Intervention de Isabelle Briquet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 novembre 2020 à 14h05
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « administration générale et territoriale de l'état » - examen du rapport spécial

Photo de Isabelle BriquetIsabelle Briquet, rapporteure spéciale :

Après avoir changé d'échelle en 2020, le budget de la mission AGTE poursuit sa transformation en 2021. La réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE), engagée par la circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019, se poursuivra l'année prochaine avec la création des secrétariats généraux communs (SGC) des préfectures et directions départementales interministérielles dès le 1er janvier 2021 ; la mise en place des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) au 1er avril prochain ; le transfert au ministère de l'éducation nationale des missions « Sport » et « Jeunesse » aujourd'hui exercées par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRSJCS) et les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) ; le transfert aux préfectures des missions effectuées par les services de la main-d'oeuvre étrangère (SMOE) au sein des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

Le budget de la mission est donc confronté à d'importantes évolutions de périmètre, moindres que l'année dernière, mais qui demeurent importantes. Une fois neutralisées ces évolutions et les dépenses immobilières exceptionnelles prévues en 2020 et portées pour un montant équivalent par la mission « Plan de relance », le budget de la mission doit se stabiliser en 2021 : l'effort se réduit pour les administrations de la mission, et tout particulièrement pour l'administration territoriale.

Ce point me paraît particulièrement important : après plusieurs années de baisse des crédits et des emplois dédiés à l'administration territoriale, l'année 2021 pourrait marquer - il était temps ! - un coup d'arrêt au désengagement de l'État dans les territoires. De ce point de vue, une réforme appuyée sur des mutualisations entre directions, un renforcement de la tutelle des préfets, ainsi qu'une clarification de la répartition des compétences entre les directions départementales est mieux à même d'accompagner la rationalisation de l'action publique qu'une logique de coup de rabot sur les services de l'État dans les territoires.

Les maisons France services (MFS) ne doivent pas constituer un moyen pour l'État de se désengager. Alors que l'État impose à tous, et en particulier aux collectivités territoriales, la présence de deux équivalents temps plein (ETP) dans chacune des maisons pour obtenir le label, il est urgent que l'État se donne les moyens des ambitions qu'il a fixées pour les collectivités. Seulement onze maisons de services au public (MSAP) portées par l'État ont été labellisées France services.

Un autre axe de la rationalisation de la présence de l'État dans les territoires concerne la dématérialisation. À ce titre, je considère que des enseignements doivent également être tirés des difficultés de mise en oeuvre de la dématérialisation des titres sécurisés, en particulier à destination des publics les plus fragiles.

Le Défenseur des droits et la Cour des comptes ont analysé les insuffisances de cette réforme et ont souligné le grand manque d'anticipation, en particulier s'agissant des publics ne maîtrisant pas les outils informatiques. D'après les indications de la directrice générale de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), il semble que ces critiques aient été entendues par l'agence, qui travaille actuellement avec des associations spécialisées pour rendre la nouvelle version du site plus accessible.

Cependant, même plus accessible, le « tout numérique » n'est pas la solution, et il est indispensable de maintenir un accompagnement physique ou téléphonique des personnes. La dématérialisation des demandes de titre s'inscrit dans le cadre de la réforme du plan Préfectures nouvelle génération (PPNG). À ce jour, les objectifs du plan sont loin d'être atteints.

La mise en oeuvre des centres d'expertise et de ressources titres (CERT) devait initialement permettre de diminuer le nombre d'agents de 1 300 ETP. Cette baisse, qui est loin d'avoir été atteinte, s'est faite au prix d'une nette dégradation de la qualité de services aux usagers. Encore cet été, le service des cartes grises a été engorgé, 15 nouveaux ETP ayant été déployés pour résorber le stock. Alors que les effectifs ont été renforcés avec près de 400 ETP, des difficultés subsistent ; il n'est pas certain que les CERT soient à ce jour en mesure de traiter l'afflux potentiel de demandes de carte d'identité électronique à partir de l'été prochain.

De plus, alors que les économies d'emplois sur les missions réalisées par les CERT prévues initialement devaient se traduire par des redéploiements vers les missions prioritaires, ceux-ci ont ciblé prioritairement les services dédiés aux étrangers dans le contexte de crise migratoire. Le redéploiement vers les autres missions prioritaires des préfectures, notamment le contrôle de légalité, n'a pas eu lieu.

Par ailleurs, le programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative » connaît une hausse importante de ses crédits, essentiellement en prévision des élections départementales et régionales dont le rapport Debré, qui vient d'être rendu, préconise le report au mois de juin 2021 avec des mesures sanitaires renforcées et leur éventuel découplage. Tout cela sera bien évidemment à préciser dans le texte qui sera soumis prochainement au Parlement.

Je souhaite enfin évoquer le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui couvre également des actions relatives à la radicalisation. Alors que le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) devrait voir son rôle renforcé, via l'intégration de nouvelles missions liées à la prévention des dérives sectaires et au « contre-discours républicain », je tiens à relever que les crédits du FIPD ne correspondent pas vraiment aux annonces de la ministre chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa.

En effet, pour 2021, l'action dédiée au FIPD affiche une baisse de plus de 3,6 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 3,9 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Afin de confirmer la hausse annoncée par la ministre, je vous proposerai un amendement visant à augmenter les crédits du FIPD à hauteur de 3,84 millions d'euros, afin de porter ceux-ci au niveau annoncé. La prévention de la délinquance et de la radicalisation ne peut en aucun cas constituer une variable d'ajustement budgétaire.

Vous l'aurez compris, j'éprouve certaines réserves concernant le budget proposé. La logique de rabot et de désengagement de l'État des territoires me paraît plus que problématique ; nous voyons bien, chacun, comment cela se traduit dans nos départements. Cependant, alors que la dynamique semble être remise en cause, que les crédits comme les emplois se stabilisent pour la mission en 2021, je vous proposerai d'adopter les crédits de la mission, modifiés par l'amendement relatif au FIPD. Je considère néanmoins que nous devrons demeurer particulièrement attentifs à l'exécution de ces crédits et à leur évolution lors des prochains exercices budgétaires.

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