Intervention de Barbara Pompili

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 novembre 2020 à 15h30
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de Mme Barbara Pompili ministre de la transition écologique

Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique :

Merci pour vos nombreuses et pertinentes questions.

Sur les graisses de flottation, j'ai très peu d'éléments et reviendrai vers vous afin de vous apporter une réponse plus précise. Je vous confirme néanmoins que lorsqu'il y a des mélanges entre différents carburants, on ne peut pas appliquer d'allégement de la TICPE, lequel est vraiment fléché vers les biocarburants. La définition des biocarburants a d'ailleurs été revue par des amendements à l'Assemblée nationale, portant notamment sur l'huile de palme et le soja. Le sujet que vous évoquez m'intéresse moi-même car il présente un intérêt en termes d'économie circulaire : autant récupérer et utiliser ces ressources que de les gaspiller !

Si le projet « Hercule », consistant en la réorganisation d'EDF, aboutit, je vous confirme que, bien évidemment, il nécessitera une loi et donnera donc lieu à un débat au Parlement. Pour mettre en oeuvre la PPE, le gouvernement a demandé à EDF de continuer à jouer un rôle central dans la transition écologique du pays avec, d'une part, la poursuite de l'exploitation du parc nucléaire existant au niveau prévu par la PPE et, d'autre part, un développement massif des énergies renouvelables, du stockage et des réseaux intelligents. Ces moyens nous permettront de produire une électricité qui est déjà aujourd'hui décarbonée et qui le sera totalement d'ici 2050.

La priorité du Gouvernement, c'est que l'entreprise dispose de capacités d'investissement accrues pour participer à la transition énergétique dans ses différentes composantes. Dans cette perspective, le Gouvernement a demandé au Président-directeur général d'EDF de lui formuler des propositions relatives à l'organisation du groupe afin de permettre à ce dernier de dégager les ressources nécessaires pour répondre au défi des investissements massifs qui s'annoncent. Quel que soit le choix fait, qu'il s'agisse donc de la continuité avec de nouveaux réacteurs nucléaires ou d'une stratégie de baisse progressive de la part du nucléaire pour arriver à une énergie totalement renouvelable en 2050, des investissements lourds seront dans tous les cas nécessaires.

Le projet d'EDF devra maintenir une entreprise intégrée et publique. La direction prépare ses propositions en associant le corps social de l'entreprise. Les effets de la crise renforcent le besoin pour EDF de dégager des ressources pour répondre au défi de la transition. La réorganisation du groupe permettra aussi de donner à l'entreprise les moyens de jouer un rôle central dans la transition énergétique du pays.

Par ailleurs, le Gouvernement travaille en parallèle sur une nouvelle régulation du parc existant pour protéger le consommateur des hausses de prix sur les marchés de l'électricité - c'est le sujet de la réforme de l'ARENH - et pour assurer le financement du parc nucléaire existant en cohérence avec les objectifs de la PPE. Des échanges ont été engagés sur une nouvelle régulation du nucléaire, en même temps que la question de l'ARENH. La proposition de réorganisation du groupe EDF devra prendre en compte les éléments de la négociation, qui est aujourd'hui encore en cours. Les sujets de l'ARENH - mais aussi des concessions hydroélectriques - sont totalement corrélés à cette réorganisation.

Sur le dispositif de l'ARENH, en l'absence d'une régulation adéquate, le consommateur français est directement exposé à un prix de marché essentiellement déterminé par le prix des énergies fossiles. Cela ne reflète pas la spécificité de l'approvisionnement en électricité de la France. Pour réussir les politiques de transition énergétique, le consommateur français doit pouvoir, sans renoncer au libre choix de son offre de fourniture, compter sur des prix stables et maîtrisés. À cet effet, le Gouvernement envisage de mettre en place une nouvelle régulation du parc nucléaire existant, qui permette de garantir une protection des consommateurs contre les hausses de prix dans la durée, en les faisant bénéficier de l'avantage compétitif lié à l'investissement sur le parc nucléaire existant, qui a coûté cher au contribuable français. Il s'agit aussi de garantir la capacité financière d'EDF pour assurer la pérennité économique de l'outil de production et répondre aux besoins de la PPE. Les négociations se poursuivent avec l'objectif d'aboutir le plus rapidement possible ; il faut aller vite puisqu'une loi sera nécessaire dans cette hypothèse.

La question du relèvement du plafond de l'ARENH se posera en fonction de l'issue des négociations. Un accord de la Commission européenne est nécessaire. En effet, il existe un risque de mettre en péril l'ensemble du dispositif ARENH en cas de décision unilatérale de la France de modifier le volume d'ARENH contre l'avis de la Commission. L'ARENH protège les consommateurs et continue de couvrir une part substantielle de leur approvisionnement à un prix maintenu à 42 euros par mégawattheure, très inférieur au prix de marché actuel. Je ne peux pas en dire plus pour l'instant car nous sommes en train d'achever les négociations.

Pour répondre à la question qui portait sur la construction des réacteurs EPR et l'arrêt du nucléaire, le Gouvernement n'a pas pris de décision sur le sujet. Ce qui se passera après 2035 appartient aux citoyens de ce pays soit par le biais de leurs représentants, soit par d'autres biais, mais il ne s'agira pas d'une décision unilatérale. La PPE fixe aujourd'hui un objectif de 50 % de nucléaire en 2035 dans le mix électrique. Pour ce qui se passe après 2035, le rôle du Gouvernement et le mien en tant que ministre chargée de l'énergie, consiste à faire en sorte qu'il puisse y avoir plusieurs options - renseignées et réalisables - sur la table, dont la faisabilité technique et le coût soient connus. Le choix lui-même de la poursuite ou de l'arrêt du nucléaire appartiendra aux citoyens français. C'est en tout cas ma vision des choses, et celle partagée par le Gouvernement. Cette décision se prendra lors du prochain quinquennat. Ce qui m'importe, c'est que les citoyens français disposent de tous les éléments. Voilà ce sur quoi je me suis engagée, avec l'accord du Président de la République.

Nous pensons que la PPE est un élément absolument majeur. La présidente a soulevé tout à l'heure l'hypothèse d'avoir recours à du charbon importé cet hiver. Si nous en sommes là, c'est bien évidemment à cause de la crise du Covid-19 qui a empêché que les opérations de maintenance sur les réacteurs nucléaires aient pu être menées à l'époque où elles étaient prévues, c'est-à-dire à des moments où le besoin d'électricité est moins important. Ce décalage des opérations de maintenance a conduit à l'arrêt d'une vingtaine de réacteurs, soit bien plus que d'habitude. Avec les visites décennales, ce décalage explique l'inquiétude sur le passage de l'hiver.

Je constate que 75 % de notre électricité est produite à partir du nucléaire : quand il y a un raté sur le nucléaire, on en subit les conséquences. C'est la raison pour laquelle il faut diversifier notre mix électrique, afin d'être moins à la merci de ce genre d'aléas en pouvant faire appel à d'autres types de production d'énergie. C'est pour cela que la PPE est responsable pour l'avenir.

Le passage de l'hiver est également marqué par des « pointes » de consommation électrique. Pourquoi ? Car, pendant des années, nous avons négligé un aspect essentiel de notre politique énergétique : la baisse de la consommation d'énergie. Nous avons trop longtemps gaspillé et profité d'une électricité décarbonée peu chère, ce qui nous a conduits à ne pas faire suffisamment attention à réduire nos besoins en énergie. Au moment de la « pointe », nous rencontrons une très forte consommation d'électricité, d'où une obligation d'effectuer une régulation. Le Gouvernement tient compte de cette question dans le cadre du plan de relance, en investissant fortement dans le bâtiment afin d'éviter ces « pointes » qui résultent d'un gaspillage d'électricité.

Il s'agit d'une politique pensée et rationnelle qui vise à avoir moins besoin d'électricité et à diversifier sa production, car nous savons que la demande peut avoir tendance à augmenter - avec, par exemple, une électrification des usages dans la mobilité. C'est un travail de fond, essentiel, que nous menons sur ce point.

Pour poursuivre ma réponse sur le projet « Hercule » et les négociations en cours, la volonté politique que nous avons vise à conserver et valoriser notre parc hydroélectrique, avec des concessions qui soient gérées par la France. Vous pouvez compter sur ma pugnacité et celle du Gouvernement pour essayer de sortir par le haut sur ces questions.

J'en viens à une question un peu moins technique. Les membres de la Convention citoyenne pour le climat n'ont en aucun cas de comptes à rendre uniquement au Président de la République. Ils ont été auditionnés à l'Assemblée nationale et également au Sénat il me semble. Cela dit, le Parlement n'a pas missionné la Convention citoyenne pour le climat et l'initiative revient bien au Président de la République. Si le Parlement l'avait souhaité, rien ne l'empêchait d'ailleurs de le faire.

Sur la question de l'hydrogène et des ressources en eau, notamment de l'industrie, c'est une question absolument essentielle. Nos besoins en eau vont se multiplier ; l'hydrogène par électrolyse demande effectivement de l'eau qui sera ensuite réémise lors de la consommation d'hydrogène. Nous avons des projets de pré-déploiement qui ont été soutenus par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). La ressource en eau va devoir être partagée entre les citoyens, l'industrie, l'agriculture - qui est une forte consommatrice - et tous les projets d'avenir. Malheureusement, la ressource en eau risque d'être de plus en plus rare, notamment dans certaines régions de la France, le réchauffement climatique entraînant des phases de sécheresse et de canicule.

Face à cela, l'anticipation est nécessaire et un travail est réalisé dans le cadre des agences de l'eau autour des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), qui constituent les meilleures manières de résoudre ces questions, en réunissant tous les acteurs des territoires autour de la table pour essayer de trouver des solutions au cas par cas. Les problématiques n'étant pas les mêmes d'un département à l'autre, la mise en place des PTGE doit permettre d'éviter de rencontrer des tensions très fortes sur l'approvisionnement. Dans certains territoires, nous observons déjà des conflits qui se multiplient, notamment s'agissant des bassines. Cette question existe et doit être résolue, ensemble et par le bas.

Concernant le photovoltaïque, l'assiette s'élève à 750 millions d'euros. A priori la révision à la baisse du soutien à certains parcs solaires rapportera de l'ordre de 300 à 400 millions d'euros. En l'absence de cette mesure, le coût serait chiffré à 2 milliards d'euros par an et donc 20 milliards d'euros sur dix ans. Pour répondre à une observation faite sur une remise en cause de la parole de l'État, je rappelle que les contrats qui sont visés aujourd'hui sont illégaux au regard du droit européen, puisqu'ils n'ont pas été validés par la Commission européenne au titre des aides d'État. Les gros porteurs de projets visés par la mesure du Gouvernement, à savoir des professionnels et des investisseurs avertis, ne pouvaient pas ignorer cette situation lorsqu'ils ont signé des contrats. Ils ont donc accepté de financer des projets risqués en connaissance de cause, au regard d'une rémunération qui était très attractive. Le Conseil d'État a par ailleurs confirmé, lors de l'examen de la disposition, que les rémunérations excessives étaient contraires à l'intérêt général et que l'État pouvait modifier les contrats en conséquence. Je souhaitais vous apporter cette précision.

Le FPRNM, aussi appelé fonds Barnier, a été réintégré dans le budget de l'État, de la même manière que le CAS Transition énergétique. C'est une évolution qui permettra au Parlement de se prononcer sur les dépenses effectuées par le fond. En effet, à l'heure actuelle l'autorisation porte seulement sur les recettes qui sont affectées, le regard sur leur utilisation effective étant jusqu'à présent permis par le jaune budgétaire FPRNM. Alors que les ressources affectées au fonds étaient plafonnées à 131 millions d'euros par an, le Gouvernement porte les moyens du fonds à 205 millions d'euros par an, soit une augmentation de 56 % conformément aux engagements pris lors du Conseil de défense écologique de février dernier. Cette évolution préserve la gouvernance, en particulier avec les collectivités bénéficiaires, et le respect des engagements financiers antérieurs de l'État.

Sur l'ensemble du territoire, on dénombre 500 000 installations classées et 1 300 sites Seveso ; 26 900 installations classées sont soumises à autorisation et 16 200 à enregistrement. L'inspection des installations classées comporte 1 290 agents en équivalent temps plein (ETP) sur le budget du ministère, au sein des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), ainsi que 200 ETP portés par le ministère de l'agriculture dans les directions départementales de la protection des populations (DDPP). Au regard de la charge croissante de ces missions, le nombre de contrôles annuels a été divisé par deux en une dizaine d'années.

Un plan stratégique a été mis en place pour reconquérir la moitié de cette baisse d'ici 2022 - pas la totalité car il faut un peu de temps. Il s'appuie sur plusieurs outils : la transformation numérique, l'adaptation des postures et des organisations et des simplifications administratives. En 2019, le premier volet de ce plan stratégique a permis d'atteindre le chiffre de 19 700 inspections réalisées, soit une hausse de 8 % par rapport à 2018. L'accident de Lubrizol a confirmé la nécessité de ces contrôles accrus sur le terrain, y compris pour lancer une campagne complémentaire de recherche de sites industriels non connus de l'administration dans le voisinage de sites Seveso qui pourraient être à l'origine d'un effet domino. C'est l'un des grands enseignements de cet accident.

Comme vous l'avez indiqué, j'ai décidé de renforcer l'inspection des installations classées en dégageant 30 postes d'inspecteurs supplémentaires en 2021 et 20 en 2022. Sur le modèle de ce qui existe en matière de nucléaire, un système de vigilance renforcée va être mis en place pour cibler des sites sur lesquels des problèmes ont été identifiés. Les industriels seront tenus de nous informer des efforts réalisés pour répondre aux carences relevées.

S'agissant des trains à hydrogène, l'État a lancé un appel à manifestation d'intérêt (AMI) sur la mobilité hydrogène dans le secteur ferroviaire pour développer une nouvelle offre via des expérimentations de l'ensemble du système hydrogène. 22 millions d'euros ont été alloués et 4 régions (Grand-Est, Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes) ont été retenues. Par ailleurs, un soutien supplémentaire a été confirmé en octobre aux régions, avec 4 millions d'euros par région partie prenante pour aider à la mise en place des infrastructures, soit 16 millions d'euros au total. Deux appels à projets ont été publiés le 15 octobre 2020 dans le cadre de la stratégie hydrogène, sur l'une des briques technologiques et des démonstrateurs. Ces appels à projets sont respectivement ouverts jusqu'au 31 décembre 2022 et 17 décembre 2020. Les projets de transports sont éligibles à ces deux appels à projets. J'ai retenu votre invitation sur McPhy - nous nourrissons de grands espoirs pour cette entreprise - et votre question sur les arrêts de train - nous devons regarder, territoire par territoire, là où des dessertes plus fines sont nécessaires.

Je voudrais revenir sur le cas particulier de la pollution au lindane à Wintzenheim. Depuis la liquidation judiciaire de la société de pesticides Produits Chimiques Ugine Kuhlmann (PCUK) en 1997, il y a eu des travaux nécessaires au confinement des déchets issus de l'activité, dont ceux stockés à Wintzenheim. Les derniers travaux ont été menés en 2010 pour apposer une couche de géotextile qui permet d'éviter toute pollution par l'infiltration des eaux de pluie. Par ailleurs, l'Ademe effectue une surveillance régulière de l'état des eaux souterraines autour de ce site. En prenant en compte les résultats de surveillance entre 2000 et 2016, le panache de pollution est aujourd'hui considéré comme stable. Toutefois, ce n'est évidemment pas satisfaisant. Le préfet a saisi mon ministère en 2018 pour la réalisation d'une nouvelle surveillance quadriennale, ainsi que le préconisait l'Ademe. Il s'agit d'une amélioration du réseau de surveillance des eaux souterraines en aval hydraulique immédiat du site afin de mieux cerner les origines possibles des contaminations. Mon ministère a donné son accord pour effectuer ces travaux, qui sont chiffrés à 208 000 euros.

Concernant le projet de loi sur les risques naturels majeurs dans les Outre-mer, le calendrier parlementaire est très chargé et nous essayons de trouver un véhicule législatif afin d'intégrer ces mesures pour qu'elles puissent s'appliquer le plus vite possible. Il est notamment envisagé de placer ces dispositions dans le projet de loi « 3D », mais à ce stade et comme pour la réforme du code minier rien n'est définitif.

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