides couplées notamment pour la filière protéique.

Monsieur le sénateur Cardon, il faut considérer deux éléments s'agissant la conversion agribio, et en premier lieu tout ce que l'on fait au titre des schémas habituels, qui ne cessent d'augmenter. Les financements européens et nationaux sont passés, de 2016 à 2020, d'environ 250 millions d'euros à 500 millions d'euros au titre du bio.

Au-delà, on a augmenté de 50 % le fonds Avenir Bio, prorogé le crédit d'impôt bio et mis en place les structurations de filières, notamment de filières bio, à hauteur de 60 millions d'euros. On doit être aujourd'hui à 8,5 % de surfaces agricoles utiles en bio, ce qui n'est évidemment pas assez par rapport à l'objectif de 15 % d'ici 2022. Il nous faut donc accélérer.

En revanche, j'ai fait le choix, que j'assume, de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Au moment où je consentais une augmentation de 50 % au fonds Avenir Bio, j'ai décidé de créer le crédit d'impôt HVE et de le doter de 70 millions d'euros. J'aurais pu choisir de tout mettre sur le bio, mais j'ai fait le choix du bio, du HVE et du conventionnel, c'est-à-dire de pousser tous les feux.

C'est un choix politique qui m'incombe, mais je pense qu'il est très important de développer également le HVE, même s'il faut aller à fond sur le bio. Enfin, le crédit d'impôt bio est également prolongé.

Monsieur Moga, j'ai répondu concernant la taxe américaine.

Monsieur Cuypers, il faut d'abord évaluer toutes les pertes avant de lancer l'indemnisation au titre du principe de minimi.

Par ailleurs, j'entends les craintes concernant le photovoltaïque. À la suite du débat à l'Assemblée nationale sur la proposition du Gouvernement, la révision des tarifs ne concerne que les installations supérieures à 250 mégawatts. On parle de dix à quatre-vingts unités agricoles. J'entends qu'il y a des interrogations sur cette évaluation et que cela pourrait être beaucoup plus. Le rôle du Gouvernement, avant la séance au cours de laquelle vous allez étudier la chose, est de vous apporter la réponse précise. Nous y travaillons.

Monsieur Montaugé, la question des aides surfaciques et non surfaciques est un débat très compliqué. Nous l'avons eu au moment de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit national au droit de l'Union européenne (DDADUE). Le Sénat, en séance, n'a pas voté en faveur de la proposition du Gouvernement.

Entre le débat dans l'hémicycle et la CMP, nous avons beaucoup travaillé avec les régions et sommes convenus d'un accord avec elles sur ce point. Nous avons, selon une méthode qui m'importe, établi avec le président Muselier et les autres présidents de région le meilleur des schémas.

Pour les aides surfaciques, l'autorité de gestion décisionnaire est l'État. Pour les aides non surfaciques, ce sont les régions qui représentent l'autorité de gestion et le décisionnaire. Il faut ensuite que chacun veille à ce qu'il existe une forme de convergence entre les différentes régions. J'ai souvent rencontré de jeunes agriculteurs frontaliers qui déploraient le fait que certains s'expatriaient dans des endroits où l'aide à l'installation était meilleure. Cette convergence est donc dans l'intérêt de tous.

On a un peu de temps pour régler tout cela, ces nouvelles répartitions n'entrant en vigueur qu'en 2023. On s'est mis d'accord avec les régions sur le principal. C'était très important. Comme pour les aides surfaciques, l'autorité de gestion est l'État, mais cela se décide avec les territoires et les régions. Il faut donc maintenir tous les comités de région et continuer à échanger.

Monsieur Gremillet, je suis un grand défenseur de l'exportation. J'en ai beaucoup parlé hier dans l'hémicycle du Sénat. Je pense qu'il faut à la fois avoir une agriculture de proximité, et une agriculture d'exportation. Les deux sont nécessaires.

Cela nécessite des mesures d'aide à l'exportation. Songez que 30 à 40 % de l'activité de Business France est tournée vers l'agroalimentaire. On a créé un plan de relance export. Dans ce cadre, j'ai « doublé la mise » pour que ce soit deux fois plus intéressant de l'utiliser dans le domaine agricole.

Je ne reviens pas sur les moyens de contrôle. J'ai évoqué le Brexit tout à l'heure.

Madame Loisier, vous avez raison : la mère des batailles reste l'eau. On ne peut faire d'agriculture sans eau. La tension sur l'usage de l'eau est vieille comme le monde. Il existe des guerres de l'eau depuis que l'homme est sédentaire. Cela crispe souvent tout le monde au début puis, une fois que la réserve est montée, plus personne n'en parle, ce qui montre bien que les gens réussissent à s'adapter.

Il faut donc simplifier les choses, comme le fait décret sur la répartition des débits, et se concerter.

S'agissant des retenues individuelles, une ligne de 100 millions d'euros est prévue pour l'aide aux aléas climatiques. Les bassines de collecte d'eau pour les éleveurs, qui coûtent quelques milliers ou quelques dizaines de milliers d'euros, peuvent être éligibles au titre de cette ligne. Il faut les rajouter si elles ne le sont pas.

J'ai déjà répondu concernant le sujet de la démographie. Il nous faut créer des systèmes de portage de foncier. Avec Mme la présidente et Mme Estrosi Sassone, nous avions travaillé sur ces sujets, notamment dans le domaine du logement. Il faut donc avancer sur ce point.

Pour ce qui est de l'observatoire des prix que vous mentionnez, on a finalement maintenu tous les budgets en 2020. Il faut continuer à en parler. Je n'entre pas dans le détail, mais on dispose d'un peu de temps.

Monsieur Chauvet, un point est extrêmement important dans le domaine des aides à l'installation, vous l'avez dit. L'un des problèmes fondamentaux de la PAC est qu'on ne peut jamais bénéficier de seconde chance si, pour une raison ou une autre, on s'est trompé dans sa demande de paiement.

On a changé les choses concernant les aides aux jeunes agriculteurs après 2015, mais on est encore en train de traiter les reliquats de 2011 à 2015. J'ai souhaité, dès mon arrivée, instaurer la notion de droit à l'erreur dans la PAC. J'ai donc poussé un amendement au Parlement, avec les délégations européennes. J'ai obtenu une déclaration du Conseil sur le sujet. J'espère que le trilogue va valider cette notion. Si l'on y arrive, on aura réussi à obtenir quelque chose de fondamental.

Monsieur Labbé, concernant l'ITAB, les réunions ont lieu en ce moment, notamment au sujet de la répartition du CASDAR. Ceci prouve qu'on y travaille. Je vous propose d'en reparler en parallèle, n'ayant pas suffisamment de détails à ce sujet.

Monsieur Cabanel, j'ai répondu tout à l'heure à votre question sur les métiers.

Monsieur Michaud, nous allons déposer un amendement pour reconduire cette année le dispositif relatif à l'association foncière pastorale.

Monsieur Rietmann, vous avez raison : il s'agit d'une question de rentabilité, mais c'est pour moi typiquement une injonction contradictoire. En France, on adore les animaux, beaucoup apprécient la viande, mais on n'aime pas ce qui se passe entre les deux. On fait donc une sorte de transfert de culpabilité en direction des personnes qui travaillent dans les abattoirs.

Qui est déjà allé dans un abattoir ? Qui accepterait d'aller y travailler ? Je veux rendre hommage à celles et ceux qui y sont employés, qui font un métier extrêmement difficile et subissent ces injonctions, alors qu'on n'accepte pas de payer la viande plus cher pour couvrir les investissements.

C'est cette injonction contradictoire qu'il nous faut combattre, mais il faut bien que j'agisse le temps que cela se fasse, car les abattoirs de proximité ne cessent de fermer. Il nous faut arriver à avancer sur ce sujet. C'est pourquoi ces établissements sont éligibles au plan de relance, le temps que le sujet évolue.

J'ai parlé hier encore de la question des établissements de transformation lors de la réunion du conseil des ministres européens, en expliquant qu'on en avait absolument besoin en France.

Enfin, j'ai bien le sujet des broutards en tête. J'étais dans votre territoire il y a peu. Nous nous sommes mis d'accord sur un modus operandi afin de renouer le dialogue entre tous les acteurs. Une feuille de route commune a été arrêtée, qu'on m'a remise vendredi dernier. Je vais l'étudier.

Ces pistes sont très importantes sur le moyen terme, mais il existe également un sujet de très court terme. Il s'agit malheureusement d'opérations de marché. La question est de savoir si les Italiens acceptent de payer plus. Ce n'est pas si facile. Nous sommes aujourd'hui dépendants du marché italien, alors même que les Italiens sont dépendants de nous. C'est un système dans lequel on devrait pouvoir nous-mêmes fixer globalement les prix, alors que c'est l'inverse. Il y a là quelque chose qui ne tourne pas rond. Nous y travaillons.

Monsieur Redon-Sarrazin, votre question portait sur la transmission des terres. Même si on ne fait pas de loi foncière tout de suite, il nous est possible de commencer, notamment sur la question du portage du foncier. C'est un sujet très compliqué.

Je souhaite avancer sur tous ces sujets. Ce n'est pas faute de travailler, mais il faut aussi savoir quels sujets traiter en priorité. Mesures de soutien, plan de relance, PAC, assurances, eau, énergie, forêt, biocontrôle, biosécurité, foncier, transmission, etc. : on a beaucoup de sujets face à nous. Il faut voir comment les traiter les uns après les autres. J'aurais également pu citer le Brexit, le plan protéines, etc.

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