Intervention de Henri Leroy

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 novembre 2020 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de Mme Jacqueline Gourault ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Photo de Henri LeroyHenri Leroy, rapporteur pour avis :

Il m'appartient de vous présenter les crédits de trois des quatre programmes de la mission « Sécurités » inscrits au projet de loi de finances pour 2021, dont notre commission s'est saisie pour avis. Il s'agit des programmes 152 « Gendarmerie nationale », 176 « Police nationale », et 207 « Sécurité et éducation routières ». Le programme 161 « Sécurité civile », également rattaché à la mission « Sécurités », fera, quant à lui, l'objet d'un avis distinct, présenté par notre collègue Françoise Dumont.

Dans le contexte sécuritaire que nous connaissons, l'examen du budget alloué aux forces de sécurité intérieure nécessite de notre part une attention renforcée, car il conditionne directement la capacité de notre pays à répondre aux menaces auxquelles il est confronté. Je pense, bien sûr, à la lutte contre le terrorisme, mais également à toutes les formes de délinquance du quotidien. Les orientations budgétaires des dernières années n'ont, malheureusement, pas été à la hauteur de ces enjeux. Depuis plusieurs exercices, nous dénonçons, au Sénat, la stratégie du Gouvernement, qui consiste à mettre l'accent sur le renforcement des effectifs, au détriment de l'amélioration des conditions de travail de nos policiers et de nos gendarmes.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2021 fait, à cet égard, figure d'exception et apporte, pour la première fois depuis plusieurs années, une réponse concrète aux revendications des policiers et gendarmes.

Cette évolution positive, nous ne la devons pas à la mission « Sécurités » en elle-même, qui est une nouvelle fois assez décevante. Hors programme « Sécurité civile », les crédits de paiement (CP) de la mission augmentent de 240 millions d'euros, soit une hausse de seulement 1,2 % par rapport à 2020. Cette hausse est bien plus faible que les années précédentes, les crédits ayant augmenté de 1,9 % entre 2019 et 2020.

Toutefois, le budget des forces de sécurité devrait également bénéficier d'un abondement conséquent au titre du plan de relance. Ce plan fait l'objet d'une mission distincte, mais pouvons-nous prononcer sur les crédits de la mission « Sécurités » sans en examiner le contenu ? L'exercice est difficile, car le Gouvernement n'a pas fait preuve d'une très grande transparence sur le contenu de ce plan. Les informations sont partielles et mouvantes. C'est regrettable, et l'information budgétaire du Parlement en pâtit fortement. Cependant, selon les dernières informations qui m'ont été communiquées, les crédits complémentaires attendus s'élèveront à 118 millions d'euros pour la police nationale, et à 161 millions pour la gendarmerie nationale. Ces crédits seront exclusivement fléchés sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui progresseront, avec cet apport, de 11 % dans la police et de 12 % dans la gendarmerie par rapport à l'exercice 2020.

Ces augmentations importantes étaient fortement attendues par les policiers et gendarmes. Elles permettront de combler les retards pris, au cours des dernières années, dans l'équipement des forces de sécurité intérieure, et peut-être de gagner un peu d'avance pour les années à venir. Trois principaux postes de dépenses devraient en bénéficier.

Premièrement, un effort important sera conduit pour renouveler les parcs automobiles de la police et de la gendarmerie, qui, faute d'investissements suffisants pendant de nombreuses années, sont aujourd'hui vieillissants. Dans la gendarmerie, il est prévu l'acquisition de 4 500 véhicules sur l'année. Des crédits seront également affectés au remplacement des véhicules lourds de maintien de l'ordre, en particulier les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG), avec 45 achats et 35 remises en état. À ces investissements s'ajoute l'acquisition de nouveaux hélicoptères, qui a pu être lancée dans le cadre de la loi troisième loi de finances rectificative.

Deuxièmement, il est prévu de moderniser les équipements et l'armement des forces de sécurité intérieure. Il s'agira, par exemple, de renouveler les gilets de protection et d'acquérir de nouveaux pistolets à impulsion électrique. Des enveloppes spécifiques sont également prévues pour l'acquisition de caméras mobiles, dans la perspective de la généralisation de cet outil d'ici le 1er juillet 2021.

Troisièmement, ce budget devrait permettre d'engager d'importants travaux de rénovation des parcs immobiliers de la police et de la gendarmerie. Une incertitude demeure toutefois sur le montant exact des crédits dont la police et la gendarmerie pourront bénéficier. Nous savons, avec certitude, que la police obtiendra 149 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) pour l'année 2021, et la gendarmerie 125 millions d'euros. Ces enveloppes ne sont pas exceptionnelles, si nous les comparons aux besoins estimés de rénovation : 1 milliard d'euros dans la police et 1,2 milliard pour la gendarmerie.

En complément, la direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) m'ont indiqué avoir candidaté à l'appel à projets immobiliers lancé par « France relance », à hauteur de 760 millions d'euros pour la police et de 444 millions d'euros dans la gendarmerie. À ce stade, le ministère de l'intérieur n'a pas de visibilité sur ce qu'il pourra effectivement obtenir, car la sélection ne se fera qu'au mois de décembre. Je ne manquerai pas, par la voix de notre président, d'interroger le ministre de l'intérieur cet après-midi sur les perspectives en la matière.

Au-delà des enjeux matériels, le projet de loi de finances pour 2021 permettra également de poursuivre le plan quinquennal de 10 000 créations de postes au sein des forces de l'ordre : 1 145 emplois supplémentaires seront ainsi créés dans la police, et 335 dans la gendarmerie, suivant une répartition précédemment actée de 75 et 25 %. Ces créations de postes permettront de poursuivre la montée en puissance des services de renseignement. Elles permettront également de renforcer les effectifs de sécurité publique, dans le cadre de la police de sécurité du quotidien.

Je réitère toutefois les craintes que j'avais exprimées les années précédentes sur les conséquences de cette politique de recrutements massifs. Celle-ci a en effet placé les dispositifs de formation sous forte tension depuis 2017. La police nationale a ainsi dû procéder à un aménagement durable de la formation initiale des gardiens de la paix, dont le passage en école de police est réduit à 8 mois, au lieu de 12 auparavant, depuis juin 2020. Nous devons aussi nous inquiéter de l'épuisement des viviers de recrutement et de l'abaissement du niveau de sélection dans le cadre des concours.

Les chiffres nous montrent, d'ailleurs, que les bénéfices de cette politique de recrutement sont encore minces. Ainsi, le plan quinquennal n'a toujours pas permis d'enrayer la dégradation du taux d'engagement des effectifs sur le terrain, qui, en 2019, ne s'élevait qu'à 36,4 % dans la police et à 59,3 % dans la gendarmerie. Ces éléments démontrent que la voie du recrutement est insuffisante pour renforcer durablement la capacité opérationnelle de nos forces et améliorer le service de sécurité rendu à nos concitoyens. Nous ne pourrons atteindre ces objectifs qu'en libérant du temps pour nos policiers et gendarmes. Cela nécessite de la volonté politique, pour conduire enfin à leur terme les réformes structurelles engagées depuis de nombreuses années. Je pense, par exemple, à l'allégement des fameuses « missions périphériques », qui polluent le quotidien de nos policiers et gendarmes. Beaucoup a été annoncé par le Gouvernement, mais peu a été fait dans la pratique. Il en est de même pour la simplification des tâches de procédure. Cela fait par exemple des années que nous attendons la mise en production du nouveau logiciel de rédaction des procédures, Scribe, qui ne cesse d'être retardée, de la même manière que l'oralisation de certaines procédures.

Le Livre blanc pour la sécurité intérieure, publié il y a dix jours, formule des propositions intéressantes dans ces domaines. Il reprend d'ailleurs un grand nombre des trente-deux propositions faites par le Sénat, dans un rapport de commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité, remis en juin 2018 au Premier ministre et au ministre de l'intérieur. Je m'en félicite, et je souhaite que celles-ci puissent rapidement se concrétiser.

En dépit des quelques réserves que je viens de formuler, le projet de loi de finances pour 2021 constitue, à mon sens, un bon budget pour les forces de sécurité intérieure, car il permettra de donner un coût d'arrêt à la dégradation de leurs conditions de travail. C'est pourquoi je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités ». Nous devons toutefois rester attentifs à ce que cet effort s'inscrive dans la durée. Nos forces de sécurité ont en effet besoin de perspectives pour remettre à niveau leurs équipements et se moderniser. Le Livre blanc de la sécurité intérieure annonce une loi de programmation pour la sécurité intérieure, avec l'objectif de porter les crédits des forces de sécurité à 1 % du PIB en 2030, au lieu de 0,88 % en 2020. J'y suis évidemment favorable, car il s'agit d'une proposition formulée par le Sénat depuis plusieurs années. Reste à savoir à quelle échéance le Gouvernement saisira effectivement le Parlement de ce texte...

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