Je poursuis sur le droit d'asile, qui représente 1,18 milliard d'euros en AE et 1,28 milliard en CP. On constate une baisse des AE, qui apparaît logique dans le contexte de la fin d'un cycle important de création de places d'hébergement. Les CP augmentent, quant à eux, de 2,37 %. Depuis plusieurs années, notre pays engage deux types de démarches : d'une part, la réduction du délai de traitement des demandes d'asile, et d'autre part, l'amélioration des conditions matérielles d'accueil des demandeurs.
Le nombre de demandes d'asile accuse une hausse continue depuis une dizaine d'années. En 2019, les demandes enregistrées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ont atteint le nombre record de 132 826, soit une augmentation de 7,4 %. La masse des demandes effectuées dans le cadre des procédures dites « Dublin », - un tiers du total des demandes déposées - démontre à nouveau l'échec de ce mécanisme. En 2020, la limitation des déplacements à la suite de la crise sanitaire a abouti à une baisse des demandes d'environ 30 %, chiffre en conformité avec ce que l'on peut observer ailleurs en Europe. Il ne s'agit toutefois pas d'un phénomène durable, car, dès la fin du premier confinement, on a pu constater une remontée du nombre des demandes d'asile, et cela nous conduit à penser que la progression a vocation à continuer. Le PLF 2021 est bâti sur l'hypothèse d'une stabilisation du nombre de demandeurs autour du niveau constaté en 2019, qui nous paraît crédible.
L'analyse de l'origine des demandeurs d'asile met en lumière une prédominance des pays du Maghreb et des pays d'Afrique francophones, sous l'effet des différents conflits. On constate une diminution du nombre de demandeurs venant de pays d'origine considérés comme sûrs, notamment l'Albanie et la Géorgie. Les efforts menés d'abord par M. Collomb, et aujourd'hui par M. Darmanin, peuvent donc être considérés comme des réussites. Depuis trois ans, le premier pays d'origine des demandes est l'Afghanistan. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) vient d'ailleurs d'infléchir sa jurisprudence dans ce domaine, en précisant les critères d'attribution de la protection subsidiaire. Ce sujet n'est pas négligeable, car les Afghans représentent une grande partie des personnes effectuant leur demande en France après un passage ou l'échec d'une première demande dans un autre État européen. À titre d'exemple, le taux de rejet des demandes afghanes en Allemagne représente un peu plus du double du nôtre.
Sur les deux objectifs du Gouvernement en matière d'asile - réduction du délai de traitement, amélioration des conditions d'accueil -, nous ne pouvons faire qu'un constat d'échec.
Concernant la réduction des délais de traitement, l'exercice est un peu désespérant. Pourtant, les moyens alloués à l'Ofpra avaient été fortement augmentés, notamment avec la création de 200 équivalents temps plein (ETP) l'an dernier. La plupart des recrutements ont été réalisés, mais l'épidémie de la covid a abouti à la fermeture de l'Ofpra pendant le premier confinement, et, malgré les efforts, à une semi-fermeture dans la période actuelle. Ainsi, l'examen des dossiers et les auditions ont été ralentis, aboutissant pour 2020 à un délai moyen de traitement de l'Ofpra de 275 jours. L'objectif fixé par notre pays, à savoir la réduction du délai de traitement à 60 jours, est donc repoussé à 2023. Pour 2021, l'objectif dit « intermédiaire » serait de 112 jours, ce qui reste élevé. La situation est similaire pour la CNDA : malgré un effort budgétaire de recrutement important en 2020, avec des juges vacataires, de nouveaux rapporteurs, ou encore la création de chambres spécialisées, on peut conclure au même échec. Celui-ci a une double origine : d'une part, la grève des avocats début janvier, et d'autre part, l'effet de la covid-19, puisque la totalité des audiences a été annulée pendant la période de confinement. Les délais sont de nouveau importants et nous n'arrivons pas à mettre en place l'utilisation de la vidéo en audience, qui était une solution envisagée. L'expérimentation dans ce domaine existe, mais se heurte au fait qu'elle ne peut avoir lieu sans l'accord des parties. L'accord conclu avec les avocats fait ainsi fi de la volonté du législateur...
Concernant les conditions matérielles d'accueil, notre pays présente des niveaux élevés de dépenses sur l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), correspondant à 459 millions d'euros. Dans le cadre du « quoi qu'il en coûte » présidentiel, notre pays a par ailleurs prorogé automatiquement l'ADA jusqu'à la fin de la crise sanitaire, même pour les personnes déboutées de l'asile. En outre, l'effort considérable mené sur les conditions d'hébergement se poursuit. En 2021, 6 000 places d'hébergement supplémentaires seront créées, ce qui correspond à une augmentation de 6 %. Ces chiffres sont particulièrement importants, et sont le résultat de cet exercice budgétaire particulièrement marquant. Mais malgré ces moyens budgétaires, la situation ne donne pas satisfaction, puisque la moitié seulement des demandeurs d'asile sont hébergés.
Le droit d'asile est un échec en France, et il ne s'agit pas d'un sujet de nature budgétaire. Aujourd'hui se pose la question de sauver le droit d'asile de lui-même. Ce droit est né après-guerre, il est aujourd'hui devenu un élément beaucoup plus mondialisé que ce qui avait été envisagé. Peut-il être sauvé ? Oui, mais sous réserve que les délais de traitement soient raisonnables, d'une part, et que soient éloignées les personnes qui ne bénéficient pas de la protection, d'autre part. À l'origine, le droit d'asile s'adresse aux combattants de la liberté, mais nous avons quitté ce registre depuis bien longtemps. La question des délais ne relève pas de mauvaise volonté ou d'insuffisance de moyens budgétaires. Concernant l'éloignement, c'est une catastrophe totale : nous n'éloignons en réalité quasiment pas. Certaines situations sont même totalement imparables. Sur les 25 CRA, la moitié est fermée pour des raisons liées à la covid-19, et la moitié restante fonctionne à demi-effectif. De plus, l'éloignement est soumis à l'accord des pays concernés, qui demandent l'assurance que l'intéressé ne soit pas atteint de la covid-19, et le refus d'être testé est un droit protégé. Ainsi, il faut faire preuve de beaucoup de bonne volonté pour se trouver en situation d'éloignement...
Il y a toutefois des points positifs, le premier étant porté par l'Union européenne, avec des projets de réforme importants. Ensuite, un travail intéressant de croisement des informations administratives est aujourd'hui effectué, afin de permettre à l'autorité judiciaire de communiquer à l'Ofpra les situations qui posent problème en termes d'ordre public. En outre, l'attribution du statut du réfugié ne vaut pas carte blanche, car le bénéficiaire du droit d'asile ou de la protection subsidiaire présentant un risque pour l'ordre public peut se voir retirer ce statut, ce qui se produit assez régulièrement. La modification de jurisprudence de la CNDA vis-à-vis de l'Afghanistan est également un élément positif. De la même manière, le ministre de l'intérieur est très engagé sur l'obtention des laissez-passer consulaires, et il faut également saluer le travail de l'Union européenne sur ce sujet. Lors de l'audition de Mme Johansson par la commission des affaires européennes, celle-ci nous a assuré que la Commission européenne disposait d'une palette d'arguments pour négocier une augmentation de nombre de ces laissez-passer. Enfin, je souhaite que nous trouvions des solutions pour éviter que des personnes en situation de migration ne s'opposent à la prise en compte de leurs empreintes.