Intervention de Stéphane Piednoir

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 novembre 2020 à 10h45
Projet de loi de finances pour 2021 — Crédits « enseignement supérieur » - examen du rapport pour avis

Photo de Stéphane PiednoirStéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

L'examen des crédits consacrés à l'enseignement supérieur s'inscrit cette année dans un contexte inédit, marqué par la gestion d'une crise sanitaire aux répercussions économiques et sociales majeures et l'adoption récente du projet de loi de programmation de la recherche dont les connexions avec l'enseignement supérieur sont très fortes.

Situation inédite aussi parce qu'en moins d'un an, quatre lois de finances rectificatives, une loi de programmation et une loi de finances initiale intégrant un plan de relance sont porteuses de financements pour l'enseignement supérieur. La multiplication de ces véhicules budgétaires crée une véritable complexité qui rend difficilement lisible l'effort global de l'État envers cette politique publique.

Compte tenu de cette architecture budgétaire inhabituelle, j'ai souhaité compléter l'analyse traditionnelle des programmes 150 et 231 par celle des crédits de la nouvelle mission « Plan de relance » dédiés à l'enseignement supérieur et à la vie étudiante.

J'ai également jugé utile que cet exercice budgétaire soit l'occasion de faire le point sur les différents constats formulés par le groupe de travail consacré aux conséquences du confinement sur l'enseignement supérieur, que j'avais eu le plaisir d'animer au printemps dernier. Plusieurs de ses recommandations ont été suivies d'effet, tandis que d'autres restent d'actualité.

Mon propos sera axé sur les deux thématiques centrales du secteur : les formations supérieures et la vie étudiante.

En 2021, le budget de l'enseignement supérieur - au sens des formations - sera de 14 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse de 1,76 % par rapport à l'année dernière.

Les moyens nouveaux, qui s'élèvent à 265,3 millions d'euros, sont destinés, d'une part, au financement de mesures inscrites au projet de loi de programmation de la recherche, d'autre part, à la poursuite de la mise en oeuvre de la loi orientation et réussite des étudiants (ORE).

Dans le détail, 164,2 millions d'euros correspondent à la première marche budgétaire du projet de loi de programmation de la recherche, plus précisément aux mesures de revalorisation des rémunérations et des carrières des personnels. Je vous rappelle les plus significatives : la réforme des régimes indemnitaires, la revalorisation de 30 % de la rémunération des doctorants et l'augmentation de 20 % du nombre de contrats doctoraux, la diversification des voies de recrutement avec la création de chaires de professeur junior et de contrats de mission scientifique. Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de nos récents débats, je suis favorable à ces mesures, qui devraient permettre d'enrayer le décrochage des rémunérations de nos personnels scientifiques et apporter davantage de souplesse dans des procédures de recrutement aujourd'hui trop rigides.

Par ailleurs, 73 millions d'euros de crédits nouveaux sont consacrés à la poursuite des actions menées les années précédentes, parmi lesquelles l'augmentation des capacités d'accueil dans les filières en tension, dans un contexte marqué par un afflux d'étudiants dû aux résultats exceptionnels du baccalauréat 2020 et aux difficultés d'insertion sur le marché du travail en période de crise ; le développement des dispositifs d'accompagnement pédagogique de type « oui si » ; la valorisation de l'investissement pédagogique des personnels, et le déploiement de la réforme des études de santé : 19 millions d'euros sont prévus pour achever la transformation de la première année commune aux études de santé (PACES) et lancer la réforme du deuxième cycle. En raison de la crise sanitaire, cette réforme avait été reportée d'un an au printemps dernier, décision que notre groupe de travail avait estimée raisonnable.

15,2 millions d'euros sont octroyés aux revalorisations salariales dans le cadre du protocole « Parcours, carrières et rémunérations » (PPCR) ; 4 millions d'euros sont fléchés sur l'extension du dialogue stratégique et de gestion (DSG) entre l'État et les établissements publics d'enseignement supérieur. C'est désormais dans le seul cadre de ce DSG, que la question du glissement vieillesse-technicité (GVT) est abordée. Celle-ci ne fait plus l'objet d'une approche globale et n'est plus mentionnée dans les documents budgétaires, évolution que je juge regrettable compte tenu de l'importance de ce problème structurel pour les établissements. N'oublions pas que le GVT représente pour eux un coût de 50 millions d'euros par an !

Enfin, 9 millions d'euros viennent abonder la dotation versée aux établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (EESPIG). Je salue cette revalorisation, que j'appelle de mes voeux depuis plusieurs années, mais j'émets deux réserves. La première tient à son manque de lisibilité. On ne sait en effet pas, à la lecture du bleu budgétaire, comment cette enveloppe va être répartie entre les établissements et les organismes de formation des enseignants. La seconde réserve porte sur l'effectivité de cette hausse : l'année dernière, nous avions aussi voté une augmentation de 3 millions d'euros en faveur des EESPIG, mais celle-ci ne s'est pas retrouvée en exécution ! D'où mes doutes pour l'année prochaine...

Voici donc les principales lignes du programme 150 qui bénéficient de crédits nouveaux. Il faut y ajouter ceux prévus dans le cadre de la mission « Plan de relance ».

Une enveloppe de 180 millions d'euros a vocation à financer 30 000 places supplémentaires, principalement dans les filières médicales et para-médicales, ainsi que dans les formations courtes et professionnalisantes, où les besoins sont importants dans le contexte actuel. Cet effort est évidemment le bienvenu, mais j'aurais préféré que ces crédits soient intégrés au programme 150. La création de places supplémentaires est en effet un besoin structurel et non uniquement conjoncturel.

Une autre enveloppe, de 3,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 1,6 milliard d'euros en crédits de paiement, est prévue pour la rénovation thermique des bâtiments publics. Compte tenu de l'état du patrimoine immobilier universitaire, il y a lieu d'accueillir favorablement cette initiative ! Ce sujet avait d'ailleurs fait l'objet d'une recommandation de notre groupe de travail. Un appel à projets spécifique au secteur de l'enseignement supérieur a été lancé et a donné lieu à 5 200 dossiers de candidature, représentant un volume financier de 8,4 milliards d'euros, ce qui montre bien l'état des besoins. Le processus de sélection est en cours. Cet appel à projets devrait permettre le démarrage rapide de chantiers de rénovation, mais je pense qu'il ne permettra pas à lui seul de rattraper le retard pris. En effet, la remise en état des 15 millions de mètres carrés du bâti universitaire relevant de l'État nécessiterait un investissement de 10 milliards d'euros, soit dix ans de mise en oeuvre au rythme actuel de financement. Ce constat plaide, à mon sens, pour une dynamique plus ambitieuse que pourrait impulser, par exemple, le lancement d'un deuxième plan Campus.

Pour finir sur cette partie, je souhaite faire un focus sur l'accueil des étudiants internationaux, problématique qui avait retenu l'attention de notre groupe de travail et auquel je consacre tout un développement dans mon rapport écrit. La crise a bien sûr fait craindre une année blanche. Mais la mobilisation conjointe - et que je salue - du ministère des affaires étrangères, du ministère de l'enseignement supérieur et de leur opérateur Campus France a permis d'éviter le pire. Grâce à plusieurs actions de communication et à l'autorisation d'accès au territoire national des étudiants internationaux, 68 000 visas ont pu leur être délivrés. Bien sûr, ce chiffre est en baisse de 25 % par rapport à l'année dernière, mais, au regard du contexte international, ce résultat est positif. La France est en effet l'un des seuls pays à avoir accueilli des étudiants étrangers en présentiel. L'on constate même une légère hausse du nombre d'inscriptions. Des difficultés et des interrogations demeurent toutefois : situations très diverses selon les zones géographiques, risque de comportements opportunistes pour profiter d'une offre de formation uniquement en distanciel, difficultés d'organisation des examens pour les étudiants restés dans leur pays, conséquence du décalage de certaines inscriptions sur l'organisation de la prochaine rentrée, risque de rupture dans les futurs flux...

J'en viens au budget de la vie étudiante, qui revêt une importance majeure en ces temps de crise. Nous le savons, les étudiants sont un public particulièrement vulnérable. Notre responsabilité collective est de faire en sorte que tous puissent poursuivre leur formation dans de bonnes conditions, afin de ne pas voir se concrétiser le spectre d'une génération sacrifiée.

Notre groupe de travail avait salué les mesures d'urgence prises au printemps dernier : déblocage d'aides spécifiques par les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), prorogation du droit à bourse en juillet, versement d'une aide exceptionnelle de 200 euros aux jeunes les plus précaires. Il avait cependant appelé à une clarification rapide des financements, dont les premiers montants annoncés avaient semblé sous-calibrés face à l'ampleur des besoins. Ceux-ci ont été budgétés dans la troisième loi de finances rectificative, qui a ouvert une enveloppe de 115 millions d'euros.

Le budget 2021 s'inscrit dans la continuité de ce soutien aux étudiants les plus fragiles, choix que je ne peux qu'approuver. Près de 81 millions d'euros supplémentaires sont destinés aux bourses sur critères sociaux pour faire face à l'augmentation du nombre de boursiers, consécutive au très bon taux de réussite au bac 2020 ; financer la revalorisation du montant des bourses de 1,2 %, entrée en vigueur en septembre dernier ; prendre en compte, à titre exceptionnel, les revenus 2020 pour le calcul des bourses 2020-2021.

Autre mesure d'accompagnement prévue : la dotation annuelle du fonds de garantie des prêts étudiants, d'un montant de 4 millions d'euros dans le programme 231, sera multipliée par cinq en 2021, dans le cadre de la mission « Plan de relance ». Cette montée en charge, qui était demandée depuis plusieurs années, devrait permettre de passer d'une cible de 12 000 bénéficiaires potentiels à 60 000 dès l'année prochaine.

Une enveloppe complémentaire est destinée au réseau des oeuvres universitaires et scolaires, au titre de laquelle 49 millions d'euros compenseront le manque à gagner que génère l'instauration, depuis septembre dernier, du ticket de restaurant universitaire à un euro, et 11 millions d'euros, la perte de revenus résultant du gel de l'augmentation des loyers 2020 en résidences universitaires. J'en profite pour vous faire un rapide point sur la situation des Crous qui avait alerté notre groupe de travail au printemps.

Le réseau a en effet accusé d'importantes pertes d'exploitation du fait de la crise sanitaire. Celles-ci se chiffrent à 97,5 millions d'euros pour la période allant de mars à août et ont été évaluées à 50 millions d'euros entre septembre et décembre. Cette dernière prévision sera très certainement revue à la hausse, compte tenu des modalités particulières de déroulement de la rentrée 2020 et du nouveau confinement.

Des réponses ont été apportées - il faut le reconnaître - pour couvrir les pertes liées à la première vague épidémique : en septembre, le réseau a ainsi reçu un complément de subvention pour charges de service public de 100 millions d'euros. Mais se pose maintenant la question de la compensation au titre de la deuxième vague. Lors de son audition, la ministre nous a annoncé qu'un complément serait versé dans le cadre de la quatrième loi de finances rectificative et que des redéploiements de crédits auraient lieu en fin de gestion. Un deuxième abondement de 39,9 millions d'euros a bien été budgété, en effet, dans le quatrième projet de loi de finances rectificative récemment adopté, mais cette enveloppe pourrait s'avérer insuffisante. Je serai donc particulièrement vigilant au schéma de fin de gestion sur le programme 231 afin que l'intégralité des pertes enregistrées par le réseau en 2020, du fait de la crise sanitaire, soit comblée.

Un mot, pour finir ce panorama, sur la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Celle-ci a été fortement sollicitée, pendant le premier confinement, à hauteur de 20 millions d'euros pour des aides directes aux étudiants, des achats ou des prêts d'ordinateurs, ou encore de l'aide alimentaire. Ses conditions d'utilisation en temps normal demeurent toutefois très opaques, comme notre commission l'a signalé à de nombreuses reprises. Je me félicite donc que la ministre ait pris l'initiative de demander un rapport à l'Inspection ; celui-ci devrait enfin nous permettre de disposer de données objectives sur les modalités de mise en oeuvre de cette CVEC.

En conclusion, mes chers collègues, bien que souffrant d'une présentation confuse, le budget 2021 porte une augmentation notable des crédits consacrés aux formations du supérieur et à la vie étudiante, effort qu'il convient à mon sens de saluer et de soutenir. J'insiste sur la nécessité, en période de crise, de continuer à investir dans l'enseignement supérieur, secteur clef pour le développement de notre pays et l'avenir de notre jeunesse.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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