Intervention de Stéphane Piednoir

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 novembre 2020 à 10h45
Projet de loi de finances pour 2021 — Crédits « recherche » - examen du rapport pour avis

Photo de Stéphane PiednoirStéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

en remplacement de Mme Laure Darcos, rapporteur pour avis des crédits de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Je lirai l'intervention de Laure Darcos sur le budget de la recherche.

Nous examinons le budget de la recherche, sujet dont nous avons - il est vrai - longuement débattu ces dernières semaines. Je comprendrais donc que vous soyez un peu lassés, mais je vais essayer de retenir toute votre attention ! Cet exercice budgétaire est important car il est la première traduction du projet de loi de programmation que nous venons de voter. Mon collègue rapporteur pour avis de l'enseignement supérieur l'a d'ailleurs souligné en évoquant les crédits destinés à la revalorisation des rémunérations et des carrières des personnels de la recherche.

Vous connaissez mon analyse : la loi de programmation, en traçant un horizon budgétaire qui rompt avec des décennies de sous-investissement chronique, offre une garantie, mais ne déclenchera pas le choc budgétaire que le monde de la recherche était en droit d'attendre. Ce que j'estime être une déception doit dès lors nous conduire, à l'occasion des exercices budgétaires annuels, à la plus grande vigilance quant à l'effectivité de la programmation 2021-2030.

Nous sommes justement face au premier de ces exercices. Quels sont mes constats ? Le premier rejoindra logiquement celui exprimé par mon collègue puisque les crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche font partie de la même mission. Il s'agit de la dispersion des données budgétaires entre plusieurs supports : mission « Recherche et enseignement supérieur », mission « Plan de relance » et mission « Investissements d'avenir », auxquelles il faut bien sûr ajouter les articles 1 et 2 de la loi de programmation. Cette architecture pour le moins inédite nuit à l'intelligibilité et à la sincérité de l'effort financier global de l'État. Les responsables des grands organismes de recherche, eux-mêmes, nous ont fait part de leur difficulté à avoir une vision claire des crédits qui leur seront attribués en 2021. Certains - je pense notamment à l'Inserm - ne disposaient toujours pas, mi-novembre, de la lisibilité suffisante pour construire leur propre budget, qui doit pourtant être validé par leur conseil d'administration début décembre !

Je souhaite donc qu'à l'avenir, il soit mis à disposition des opérateurs de recherche, comme de la représentation nationale, une présentation transversale et exhaustive des moyens consacrés par l'État à la politique de recherche.

Mon deuxième constat porte sur le niveau de l'effort budgétaire proposé pour 2021. Il est très conséquent s'agissant des capacités d'engagement de l'Agence nationale de la recherche (ANR) dont la trajectoire constitue, je crois, l'une des avancées majeures de la loi de programmation. En effet, en contrepartie du maintien de la durée de dix ans, le Sénat a obtenu du Gouvernement : d'une part, l'intégration des 428 millions d'euros supplémentaires prévus pour l'Agence dans le cadre du plan de relance, dont 286 millions en 2021 et 142 millions en 2022 ; d'autre part, la prise en compte des 100 millions d'euros, aussi prévus dans le plan de relance, pour la préservation de l'emploi dans le secteur privé de la recherche et du développement (R&D).

Dès l'année prochaine, ce sont 403 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement dont disposera l'ANR au bénéfice des projets de recherche. Ces moyens nouveaux serviront d'abord à augmenter le taux de succès aux appels à projets génériques. Celui-ci pourrait, en un an, passer de 17 % à 23 %, avec une hypothèse d'augmentation du nombre de projets déposés de 20 %. Ces crédits permettront ensuite de relever les montants de préciput : en 2021, la part destinée à l'hébergeur pourrait passer de 11 % à 13 %, la part dévolue au gestionnaire de 8 % à 10 %, et un taux de 2 % pourrait être introduit en faveur des laboratoires, conduisant à un taux global de 25 % contre 19 % aujourd'hui. Il s'agit là de deux progrès substantiels que je tiens à saluer.

S'agissant des 100 millions d'euros fléchés sur la préservation de l'emploi en R&D, le principal avantage de l'écriture budgétaire à laquelle il a été procédé est de mettre ce montant sous le giron de l'ANR et de sa tutelle - le ministère de la recherche - et non du ministère des finances. Il nous faudra néanmoins veiller à ce que la gestion de ce dispositif ne vienne pas perturber le coeur de mission de l'Agence.

Mon troisième constat, toujours sur le niveau de l'effort financier, concerne les 400 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement affichés sur les trois principaux programmes « recherche » de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Sur ce montant, 224 millions d'euros sont attribués au programme 172 qui concentre la plus grande partie des financements alloués aux opérateurs. Cependant, cette enveloppe ne correspond pas seulement à des moyens nouveaux ; elle permet aussi de couvrir des dépenses récurrentes et incompressibles du ministère de la recherche : 68 millions d'euros sont ainsi consacrés au rebasage, prévu de longue date, de la subvention du CNRS pour faire face au « mur budgétaire » que représente l'augmentation de sa masse salariale ; 38 millions d'euros correspondent à des engagements pluriannuels de la France vis-à-vis d'organisations scientifiques internationales. Le « véritable » apport en 2021 n'est donc pas aussi élevé qu'annoncé.

Je ne reviendrai pas sur les 165 millions d'euros supplémentaires dont bénéficie le programme 150 au titre du financement des mesures de revalorisation des rémunérations et des carrières des personnels de recherche. Je réitèrerai simplement mon soutien à l'ensemble de ces mesures.

Le programme 193, consacré au spatial, fait l'objet de jeux d'écriture assez complexes, dont je vous épargne les détails. Ce que j'en retiens, c'est un soutien réaffirmé au secteur, qui rassure évidemment le Centre national d'études spatiales (CNES), dans un contexte de très forte concurrence internationale.

Je souhaite également vous faire part de deux inquiétudes concernant les crédits recherche de la mission « Plan de relance » : la première a été exprimée par les organismes de recherche, en particulier le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui redoutent, à terme, une baisse de leurs moyens en cas de non-intégration en « base budgétaire » des crédits de cette mission à vocation temporaire. Nous devrons en effet être attentifs à ce que les modifications de maquette budgétaire provoquées cette année par la création de cette mission ne portent pas atteinte à la pérennité des financements accordés aux opérateurs ; la seconde inquiétude porte sur le risque de sous-exécution des crédits attribués à l'ANR, compte tenu de la somme en jeu. Afin de s'en prémunir, l'ANR et le ministère envisagent la possibilité de mettre en oeuvre l'augmentation du taux de préciput pour les projets sélectionnés en 2020, mais Bercy n'y serait pas particulièrement favorable...

Après ces constats et analyses, j'aurai trois points de vigilance en vue des débats en séance. Le premier concerne l'engagement pris par la ministre, au cours de l'examen du projet de loi de programmation, d'augmenter les dotations de base des laboratoires de recherche de 10 % en 2021. Cette hausse n'apparaît, cependant, ni dans le projet de loi de finances ni dans les documents budgétaires annexés puisqu'ils ont été élaborés avant cette annonce - on en revient à la critique sur la concomitance de plusieurs supports budgétaires. Il est donc indispensable que cet engagement trouve rapidement une traduction budgétaire, au risque sinon de passer pour un voeu pieux ! J'ai, pour ma part, toujours plaidé pour que le développement des financements sur appels à projets n'ait pas pour corollaire une attrition des moyens récurrents dont disposent les laboratoires. Je veillerai donc particulièrement à ce point.

Le deuxième, c'est celui du glissement vieillesse-technicité (GVT) qui, comme pour les établissements d'enseignement supérieur, est un problème structurel pour les organismes de recherche. Le projet de loi de finances pour 2021 comporte une mesure spécifique au CNRS dont je vous ai déjà parlé, l'augmentation de sa subvention pour charges de service public de 68 millions d'euros pour abattre une partie de son « mur budgétaire ». Cette prise en charge est évidemment la bienvenue, mais elle ne doit pas faire oublier que d'autres grands organismes de recherche sont toujours en attente d'une réponse de l'État. C'est le cas notamment de l'Inserm, lui aussi confronté à un « mur » à cause du GVT.

Le caractère très sensible, voire tabou, dans les discussions entre le ministère de la recherche et le ministère des finances, de cette question ne justifie pas que celle-ci soit mise au point mort. Je souhaite que des solutions puissent enfin émerger, qui ne prendraient pas nécessairement la forme de compensations automatiques et intégrales, mais de réponses plus fines, élaborées au cas par cas.

Le troisième point de vigilance est lié à l'article 8 du projet de loi de finances pour 2021 qui prévoit la suppression du dispositif de doublement de l'assiette du crédit impôt recherche (CIR) pour les entreprises qui confient des travaux de R&D à des laboratoires publics de recherche.

Je comprends bien sûr que cette disposition, instaurée en 2004, pose problème au regard de la réglementation européenne sur les aides d'État, mais sa suppression pure et simple risque de porter atteinte au développement des partenariats publics-privés, qui constitue pourtant un sous-jacent important du projet de loi de programmation de la recherche. Le signal adressé par le Gouvernement est donc contradictoire.

Les établissements publics de recherche à caractère industriel et commercial (EPIC), pour lesquels la recherche partenariale est centrale, sont particulièrement inquiets de la suppression de ce dispositif, qui pourrait compromettre leurs projets. Les start-up le sont également.

Samedi dernier, à l'heureuse initiative du rapporteur général de la commission des finances, le Sénat a adopté un amendement reportant à 2023 l'entrée en vigueur de cette suppression. Cette période de transition de deux ans permettra aux organismes de recherche d'anticiper la réforme et au Gouvernement d'étudier les moyens alternatifs pour continuer à soutenir la recherche partenariale. J'espère que cette modification sera maintenue en commission mixte paritaire.

Voilà, mes chers collègues, les éléments d'analyse que je souhaitais vous livrer, dans la continuité du travail que j'ai mené en tant que rapporteur du projet de loi de programmation. Même si l'enveloppe financière attribuée sur dix ans à la recherche vaut en réalité plus pour la stabilité et la visibilité qu'elle offre, que pour l'ampleur de l'effort qu'elle représente, il me semble important de concrétiser sa première marche.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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