Il me revient cette année de prendre la suite de notre ancien collègue Michel Forissier pour vous présenter les crédits de la mission « Travail et emploi ».
Les crédits demandés au titre de cette mission pour 2021 s'élèvent à 13,4 milliards d'euros, soit un peu plus que ce que nous avions voté en loi de finances initiale pour 2020, mais un peu moins que ce qui sera effectivement consommé compte tenu des crédits supplémentaires ouverts par les lois de finances rectificatives.
Cette mission n'enregistre aucune mesure nouvelle et ses crédits évoluent essentiellement sous l'effet des décisions prises les années précédentes ou en fonction de l'évolution spontanée du nombre de bénéficiaires des différents dispositifs. On pourrait presque en déduire que la situation de l'emploi dans notre pays n'a pas changé depuis plus d'un an.
Ce budget s'inscrit en effet dans la continuité des années précédentes en ce qui concerne la baisse du recours aux contrats aidés et le soutien accru au secteur de l'insertion par l'activité économique, la fin des aides à l'embauche susceptibles de créer des effets d'aubaine ou encore l'entêtement du Gouvernement à subventionner certaines expérimentations qui donnent peu de résultats.
J'aurais donc pu être tentée d'actualiser les analyses de Michel Forissier.
Pourtant, la situation de l'emploi en France est particulièrement préoccupante. Alors que le taux de chômage baissait de manière continue depuis plusieurs trimestres, il est brusquement remonté avec la crise sanitaire et atteignait 9 % au troisième trimestre, soit près de deux points de plus qu'au trimestre précédent. Surtout, cette brusque remontée du chômage ne résulte pas seulement d'un gel temporaire des embauches mais bien de destructions durables d'emplois. Selon les prévisions de la Banque de France, le taux de chômage continuera à progresser en 2021 et repassera à peine sous la barre des 10 % en 2022.
Cette progression est d'autant plus impressionnante que les destructions d'emplois sont, au moins à court terme, limitées par le recours massif à l'activité partielle, qui conduit l'État à prendre en charge la rémunération d'un nombre considérable de salariés.
Bien entendu, l'image d'une continuité de la politique de l'emploi donnée par la stabilité des crédits de la mission « Travail et emploi » ne correspond pas à la réalité. En effet, le budget alloué à cette politique est environ deux fois plus important si l'on prend en compte les crédits du plan de relance qui seraient alloués au ministère du travail.
Cela me conduit à une première observation sur ce projet de loi de finances, et qui a trait, comme je l'ai dit à la ministre, à son manque de lisibilité pour les parlementaires que nous sommes. En effet, la bonne information du Parlement voudrait que les crédits de la mission « Travail et emploi » donnent une image fidèle de l'action du Gouvernement en la matière. Si nous sommes soucieux de la maîtrise des dépenses publiques, nous aurions pu accepter en 2021 une hausse substantielle des crédits de cette mission au vu des circonstances exceptionnelles. Or, tout se passe comme si le Gouvernement avait voulu afficher une rigueur budgétaire et, en même temps, un plan de relance conséquent.
Cette fragmentation des crédits demandés est d'autant plus regrettable qu'une partie du plan de relance servira à compléter des dispositifs qui sont par ailleurs financés de manière pérenne. C'est par exemple le cas de la Garantie jeunes, qui permettrait d'accompagner 100 000 jeunes au titre du droit commun et 50 000 supplémentaires au titre du plan de relance. C'est également le cas de l'accompagnement intensif des jeunes (AIJ), mis en place par Pôle emploi, et dont le renforcement s'inscrirait dans le cadre du plan de relance.
Si ces dispositifs sont de bons outils de lutte contre le chômage, ils devraient relever de la mission que nous examinons ce matin, et non d'un plan de relance.
La question de l'activité partielle est un autre exemple du manque de lisibilité du budget que nous examinons. En temps normal, ce dispositif permet à un nombre limité d'employeurs de faire face à des circonstances exceptionnelles, notamment des sinistres ou des intempéries. Les sommes budgétées pour 2020 au sein de la mission « Travail et emploi » s'élevaient à moins de 100 millions d'euros. Ce dispositif a totalement changé de nature avec la crise sanitaire. Toutefois, les crédits supplémentaires prévus pour 2020, qui dépasseront au total 30 milliards d'euros, ont été inscrits au sein de la mission « Plan d'urgence ». En 2021, les crédits correspondants seraient inscrits au sein de la mission « Plan de relance » et s'élèvent, pour le moment, à plus de 4 milliards d'euros. Je vois mal ce qui justifie ces évolutions de présentation. Le souhait du Gouvernement de présenter un effort massif pour l'emploi ne devrait pas nuire à la bonne information du Parlement. Surtout, s'il est sans doute nécessaire pour limiter le nombre de destructions d'emplois, le recours massif à l'activité partielle n'est pas soutenable sur le long terme, et nous devrons tôt ou tard en payer le prix.
En revanche, certains dispositifs ont un caractère plus exceptionnel et leur inscription dans le plan de relance me semble mieux justifiée.
Ainsi, les contrats aidés supplémentaires, qui vont, soit dit en passant, à contre-courant de la politique suivie ces dernières années, ne sauraient se justifier que dans le contexte d'une crise économique qui fragilise la capacité des entreprises à embaucher. Il en va de même pour les aides à l'embauche de jeunes de moins de 26 ans, qui sont de nature à créer d'importants effets d'aubaine. Il en va enfin de même du renforcement temporaire des effectifs de Pôle emploi pour faire face à l'augmentation de la charge de travail de cet opérateur.
Il convient de noter que les ressources de Pôle emploi sont fortement liées à celles de l'Unedic, avec un effet retard de deux ans. La dégradation des comptes de l'assurance chômage créera donc d'importantes difficultés de fonctionnement pour Pôle emploi à partir de 2022.
L'apprentissage connaît depuis quelques années un fort regain de popularité. Le nombre de jeunes apprentis embauchés avait progressé de 16 % en 2019. En 2020, cette dynamique s'est heurtée à la crise sanitaire. Néanmoins, au niveau global, le nombre d'apprentis devrait cette année se maintenir à son niveau de 2019 et pourrait même le dépasser. Ce constat cache toutefois des disparités importantes entre les secteurs et certains centres de formation des apprentis (CFA) pourraient rencontrer d'importantes difficultés financières. On peut donc s'interroger sur la stabilité prévue des crédits reversés par France compétences aux régions au titre du soutien au fonctionnement des CFA.
Depuis la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en 2018, le financement de l'apprentissage est assuré par les opérateurs de compétences, en fonction d'un niveau de prise en charge défini par chaque branche. Les fonds nécessaires sont fournis aux Opérateurs de Compétences (OPCO) par France compétences, qui peut recourir à l'emprunt si ses ressources tirées des contributions des entreprises ne sont pas suffisantes.
Or, une mission conjointe de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances a constaté en avril dernier que l'équilibre financier issu du système mis en place par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel était très incertain. En effet, si on peut se réjouir du développement de l'apprentissage, on constate que France compétences, compte tenu de ses autres missions et surtout des prélèvements décidés par l'État sur ses ressources, n'est pas en mesure d'assurer le financement des CFA. Il s'agit là d'un impensé de la réforme de 2018, dont l'étude d'impact a manifestement été insuffisante. Cela contribue à expliquer le déficit prévisionnel de France compétences de 4 milliards d'euros, mais qui résulte principalement de la prise en charge par France compétences du financement du stock de contrats conclus avant 2020.
Pour cette raison, le Gouvernement profite de ce projet de loi de finances pour modifier substantiellement l'esprit de la loi de 2018. Aux termes de l'article 56, les recommandations que France compétences formule à l'encontre des branches n'auront plus seulement pour objet de permettre la convergence des coûts au contrat mais également d'assurer l'équilibre financier du système. Ainsi, le financement de l'apprentissage deviendra une variable d'ajustement du budget de France compétences.
Je précise que cet article n'est pas rattaché à la mission mais au plan de relance, car il conditionne l'attribution d'une subvention exceptionnelle à France compétences à l'adoption de ces mesures de régulation. Là encore, ce rattachement discutable dans la mesure où il ne s'agit pas d'une mesure conjoncturelle mais bien d'une évolution structurelle.
Le budget pour 2021 porte, comme les années précédentes, les crédits consacrés au plan d'investissement dans les compétences (PIC), présenté par le Gouvernement comme un investissement exceptionnel en faveur des personnes éloignées de l'emploi pour la période 2018-2022.
Je reprends à mon compte les critiques formulées l'année dernière par Michel Forissier. Pour partie, le PIC correspond au financement de dispositifs pérennes comme la Garantie jeunes, qui a été généralisée sous la précédente législature. Il s'agit donc de dépenses qu'il aurait de toute façon fallu financer, et les présenter comme relevant d'un investissement exceptionnel semble trompeur. Cette remarque prend d'autant plus de sens qu'en 2021 une partie des dépenses liées à la Garantie jeunes seraient financées au titre du plan de relance.
Une autre partie du PIC correspond à un ensemble de dispositifs, pilotés avec les régions, sur lesquels le Gouvernement ne nous donne aucune information si ce n'est de grands axes que l'on ne peut que partager. Ainsi, c'est une enveloppe de plusieurs centaines de millions d'euros que nous accorderions cette année au Gouvernement, sans réellement savoir à quoi elle sera employée. La Cour des comptes a d'ailleurs critiqué ce manque d'information du Parlement dans son rapport sur l'exécution budgétaire 2019, manque d'autant plus regrettable que, comme chaque année, le budget du PIC devrait être sous-exécuté.
Encore une fois, si l'on ne peut contester ces objectifs, les crédits demandés au titre du PIC donnent une image exagérée de l'effort budgétaire en faveur de la formation des personnes éloignées de l'emploi.
Enfin, le PIC est alimenté par un fonds de concours en provenance de France compétences, qui s'élèverait à 1,6 milliard d'euros. La Cour des comptes a contesté la régularité de ce fonds de concours, dont l'État fixe unilatéralement le montant et qui correspond aux fonds qui étaient auparavant gérés par le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Là encore, il semble exagéré de présenter ce fonds de concours comme relevant d'un effort exceptionnel, dans la mesure où il est prévu par la loi.
En outre, il convient de noter que l'État prélève 1,6 milliard d'euros sur les ressources de France compétences tout en lui attribuant, au titre du plan de relance, une subvention de 750 millions d'euros pour pallier l'insuffisance de ces ressources. Cela permet de gonfler de manière quelque peu artificielle à la fois le plan d'investissement dans les compétences et le plan de relance, au détriment de la bonne information du Parlement.
Dans la continuité des années précédentes, le budget pour 2021 traduit un renforcement du soutien au secteur de l'insertion par l'activité économique. J'approuve cette orientation, qui est cohérente avec le pacte d'ambition du secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE) et avec la proposition de loi que nous avons récemment votée. Là encore, on peut s'interroger sur le rattachement d'une partie des crédits supplémentaires au plan de relance.
Le Gouvernement persiste par ailleurs à vouloir faire décoller le dispositif des emplois francs. Il s'agit là d'un exemple type du mauvais usage des expérimentations. Ce dispositif a été créé sans étude d'impact par un amendement du Gouvernement au projet de loi de finances pour 2018. L'évaluation prévue n'a jamais été fournie au Parlement, peut-être parce que les résultats étaient inférieurs aux attentes en dépit d'un élargissement du champ géographique. Cela n'a pas empêché le Gouvernement de généraliser le dispositif depuis le 1er janvier 2020, cette fois par décret. Malgré des ambitions nettement revues à la baisse, les objectifs ne sont toujours pas atteints. Certes, dans la mesure où il ne décolle pas, le coût de ce dispositif n'est pas disproportionné. Pour autant, les crédits qui lui sont consacrés pourraient peut-être être affectés plus utilement ailleurs. Le fait que les emplois francs aient figuré dans le programme du candidat Emmanuel Macron ne me semble pas de nature à les exonérer d'une démarche d'évaluation rigoureuse...
Un mot enfin sur l'expérimentation « zéro chômeur de longue durée ». L'Assemblée nationale devrait prochainement adopter la proposition de loi visant à la prolonger, comme le Sénat l'a fait le 4 novembre dernier.
En 2020, cette expérimentation devait bénéficier de plus de 28 millions d'euros. Les crédits effectivement consommés devraient finalement être inférieurs de plus de 10 millions d'euros, le nombre de personnes embauchées étant inférieur à 800, au lieu des 1 750 espérés. Le budget pour 2021 était initialement fixé à 22 millions d'euros, avec un objectif abaissé à un peu plus de 1 500 emplois créés. Cet objectif traduit une révision à la baisse des ambitions mais semble toujours optimiste, puisqu'il suppose de doubler en un an, et alors que les nouveaux territoires ne seront habilités qu'au second semestre, les résultats enregistrés depuis 2016. L'Assemblée nationale a souhaité abonder ce budget en adoptant un amendement majorant de 6 millions d'euros les crédits du programme. Je crains que ce budget ne soit encore une fois surévalué.
Au-delà du budget de l'État, il me semble important d'aborder ceux de l'assurance chômage. En effet, la dégradation spectaculaire des comptes de l'Unedic, dont la dette devrait dépasser 65 milliards d'euros en 2020, est très largement due aux décisions de l'État en matière d'activité partielle. La question de la gestion de cette dette devra donc se poser et il ne serait pas anormal que l'État en prenne sa part.
Au bénéfice de ces observations, il me semble que nous pouvons donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi », tout en gardant à l'esprit qu'elle ne donne pas une image fidèle des crédits qui seront effectivement consacrés à la politique de l'emploi en 2021. La maîtrise budgétaire affichée par cette mission tranche avec les dépenses publiques massives portées par le plan de relance, et qu'il faudra un jour financer.