Les 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels au titre du plan d'urgence n'ont pas fait l'objet d'un versement intégral sur le compte. Je le redis : un abondement échelonné, au fil des besoins constatés, est prévu.
Entre 2014 et 2017, il existait une doctrine d'intervention de l'État qui poursuivait quatre objectifs. Il s'agissait d'abord de préserver la souveraineté du pays en visant les entreprises intervenant dans des secteurs stratégiques sensibles, notamment le militaire, le nucléaire etc. Il s'agissait aussi de défendre les entreprises possédant des infrastructures et les opérateurs de services publics afin de répondre aux besoins fondamentaux du pays. Un autre objectif était l'accompagnement des secteurs et filières stratégiques pour la croissance économique nationale. Enfin, le dernier objectif était le sauvetage d'une entreprise présentant un risque systémique.
En 2017, le nouveau Gouvernement a rapidement lancé un programme de cessions, estimant qu'une participation publique n'était justifiée que dans les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays - comme dans la défense ou le nucléaire -, les entreprises participant à des missions de service public ou d'intérêt général, national ou local, pour lesquelles l'État ne détient pas de leviers non actionnariaux suffisants pour préserver les intérêts publics, et enfin les entreprises pour lesquelles il existe un risque systémique. De fait, l'accompagnement des secteurs et filières stratégiques pour la croissance économique nationale n'est plus un motif d'intervention. Il s'avère aujourd'hui que cette nouvelle stratégie est un véritable échec.
La liste de la vingtaine d'entreprises stratégiques en difficulté n'est pas publique, au motif qu'il faut préserver la confidentialité des opérations. En fait, c'est du cas par cas. On a l'impression que l'État revient aujourd'hui à une doctrine plus interventionniste.
On constate bien une gestion « à la papa ». Comme l'a dit Claude Raynal, si l'État recherchait vraiment la rentabilité financière, il aurait acheté en profitant du creux de la bourse. Mais ce n'est pas le rôle de l'État d'être boursicoteur ou spéculateur.
La SNCF est un sujet sensible, pour lequel nous manquons d'informations. Une opération de recapitalisation de 4 milliards d'euros semble prévue, qui succède à la reprise de la dette pour 35 milliards d'euros ; une réforme du réseau ferroviaire devrait avoir lieu. L'État ne nous donne aucune information sur sa stratégie à long terme.
Dans l'affaire Suez-Veolia, je ne pense pas que l'État souhaite intervenir en capital. Il s'agit d'entreprises privées. Reprenons la chronologie. En juillet, Engie a annoncé vouloir procéder à un recentrage stratégique et donc vendre sa participation dans Suez. Comme nous l'a dit clairement Martin Vial, l'État était présent et a donné son aval. Peu après, à la fin août, Veolia a fait une offre à 15,5 euros par action, puis l'a prolongée jusqu'au 5 octobre, tout en la relevant à 18 euros par action. Le 5 octobre, l'État est mis en minorité au conseil d'administration d'Engie. L'État a été, en fait, attentiste, car Veolia, comme Suez et Engie étaient pressés. Le 4 septembre, le Premier ministre a dit que cette opération faisait sens sur le plan industriel. Quinze jours après, le ministre de l'économie, Bruno Le Maire disait qu'il n'y avait pas d'urgence et que l'État n'accepterait aucune pression ni intimidation. Mais le simple fait de rester sur l'Aventin revenait à avaliser l'opération. Je ne me prononcerai pas sur son opportunité, mais force est de constater que l'État actionnaire n'a pas pesé.
Je ne crois pas que l'État ait l'intention, pour le moment, d'intervenir dans cette affaire. Il aurait déjà pu le faire. Suez, en tout cas, y est opposée, tout comme ses salariés. La direction a mis en place une pilule empoisonnée, en créant une fondation de droit néerlandais, ce qui rend incessible l'entreprise pendant quatre ans. La justice est saisie et les tribulations judiciaires ne font que commencer. Le président de Veolia persiste dans son intention de lancer une opération publique d'achat (OPA). Ils ont acquis 29,9 % du capital auprès d'Engie, car au-delà du seuil de 30 % ils auraient dû lancer automatiquement et obligatoirement une OPA. C'est pourquoi ils ont choisi une opération en deux temps, en achetant d'abord les parts d'Engie, avant de lancer une OPA. Suez objecte qu'il faut consulter le comité social et économique, que le droit boursier n'a pas été respecté, faute de pré-offre publique d'achat et a créé une fondation. Donc l'affaire est partie pour durer et le contentieux pourrait durer au moins douze mois. En attendant la situation est bloquée et rien n'empêche Suez de créer de nouvelles pilules empoisonnées, comme des distributions d'actions aux salariés, par exemple. L'histoire risque donc d'être longue. Cela aurait été le rôle de faire entendre le point de vue de l'intérêt national. En tout cas, nous continuerons à suivre l'affaire. Enfin, il est vrai que le cabinet de Bruno Le Maire a refusé de nous recevoir, arguant que ce n'était pas la tradition...
En ce qui concerne les crédits du compte, le Parlement est bafoué : on ne nous donne pas les informations disponibles. Je ne suis pas opposé à ce que nous ne votions pas ces crédits, même si, par modération, je proposais une autre voie.
Je connais la sensibilité philosophique et idéologique de la question des conditionnalités. Je ne propose pas de corseter les entreprises, de les caporaliser ou de les étatiser. Je note simplement que l'État lui-même a déjà prévu des conditionnalités dans la loi de finances rectificative. Or, en l'occurrence, le Gouvernement nous demande de voter des crédits sans conditions ni sanctions. Il s'agit donc de mettre en oeuvre une réciprocité qui soit soutenable pour les entreprises et qui ne soit pas de nature bureaucratique. Le mécanisme que je vous propose concerne les grands groupes, mais peut aussi concerner d'autres entreprises, selon leur emprise régionale ou leur importance dans l'économie. Je suis surpris par l'inertie de l'État qui, sans doute tenu par une philosophie non-interventionniste, laisse faire, puis, lorsqu'il veut agir, se retrouve démuni, comme à Béthune avec Bridgestone. En Guadeloupe, 350 emplois sont menacés mais, par idéologie, on n'intervient pas et on laisse agir le marché. Tout est question de schèmes mentaux et idéologiques.
L'APE est constituée d'une équipe de 55 personnes. La répartition des rôles entre l'APE et Bpifrance n'est pas nette. Bpifrance gère le fonds pour l'innovation et l'industrie. Ce fonds est une usine à gaz ; nous l'avions dit. Il devait être doté de 10 milliards et devait rapporter 250 millions d'euros chaque année afin de financer l'innovation. Le rendement escompté serait ainsi de 2,5 %. Mais à l'heure actuelle, les taux d'intérêts sont négatifs, donc c'est une affaire ruineuse. En plus, la tuyauterie est complexe et incompréhensible. J'ajoute aussi que l'État ne percevra que très peu de dividendes en 2020. Finalement, le Gouvernement, gêné, doit compléter la dotation du fonds de 1,9 milliard d'euros et prélever d'autant le CAS.
L'État veut aussi créer un pôle financier public autour de la CDC et de la Banque postale, tout en absorbant la Société de financement local, qui est l'un des plus gros émetteurs d'obligations sécurisées pour les collectivités. Cela permettra peut-être des interventions plus éclairées.
En ce qui concerne Air France-KLM, l'État français a financé le groupe à hauteur de 7 milliards d'euros - dont 3 milliards d'euros de prêt d'actionnaire et 4 milliards d'euros de prêt garanti -, tandis que l'État néerlandais a aidé KLM pour plus de 3 milliards d'euros. Au total, la compagnie a reçu plus de 10 milliards d'euros d'aides, mais les problèmes stratégiques demeurent. Des réformes structurelles doivent être réalisées et des discussions ont été engagées avec les syndicats. Une difficulté supplémentaire tient au fait qu'il faut conserver l'équilibre entre l'État français et néerlandais, chacun actionnaire à hauteur de 14 % environ. Or, certaines aides pourraient prendre la forme d'une prise en capital. Les négociations sont complexes et Martin Vial n'a pas été en mesure de nous répondre. L'entreprise est fragilisée avec la crise et il faut aussi la protéger des OPA et des spéculateurs.
La vente d'ADP est suspendue. J'imagine mal que l'État reprenne ce projet ; d'ailleurs, vendre aujourd'hui serait une mauvaise affaire patrimoniale, un crime contre le bon sens, car l'action s'est effondrée. La cession devait financer le FII : c'est ce qui pose des problèmes de présentation du compte et le Gouvernement a dû procéder à quelques ajustements... Il aurait mieux valu qu'il admette qu'il s'était trompé. Mais par orgueil ou pour une question d'image politique, il ne l'a pas fait.
Nos rapporteurs spéciaux devront certainement s'intéresser au plan de réforme de la SNCF, qui comporte bien des sujets, comme la régénération des voies par exemple. Enfin, Claude Raynal, l'État doit intervenir comme un investisseur avisé. Ses opérations n'ont pas d'impact sur le déficit maastrichtien, mais il n'a pas un comportement de financier : on peut le regretter, mais c'est aussi conforme à l'idée que l'on peut se faire de l'État. En tout cas, il serait pertinent d'étudier la manière dont l'APE agit, ses moyens, ses résultats, l'information donnée au Parlement ou ses relations avec ses ministères de tutelle.