Cela fait désormais quatre ans que je relève le défi annuel de vous éclairer sur les crédits du vecteur budgétaire de l'État actionnaire : le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Défi, car le montant de crédits qui nous est proposé et sur lequel il me revient de vous proposer une position de vote n'est qu'indicatif. Le Gouvernement justifie cela par le souci de préserver la confidentialité des opérations que l'État actionnaire pourrait conduire. Autant dire que l'exercice est un petit peu virtuel.
Ce compte d'affectation spéciale présente en effet une particularité : la programmation proposée en loi de finances initiale, tant pour les recettes que pour les dépenses, est fixée de façon conventionnelle. Cette spécificité, qui vise à préserver la confidentialité des opérations de cessions que l'État est susceptible de mener, obère néanmoins les capacités de contrôle du Parlement. À cette caractéristique traditionnelle s'ajoute une complexité supplémentaire cette année, puisque le compte ne porte pas l'intégralité des crédits dédiés aux participations financières de l'État. En effet, les 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels ouverts par la deuxième loi de finances rectificative sur le programme 358 de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » n'ont pas fait l'objet d'un versement intégral sur le compte. Un abondement échelonné, au fil des besoins constatés, est prévu.
Pour 2021, le compte est présenté en déficit de 515 millions d'euros, ce qui reflète la forte activité attendue sur le compte pour intervenir en capital au sein d'entreprises en difficulté. Néanmoins, les dépenses prévues seront, pour l'essentiel, neutres pour le solde du compte, puisqu'elles seront financées par un versement du budget général. Si un tel abondement s'impose pour répondre aux besoins de financement identifiés, il relègue le compte à un véhicule budgétaire contingent.
Plusieurs entreprises du portefeuille de l'État actionnaire ont été fortement affectées par la crise sanitaire. De façon agrégée, la valorisation du portefeuille coté géré par l'Agence des participations de l'État (APE) a brutalement chuté depuis le mois de mars, avec un décrochage marqué de dix points par rapport aux indices parisiens de référence. Cette situation soulève des questions, dans la mesure où elle intervient après une année 2019 à rebours de l'évolution exceptionnelle des marchés actions et où le seul facteur sectoriel ne suffit pas à l'expliquer. En effet, la plupart des entreprises cotées sous-performent par rapport au parangonnage sectoriel.
Dans l'immédiat, la crise sanitaire affaiblit la situation financière de plusieurs entreprises du portefeuille, dont les coûts de financement par le marché se sont nettement dégradés depuis le mois de mars. Outre la mobilisation d'outils immédiats de trésorerie, c'est bien la question de la solvabilité de certaines entreprises qui se pose.
En réponse, le Gouvernement a décidé d'infléchir sa doctrine d'intervention, revenant de facto à celle qui prévalait jusqu'en 2017. En 2017, le Gouvernement avait, en effet, entendu en redéfinir les contours : les participations de l'État étaient conçues comme un placement « à la papa », lequel ne saurait échapper à la disruption en vogue à l'époque. Pour cela, un mouvement de « respiration » du portefeuille a été initié, ce qui s'est concrétisé par la cession de La Française des jeux. La privation d'Aéroports de Paris (ADP) devait suivre.
Trois ans plus tard, le « nouveau monde » accuse ses premières rides : à l'aune des évènements exceptionnels que nous traversons, le Gouvernement a infléchi sa doctrine. Derrière cet élément de langage, c'est en réalité au retour de la conception qui prévalait jusqu'alors que nous assistons, avec la mobilisation de la prise de participation publique comme levier de politique économique.
J'approuve ce choix, car je suis convaincu que l'intervention en capital de l'État peut permettre d'apporter une réponse, en soutien de nos entreprises, nos savoir-faire et nos emplois.
C'est pour cela que 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels ont été ouverts à l'occasion du deuxième collectif budgétaire sur le programme dédié de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ». Seulement 20 % des crédits ont été consommés et à peine la moitié pourrait l'être d'ici à la fin de l'année. Il faut donc croire que la sincérité budgétaire fait partie des victimes collatérales de la crise sanitaire.
À ce sujet, je souhaiterais vous alerter sur un point : quelques semaines après avoir sollicité du Parlement l'ouverture de ces crédits exceptionnels, le Gouvernement a retranché près de 2 milliards d'euros du compte pour compléter la dotation du fonds pour l'innovation et l'industrie (FII).
Comme vous le savez, il s'agit du mécanisme de débudgétisation imaginé par le Gouvernement en 2017, qu'il entendait doter du produit des cessions. À défaut d'encaisser les recettes de la vente d'ADP et faute de dividendes suffisants en 2020, le fonds risquait bien de montrer ses limites et de démentir les avantages relevés par le Gouvernement pour justifier son dispositif. Rappelez-vous les critiques que nous avions émises à l'égard du dispositif.
Je ne peux souscrire à ce tour de passe-passe. C'est la raison pour laquelle je vous propose un amendement n°1, consistant à réduire de 1,9 milliard d'euros les recettes du compte. En l'adoptant, le Gouvernement devra reprendre la dotation versée au compte en juillet.
J'en viens au débat sur les conditionnalités.
Compte tenu de l'effort massif consenti par la puissance publique, il importe que ce soutien soit assorti d'exigences. En fixant des conditionnalités aux aides qu'il fournit, l'État répond précisément à sa fonction de prêteur en dernier ressort et de « maître des horloges », selon l'expression chère au Président de la République. À ce propos, l'ouverture de crédits exceptionnels s'est accompagnée de mécanismes, certes timides, d'engagements de la part des entreprises faisant l'objet d'une prise de participation par l'État et de suivi. Il reviendra au Parlement d'en effectuer un contrôle approfondi pour en assurer la pleine effectivité.
Comme me l'a indiqué Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, il doit être privilégié autant que possible une intervention directe en fonds propres et non en instruments de dette, assimilables à des fonds propres. En effet, il importe qu'en contrepartie de son investissement, l'État soit en mesure d'exercer une capacité d'influence sur la marche de l'entreprise.
C'est pourquoi, pour une prise de participation, les conditionnalités se justifient plus que pour tout autre type de soutien public. Or le mécanisme en vigueur en la matière me semble bien trop timide : comment qualifier cela d'engagements alors que rien ne vient sanctionner leur non-respect ? L'amendement n° 2 que je vous propose vise à pallier les lacunes du dispositif sur ce point. Laissez-moi vous faire part de ma conviction. Compte tenu de l'effort massif consenti par la puissance publique, je considère que ce soutien doit être assorti d'exigences. C'est ainsi que l'État tiendra tout son rang : en fixant des conditionnalités aux aides qu'il fournit, l'État répond précisément à sa fonction de prêteur en dernier ressort et de maître des horloges.
Le troisième et dernier point de mon intervention concerne le dossier de la rentrée, qui continue de faire grand bruit et inquiète nombre de collectivités territoriales. Je parle bien évidemment de l'acquisition de Suez par Veolia. S'il s'agit d'une affaire entre entreprises à capitaux privés, l'État actionnaire est indirectement concerné au titre de la participation qu'il détient dans Engie. Or, lors du conseil d'administration du 5 octobre dernier, l'État a été mis en minorité sur le vote de la résolution sur l'offre d'acquisition par Veolia de 29,9 % du capital de Suez détenu par Engie.
Dans cette affaire, au-delà des appréciations personnelles que nous pouvons avoir sur l'opportunité de la fusion, c'est bien la façon dont l'État actionnaire a appréhendé le dossier qui m'interroge. En effet, l'État a, sinon suggéré, du moins avalisé dès le premier semestre la décision d'Engie de recentrer ses activités et, partant, de mettre en vente sa participation au capital de Suez.
Aussi, la surprise ne saurait justifier l'attentisme de l'État actionnaire face à l'offre de Veolia. La stratégie consistant à jouer la montre faute d'entente entre les parties était vouée à l'échec. Quand deux des trois acteurs - Veolia et Engie - ont tout intérêt à aller vite, ce n'est pas, à mon sens, une position de neutralité.
Le Gouvernement s'est montré, jusqu'à présent, peu coopératif : le cabinet de M. Bruno Le Maire a ainsi décliné ma demande d'audition, jugeant que tel n'était pas « l'usage ».
Mes chers collègues, soyez-en assurés : je saurai faire usage de mes pouvoirs de rapporteur spécial pour faire toute la lumière sur la façon dont les conséquences du recentrage stratégique d'Engie ont été abordées par l'État actionnaire.
Pour conclure, je vous recommande d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », modifiés de l'amendement de crédits que je vous propose. Je vous présente également un amendement portant article additionnel pour assurer la pleine effectivité du mécanisme de conditionnalités à toute intervention en capital de l'État.